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Corbyn, Mélenchon : mais comment expliquer la fascination des gauches européennes bourgeoises pour le régime autoritaire vénézuélien ?
©Reuters

Nicolás Maduro

Le leader du Parti travailliste britannique Jeremy Corbyn ou encore Jean-Luc Mélenchon leader de la France insoumise ne semblent toujours pas vouloir condamner le régime de Nicolás Maduro. Une fascination qui, à termes, pourrait coûter cher.

Bruno Bernard

Bruno Bernard

Anciennement Arthur Young.
Ancien conseiller politique à l'Ambassade de Grande-Bretagne à Paris, Bruno Bernard est aujourd'hui directeur-adjoint de cabinet à la mairie du IXème arrondissement de Paris.

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Jacobo Machover

Jacobo Machover

Jacobo Machover est un écrivain cubain exilé en France. Il a publié en 2019 aux éditions Buchet Castel Mon oncle David. D'Auschwitz à Cuba, une famille dans les tourments de l'Histoire. Il est également l'auteur de : La face cachée du Che (Armand Colin), Castro est mort ! Cuba libre !? (Éditions François Bourin) et Cuba de Batista à Castro - Une contre histoire (éditions Buchet - Chastel).

 

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Atlantico : Corbyn et Mélenchon ne condamnent toujours pas le régime vénézuélien : mais comment expliquer (surtout au regard de cette actualité) cette fascination contre vents et marées de certaines gauches européennes pour ce régime autoritaire sud-américain ? Cela vous semble-t-il raisonnable ?

Bruno Bernard : La gauche européenne a toujours eu besoin qu’il existe un ailleurs mythifié. Ce fut l’URSS, la Chine maoïste, Cuba, le Vietnam, le Chili d’Allende etc. Ce besoin de mythes permet d’entretenir les mythes fondateurs qu’un autre système que le système capitaliste est possible, même si, dans les faits, l’accumulation du capital se fait toujours d’une manière ou d’une autre.

Les pays d’Amérique du Sud ont une place à part dans l’imaginaire de la gauche du fait de leur situation « d’arrière-cour » de la puissance américaine où celle-ci n’a pas hésité à soutenir les pires dictatures et à renverser des gouvernements au nom de la lutte contre le communisme. Cette mystique d’un front de lutte contre l’impérialisme et le capitalisme, totalement idéalisé par les gauches européennes, a connu un renouveau avec l’avènement d’Hugo Chavez et de sa « révolution bolivarienne » qui est en train de dégénérer sous la direction de Nicolas Maduro.

Il est important de distinguer les approches de Jeremy Corbyn et de Jean-Luc Mélenchon vis-à-vis du Venezuela. Si le premier, qui n’aime pas revenir sur les soutiens qu’il accordé, y compris les plus anciens celui à l’IRA et au Sinn Fein, n’a pas pris la parole pour dénoncer la situation dans le pays. Il faut reconnaître à Jean-Luc Mélenchon, malgré une tendresse originelle pour le « chavisme » des débuts, comme de nombreuses personnalités de gauche en France, une prise de distance réelle avec la dérive du régime actuel.

