Conflits et Etats en faillite, de quoi l'Afrique a-t-elle vraiment besoin pour s'en sortir ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Soldats français en Centrafrique.
Soldats français en Centrafrique.
©Reuters

Bourbier

Corruption, guerres civiles et famines sont des réalités bien souvent rattachées au continent africain. Pour l'en extirper, l'Occident a trop longtemps cru que les aides au développement suffiraient, mais en quarante ans les choses ont peu changé.

Bernard Lugan

Bernard Lugan

Bernard Lugan est expert auprès du TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda). Il anime un blog www. bernard-lugan.com et il édite par internet une revue mensuelle l’Afrique réelle. Il vient de faire paraître Les guerres d’Afrique des origines à nos jours, 400 pages, 70 cartes et planches en couleur. Le Rocher, 2013.

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Atlantico : L'intervention militaire semble le moyen privilégié par la France en Afrique depuis ce début d'année pour venir en aide à certains pays du continent. Est-ce là la forme d'aide la plus adéquate ? N'entretient-elle pas le sentiment d'assistance du continent vis-à-vis de la France ?

Bernard Lugan : La France a agi dans l’urgence car tant au Mali qu’en RCA, il y avait péril pour les régions concernées et risque de contamination. Le paradoxe est que ce sont des socialistes qui mènent une telle politique, eux qui n’avaient pas de mots assez sévères au sujet de la pseudo "Françafrique". En plus du paradoxe, il nous faut souligner l’incohérence de tels engagements car nos Armées sont de plus en plus sollicitées alors que leurs moyens sont rognés. Nous avons encore les moyens d’intervenir mais avons-nous encore ceux de quadriller et de tenir de vastes zones dans la durée ? La diminution des crédits militaires n’est plus tenable pour nos forces en dépit des discours rassurants du ministre de la Défense.

Lors du sommet France-Afrique des 6 et 7 décembre derniers, François Hollande a reconnu l'échec de la politique d'aide de la France à destination de l'Afrique définie par Mitterrand dans son discours de La Baule. Quelle voie doit-elle suivre désormais afin d'aider véritablement l'Afrique ?

Avec le Discours de La Baule, François Mitterrand  postula que  le développement avait échoué par déficit de démocratie, à la suite de quoi, l’Afrique subit un véritable "diktat démocratique". Le résultat en fut la mathématique électorale, le pouvoir revenant automatiquement aux ethnies les plus nombreuses, ce que j’ai défini  comme l’ethno mathématique. Est-ce cela que le président Hollande voudrait remettre en cause ? Il est permis d’en douter.

Que va t-il proposer pour que les Africains qui viennent de célébrer un demi siècle d’indépendances n’aient plus le ventre vide ? En 2012, 300 millions d’Africains ne mangèrent pas à leur faim. Pourtant, depuis 1960, les productions agricoles africaines ont progressé de plus de 45 %, mais, dans le même intervalle de temps la population du continent augmenta de plus de 110 %. Le calcul du déficit alimentaire est donc vite fait. Va-t-il demander à l’Afrique d’être moins prolifique ?

Les infrastructures de santé se sont quant à elles peu à peu délitées avant de s’effondrer et la pauvreté a atteint des niveaux sidérants avec pour résultat que les Africains sont de plus en plus nombreux à aller chercher de quoi survivre chez leurs anciens colonisateurs. Le président Hollande va-t-il pouvoir changer cet état de fait ?

Nous sommes dans les déclarations d’intention et non dans le concret. Depuis des années, bien des conférences internationales ont ainsi été tenues et bien des milliards dépensés pour rassembler des congressistes aux discours englués dans l’emphase ou dans la guimauve du politiquement correct. Force est hélas de constater que durant les décennies passées, le verbe l’a constamment emporté sur le réel, l’incantation sur l’action et la victimisation sur la réaction. Ainsi, au mois de mars 2002, soit plus de dix ans avant la "prise de conscience" de François Hollande le 6 décembre dernier, à Monterrey, au Mexique, les pays riches avaient déjà reconnu que le résultat d’un demi siècle d’aide à l’Afrique était proche du néant. Cependant, au lieu de remettre en question cette politique, ils ont poursuivi dans la voie sans issue dans laquelle ils se sont engagés et dans laquelle ils ont acculé l’Afrique en promettant d’y déverser encore plus de moyens.

En 2012 la France a consacré près de 2 milliards d'euros d'aide à destination de l'Afrique en vue d'améliorer notamment la distribution en eau, la scolarisation, le réseau d'infrastructures... En dépit de ces aides, la situation ne s'améliore guère. Dans quelle mesure la France peut-elle rendre cette aide financière plus efficace ?

