Comment les bactéries de votre estomac dictent les envies d'aliments<!-- --> | Atlantico.fr
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Une petite envie de fraises ?
Une petite envie de fraises ?
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Miam miam miam

Vous vous demandez pourquoi vous voulez une salade plutôt qu'un macaron ? La faute aux bactéries de notre estomac qui auraient une part de responsabilité dans nos comportements alimentaires.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Des chercheurs de l’University College San Francisco, de l’Arizona State University et de l’University of New Mexico expliquent dans une étude que nos comportements alimentaires dépendent en partie des bactéries présentes dans notre estomac. Com­ment des bactéries présentes dans notre estomac pourraient-elles avoir une influence sur nos habitudes alimentaires ? Ont-elles une influence sur nos nerfs ou notre cerveau ?

Stéphane Gayet : On appelle "microbiote gastro-intestinal" la flore microbienne —de « microbe » ou plutôt "microorganisme" : organisme invisible à l’œil nu ; les microorganismes vivants sont essentiellement les bactéries, d’une taille de l’ordre de quelques millièmes de mil­limètre ou microns, et accessoirement les champignons microscopiques— extrêmement nombreuse et diversifiée qui colonise et habite notre estomac, en fait surtout notre in­testin (l’estomac est très acide et peu de microorganismes y persistent). Notre micro­biote gastro-intestinal est constitué de quelque cent mille milliards de bactéries. Des analyses biologiques très poussées et complexes ont permis de découvrir le rôle clé qu’il joue dans notre métabolisme énergétique et d’apercevoir comment ce microbiote varie avec l’âge, les conditions de vie, et les caractéristiques de chacun. Chaque individu se caractérise par un microbiote distinct. Or, ces bactéries gastro-intestinales ont une ac­tion importante sur les aliments qu’elles décomposent et transforment, mais chacune d’une façon différente —en fait, pas tout à fait : les différences se situent entre les groupes de bactéries ; c’est ainsi que l’on propose de distinguer trois types de micro­biotes intestinaux chez l’homme selon les groupes de bactéries constitutives. Les molécules issues de la décomposition et de la transformation des aliments ont ensuite une action sur l’expression de certains gènes régulateurs de notre métabolisme. Cela va moduler la sécrétion d’hormones gastro-intestinales qui jouent elles-mêmes un rôle sur la faim ou au contraire la satiété et sur l’évolution du tissu graisseux —augmentation ou au contraire diminution. Ainsi, notre microbiote personnel a une façon particulière de transformer nos aliments, et les molécules qui en sont issues agissent sur des récepteurs qui gouvernent notre comportement alimentaire et notre masse grasse. C’est un phénomène métabolique et endocrinien (hormones, comme l’insuline) : le cerveau n’intervient ici que dans la perception consciente du besoin de manger ou au contraire de la satiété, et dans les actions réflexes que cette perception suscite.

Quelles sont les bactéries qui donnent envie de manger des aliments gras ? Des aliments sucrés ? Des légumes ? 

Nous n’en sommes pas encore là. La faim sélective pour tel ou tel type d’aliment est un phénomène fort complexe, gouverné à la fois par notre hérédité, nos habitudes, nos expériences, les aliments dont nous disposons et ceux au contraire dont nous ne disposons pas, notre âge, notre état de santé, nos soucis, notre activité physique, notre environnement, etc. De plus, il est bon de rappeler qu’une alimentation bonne pour notre santé est une alimentation à la fois variée, équilibrée et modérée en quantité.

Peut-on avoir une influence sur ces bactéries ? Est-il possible de changer la composition bactériologique de notre estomac, permettant ainsi de contrôler nos fringales ?