Jacobo Machover : Le leader du Parti travailliste britannique, le Labour, Jeremy Corbyn, et Jean-Luc Mélenchon ne sont pas les seuls à appuyer le castro-chavisme, actuellement personnifié par ce sinistre personnage qu’est le président Nicolás Maduro, arrivé au pouvoir par désignation de son prédécesseur Hugo Chávez, mort en 2013, et grâce à des élections qu’il n’a remportées qu’en recourant à la fraude : il faudrait également citer en Europe les Grecs de Syriza, actuellement au pouvoir, et tous ceux qui gravitent autour de la formation Podemos, héritière des « indignés » espagnols, qui a été financée par les pétrodollars vénézuéliens. Les « insoumis » et autres « indignés » ne peuvent se prévaloir d’aucune autorité morale : pour eux, les gens, particulièrement les jeunes, qui luttent pour la chute du régime de Maduro n’ont pas droit à la moindre compassion, alors qu’il y a déjà eu plus d’une centaine de morts, que près de quatre cents prisonniers politiques croupissent dans les geôles, militaires pour la plupart, du régime, que les tortures sont quotidiennes, que la population doit faire face à une misère noire, que des millions de Vénézuéliens doivent abandonner leur pays et que ce pouvoir, désormais illégitime, s’attaque violemment aux députés de l’Assemblée Nationale, démocratiquement élus en 2015. Comment justifient-ils tout cela ? Comme tous les militants communistes et d’extrême-gauche depuis toujours : ils disqualifient leurs adversaires en les traitant de « fascistes » et d’agents au service de l’ « impérialisme », et élèvent leur  ignorance au rang de propagande pour jeunes naïfs prêts à se laisser embrigader. Il y a quelques jours, le porte-parole de La France insoumise pour les questions internationales, qui dispose d’un blog sur Mediapart, Djorje Kuzmanovic (encore peu connu, mais ça viendra), tentait de répondre à deux activistes vénézuéliennes pour la démocratie, au cours d’un débat sur France 24, en se référant à… Salvador Allende et au Chili de l’Unité Populaire de 1973 ou encore au « coup d’État » (en réalité, une simple destitution) du président Zelaya au… Honduras en 2009. J’ai parlé d’ignorance, je devrais dire aussi dogmatisme et mauvaise foi. Bien évidemment, c’est tout le contraire de la raison. Mais cela ne m’étonne guère : j’ai tellement entendu comparer la situation à Cuba à celle d’Haïti ou de la Bolivie… C’est le propre des militants qui se cramponnent à leurs certitudes idéologiques, au risque d’appuyer des dirigeants comme Chávez, Maduro ou les frères Castro, qui ne sont que les bourreaux de leur propre peuple.

Lancée par Hugo Chavez et Fidel Castro en 2005, l’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (Alba) est un projet régional d’intégration économique et politique. Durant la campagne présidentielle française, Jean-Luc Mélenchon évoquait l'idée de s'en "rapprocher". Toujours au regard de cette actualité, si Jean-Luc Mélenchon continue dans cette voie de "fascination", que pourrait-il advenir de sa popularité ?

Bruno Bernard : Comme souvent à gauche, le risque est de s’enfermer dans une posture qui satisfait les militants les plus acharnés mais qui ne parle absolument pas au peuple. Les Français qui n’ont pas l’œil rivé sur l’actualité politique du Venezuela, ne voient, que des images de manifestations violentes et n’entendent aucun propos d’apaisement  émanant du gouvernement qui semble entré en lutte contre une partie de sa population.

Heureusement pour lui Mélenchon n’a pas fait le choix d’être le porte-voix du régime « Maduriste » en France même s’il a évoqué pendant la campagne présidentielle la possibilité pour les territoires français d’outre-mer de la région, notamment la Guyane, de s’insérer dans l’économie locale via l’Alba, ce qui pouvait s’apparenter une idée provocatrice que je mets sur le compte de la campagne présidentielle où toutes les idées qui passent par la tête des candidats ne sont pas bonnes à dire, même si elles apparaissent frappées au coin du bon sens dans d’autres contextes. 