Depuis 1960, le continent africain a  reçu 2000 milliards d’US dollars au titre de l’APD (Aide pour le Développement), soit en moyenne 35 milliards de dollars par an et cela, sans compter les aides privées et les importantes annulations de dettes dont on ne parle quasiment jamais. Les pays riches ont ainsi consenti à l’Afrique de considérables allégements de dette qui s’élevaient à 100 milliards de dollars en 2010 pour une dette totale de 324,7 milliards de dollars.

Entre 1960 et 2010, le continent a reçu près de vingt fois plus que l’Europe avec le plan Marshall. Or, cette aide au développement (APD) l’infantilise car elle  déresponsabilise l’Afrique tout en l’enfermant dans la dépendance puisque  les pays qui en sont devenus tributaires sont de plus en plus nombreux. Aujourd’hui, l’APD représente ainsi plus de 10 % du RNB (revenu national brut) de 28 pays et plus de 20 % du RNB de 10 autres. Pour quel résultat ?

Cependant, gardons-nous des généralisations car les réalités régionales sont différentes et les situations locales contrastées ; c’est d’ailleurs pourquoi je parle  toujours des Afriques et non de l’Afrique. Il est ainsi difficile de comparer les pays enclavés et les pays à façade maritime, les pays producteurs de pétrole et les pays agricoles, ceux qui ont réussi à diversifier leurs productions et ceux qui dépendent d’un ou de deux produits et dont les économies sont  suspendues aux variations des cours mondiaux.

Quels sont les principaux problèmes auxquels doit faire face l'Afrique à l'heure actuelle et qui méritent une vraie réponse de la part de la France ?

Trois grandes raisons expliquent selon moi les principaux blocages du continent :

1 - Dans tous les modèles proposés ou plus exactement imposés à l’Afrique sud saharienne, l’économie a toujours été mise en avant. Or  les vrais problèmes du continent ne sont pas fondamentalement économiques, mais politiques, institutionnels, ethniques et sociologiques.

2 - Nos définitions universalistes nous empêchent, et même, nous interdisent de voir l’évidence de la différence. Or, les Africains ne sont pas des Européens pauvres à la peau noire et  le corps social africain n’est pas celui de l’Europe ou celui de l’Asie. Le maréchal Lyautey disait «"Les Africains sont autres".

3 - Le paradigme de la culpabilité européenne et son pendant, celui de la victimisation de l’Afrique, entretiennent les Africains dans l’idée que tous leurs maux ont une origine extérieure et que leur responsabilité est donc totalement exonérée. Il s’énonce d’une manière aussi claire que fausse : comme leurs grands-parents ont pillé l’Afrique, les Européens d’aujourd’hui sont condamnés à réparer.

Dans le cadre de sa politique d’immigration, la France œuvre à la formation de nombreux jeunes Africains en passe de devenir les futures élites de leurs pays d’origine. Pourtant, rien n’est fait par les pouvoirs publics français pour les inciter à y retourner à la seule fin de construire l’avenir de leurs pays d’origine. De quelle manière la France doit-elle repenser sa politique d’immigration dans cet objectif ?

Ce problème est fondamental pour deux raisons.

La première est que des diplômés quittent l’Afrique où ils sont pourtant indispensables, pour aller s’employer dans le monde développé industrialisé où ils sont en surnombre. Depuis 1990, chaque année, 20 000 diplômés au moins quittent l’Afrique pour s’installer dans les pays du Nord où, aujourd’hui, ils sont environ 6 millions, ce qui fait autant de cadres qui font défaut au continent. L’exemple des médecins est particulièrement éloquent et scandaleux tout à la fois. En effet, il ne se passe pas de jour sans que les médias pointent les carences de l’Afrique dans le domaine médical, à telle enseigne que nombre d’ONG et d’organismes de coopération y envoient d’importantes missions. Or l’Afrique exporte ses personnels médicaux alors qu’elle compte moins de 15 médecins pour 100 000 habitants en moyenne contre 380 en France.

La seconde raison est que le vol des cerveaux est facilité par l’existence de véritables filières d’émigration-immigration reposant sur l’alibi des études. C’est ainsi  que les étudiants africains, très majoritaires dans certaines filières permettent à ces dernières d’exister ou même de survivre. Tous les universitaires pourraient citer les exemples de ces filières alibi, essentiellement en Sciences humaines, et qui fonctionnent sur le modèle du "gagnant-gagnant" : elles sont le moyen d’obtenir des visas, et pour les filières moribondes car sans débouchés, elles sont la planche da salut permettant de justifier postes et crédits… Qui osera s’attaquer à ce scandale ?

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