Expérimentalement, des chercheurs ont réussi à modifier le comportement alimentaire et métabolique de souris en leur "transplantant" des bactéries de souris à comporte­ment alimentaire et métabolique différent. C’est du reste avec ces expérimentations animales que l’on a réussi à mettre en évidence le rôle du microbiote sur le comporte­ment alimentaire. Ainsi, des scientifiques sont parvenus à rendre obèses des souris qui ne l’étaient pas, uniquement en leur transplantant un microbiote de souris obèse. Cette découverte est impressionnante. Mais cela reste de l’expérimentation animale d’une part, et concernant l’obésité seule d’autre part. Donc, une chose est certaine, le micro­biote intestinal est un élément important qui participe à déterminer notre phé­notype, c’est-à-dire ce que nous sommes —à la différence de notre génotype, c’est-à-dire l’information que nos chromosomes détiennent. Or, la composition et l’activité métabolique de ce microbiote sont elles-mêmes influencées par notre alimentation, notre environnement, nos maladies présentes ou passées, nos traitements médicamenteux et d’autres facteurs, connus ou encore inconnus. Mais actuellement, il est trop tôt et le sujet est trop complexe pour pouvoir avancer que telle modification alimentaire ou telle prise médicamenteuse vont modifier notre microbiote gastro-intestinal de telle ou telle façon avec telle ou telle conséquence sur notre masse grasse. Il y a encore beaucoup d’aspects à étudier et à éclaircir, c’est un immense champ de travail scientifique.

Outre les envies de manger des aliments spécifiques, ces bactéries ont-elles d'autres conséquences sur notre organisme ?

Nous l’avons vu, le microbiote gastro-intestinal est à la fois extrêmement nombreux et diversifié. A côté de l’impact de certaines bactéries intestinales sur notre comportement alimentaire et notre masse grasse, elles exercent bien d’autres actions. On a trop souvent une vision négative des "microbes" ou plutôt des "microorganismes", ici des bactéries. Or, si l’on considère l’immensité du monde bactérien, les bactéries pathogènes pour l’homme ne sont qu’une infime minorité. La flore bactérienne intestinale n’échappe pas à cette règle et ces bactéries nous sont en grande majorité bénéfiques. Certaines bactéries nous protègent des bactéries pathogènes (bactéries dites "barrières"), d’autres sont nécessaires à l’assimilation de certains aliments, d’autres à la synthèse de certaines vitamines (comme la vitamine K ; les vitamines sont des substances indispensables, mais pour lesquelles de très petites quantités sont suffisantes), pour ne citer que quelques rôles utiles. Il est manifeste que cette flore intestinale qui nous habite a encore bien des secrets à nous livrer. Faut-il par ailleurs rappeler que l’odeur nauséabonde des matières fécales vient des gaz produits par les bactéries du gros intestin ou colon et que la décomposition des cadavres est opérée par ces mêmes bactéries ? 

Ces bactéries sont aussi accusées de provoquer le cancer de l'estomac. Est-ce pos­sible ? Avons-nous des moyens d'éliminer les "mauvaises bactéries" de notre estomac ?

Avec cette question, nous en arrivons aux bactéries gastro-intestinales pathogènes. Certaines bactéries sont responsables de diarrhée aiguë, fébrile ou non, comme les salmonelles et les shigelles, d’autres sont impliquées dans la formation de l’ulcèregastroduodénal, comme helicobacter. Cette dernière bactérie est également un important facteur favorisant du cancer de l’estomac. D’autres bactéries sont incriminées dans la survenue de maladies chroniques de l’intestin grêle ou du gros intestin, le colon. Il est certain que ces découvertes débouchent théoriquement sur la possibilité de traitements antibiotiques, armes parmi les plus efficaces contre les bactéries. C’est prouvé en ce qui concerne l’ulcère gastroduodénal ; pour les autres maladies, il y a des essais de résultats divergents. Mais attention, un antibiotique tue un très grand nombre de bactéries et bouscule de ce fait tout notre écosystème bactérien digestif. Et puis il y a de plus en plus de résistances bactériennes aux antibiotiques. L’antibiothérapie est finalement un moyen parmi d’autres de lutter contre les bactéries pathogènes ; ce n’est peut-être pas ou plus forcément le meilleur.

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