Jacobo Machover : L’ALBA n’est qu’une espèce d’union des admirateurs du défunt Fidel Castro et des alliés de Chávez, lui aussi disparu, dans la région. Elle est aujourd’hui moribonde. L’intitulé même de l’organisme est grotesque : « bolivarienne » et « Notre Amérique » font référence à des libertadores, l’un vénézuélien, l’autre cubain, du début et de la fin du XIXe siècle. Mélenchon, sans doute poussé par ses mentors latino-américains, qu’il a tant admirés et dont il a pleuré la mort à chaudes larmes, a réussi à placer dans le programme de sa formation l’idée d’une « adhésion ». Ses propres partisans n’avaient pas la moindre information sur ce point, ce qui a donné lieu, au cours de la campagne présidentielle, à des explications cocasses ou tragi-comiques. Il y a effectivement adhésion, mais de nature idéologique. Les « idées » des caudillos latino-américains imprègnent, dans un semblant de « romantisme » complètement dépassé, les propositions mélenchonistes. Méfions-nous du « référendum révocatoire », par exemple. Lorsque la population vénézuélienne a tenté de le mettre en œuvre en votant massivement pour se débarrasser de Maduro, le pouvoir a empêché sa tenue et déclenché le processus répressif actuel. Ne cédons pas aux sirènes de la « démocratie participative », qui n’est pas le seul apanage de l’ancien Front de gauche, mais aussi de certains socialistes ou ex-socialistes. Par un mécanisme complexe et des méthodes de « démocratie directe », qui n’ont de démocratiques que l’apparence, Maduro entend faire « élire » (désigner, plutôt) une Assemblée « constituante » illégale, même au regard de la Constitution « bolivarienne » elle-même, qui n’est déjà pas un modèle. Cette « constituante », dont La France insoumise a importé l’idée pour arriver à une « VIe République », entend liquider l’Assemblée Nationale, seul pouvoir légitime dans le pays. Elle est inspirée de l’Assemblée Nationale du Pouvoir Populaire (qui n’a rien de « populaire » et très peu de « nationale »), en place à Cuba depuis la deuxième moitié des années 1970. Il s’agit d’un Parlement-croupion, dont les membres sont soi-disant « élus ». Ils sont en fait nommés par le Parti communiste, seul autorisé dans l’île. Ceux qui veulent bien croire à tous ces mensonges ne font que creuser la tombe de la démocratie représentative. Mais les aveugles consentants seront, j’en ai bien peur, de plus en plus nombreux, rendant populaire un tribun colérique et délirant. Pour le moment, Mélenchon a perdu, en partie, espérons-là, du fait de ses compromissions avec les dictateurs  et apprentis-dictateurs cubain et vénézuélien.       

Existe-t-il des points sur lesquels désavouer Maduro reviendrait à désavouer La France Insoumise?

Bruno Bernard :Pour avoir montré de l’intérêt pour Hugo Chavez et ce qu’il a fait à son arrivée au pouvoir au Vénézuela, Jean-Luc Mélenchon continue d’être crucifié comme soutien des « dictateurs gauchistes » d’Amérique du Sud. C’est un mauvais procès qui lui est fait et qui mérite un peu plus de subtilités et d’analyse que cela comme l’avait fait dans vos colonnes Renée Frégosi en 2012 montrant que le chef de la France Insoumise d’aujourd’hui avait pris ses distances avec la dérive autoritariste de Chavez pour se déclarer plus proche de Correa et de Lula.

Manque de chance Lula était condamné à 9 ans et demi de prison pour corruption. Toutefois si ma mémoire est bonne, Nicolas Sarkozy alors Président de la République ne fut pas totalement insensible aux charmes de l’ex président brésilien.

Jacobo Machover : Mélenchon et ses lieutenants sont complices de Maduro, ainsi que de Raúl Castro. Leur position est une insulte à la mémoire des victimes de ces deux régimes. Ils ne défendent ni la démocratie ni les droits de l’homme. Ils proclament des principes généreux, seulement quand cela leur convient. Mais ils ne sont pas les seuls. La position gouvernementale française et celle de l’Union européenne sont beaucoup trop timorées, à l’instar de celle du Pape argentin. Tous condamnent la violence d’où qu’elle vienne, alors qu’elle est le privilège des Forces armées et de la Garde Nationale « bolivarienne », qui tuent des manifestants tentant de se défendre avec des moyens rudimentaires. Elles prônent le « dialogue », mais se refusent pour l’instant à manifester leur solidarité à l’égard des députés agressés par les hordes chavistes. En France, l’Assemblée Nationale, le Sénat et le gouvernement d’Emmanuel Macron doivent reconnaître l’Assemblée Nationale (pas la « constituante », qui n’est que l’antichambre d’une tyrannie qui peut encore être évitée) comme la seule instance représentant le peuple vénézuélien. Ceux qui s’y opposeraient seront désavoués par l’opinion publique. Les combattants pour la liberté au Venezuela méritent la solidarité des Français et de leurs élus, envers et contre les « insoumis » de tout poil.  

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