Comment le recours aux cabinets de conseil accélère l’ubérisation de la société<!-- --> | Atlantico.fr
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Audrey Woillet, Eugène Favier-Baron, Adrien Saint-Fargeau, Simon Woillet publient « Consultocratie Les nouveaux mandarins » chez FYP éditions;
Audrey Woillet, Eugène Favier-Baron, Adrien Saint-Fargeau, Simon Woillet publient « Consultocratie Les nouveaux mandarins » chez FYP éditions;
©LIONEL BONAVENTURE / AFP

Bonnes feuilles

Audrey Woillet, Eugène Favier-Baron, Adrien Saint-Fargeau, Simon Woillet publient « Consultocratie Les nouveaux mandarins » chez FYP éditions. Au-delà du scandale McKinsey, cet essai choc et salutaire montre que le recours systématique au consulting correspond à un véritable bouleversement démocratique. Extrait 2/2.

Audrey Woillet

Audrey Woillet

Diplômée de l’École normale supérieure de Lyon en philosophie, Audrey Woillet est responsable de la rubrique numérique du média en ligne Le Vent Se Lève (LVSL).

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Eugène Favier-Baron

Eugène Favier-Baron

Eugène Favier-Baron est doctorant en philosophie des médias et des techniques à l’université Grenoble-Alpes, ainsi qu’à l’université Libre de Bruxelles.

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Adrien Saint-Fargeau

Adrien Saint-Fargeau

Adrien Saint-Fargeau est analyste politique pour différents médias.

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Simon Woillet

Simon Woillet

Professeur de philosophie, doctorant en littérature comparée, Simon Woillet est responsable de la rubrique idées du média LVSL et membre de l’Institut Rousseau.

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Les cabinets de conseil sont prompts à recommander en permanence la numérisation tous azimuts de l'État, des services publics et de la sphère économique. Le problème tient à ce qu'ils sont dans ce cas juge et partie : les rapports qu'ils rédigent soit sous la commande publique, soit à leur initiative, mais en vue de l'obtention de marchés publics apparaissent ainsi comme un levier majeur de justification de leur intervention au sein de l'administration et des entreprises comme installateurs de ces nouvelles technologies, prestataires de gestion et formateurs en nouvelles pratiques professionnelles. Cependant, l'efficacité concrète des productions des consultants, en particulier dans le domaine de l'informatique, est souvent difficile à évaluer et se voit souvent épinglée dans la presse. Les sociologues Frédéric Pierru166 et Isabelle Berrebi-Hoffmann montrent dans leurs travaux que la structure même du mode de fonctionnement de ces prestations rend bien souvent difficiles la mesure de la qualité ou de la réussite opérationnelle des projets ainsi menés. Frédéric Pierru explique que l’action des cabinets de conseil reçoit régulièrement un accueil mitigé de la part des fonctionnaires qui sont amenés à travailler avec eux ou à récupérer les modes d’organisation et les services technologiques ou RH qu’ils fournissent : « Pour l’administrateur civil précité, la forme emporte le fond, car les patterns dont usent (et abusent) les consultants dans leurs PowerPoint formatent l’espace du pensable pour les hauts fonctionnaires chargés de porter la réforme. Autrement dit, la mise en forme par les consultants des principes d’organisation arrêtés lors des réunions du groupe ne serait pas neutre ou transparente : elle aurait pour effet d’imposer la logique des outils des consultants, élaborés hors de l’administration, dans le secteur industriel, aux concepteurs de la réforme, particulièrement sur le volet “ressources humaines. »

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Selon Isabelle Berrebi-Hoffmann, en particulier en ce qui concerne les sociétés de conseil en informatisation des services, les SSII, les liens hiérarchiques — et donc le contrôle qualité pouvant aller avec — sont contredits par la technicité des tâches demandées. Le manager est souvent dépassé par son subordonné et il en va de même au bout de la chaîne pour le commanditaire public. La sociologue résume ainsi le problème : « Rien ne garantit en fait la qualité de la prestation, les consultants peuvent déployer des efforts d’inégale ampleur. Le contrôle est d’autant moins aisé que les responsables hiérarchiques sont souvent dépassés techniquement. On comprend dans ces conditions que la relation employeur/employé se rapproche d’un modèle client/fournisseur, voire en relève directement. Ainsi, dans certaines entreprises de conseil en informatique — surtout aux États-Unis — une proportion non négligeable des employés est constituée de free-lance, c’est-à-dire d’entrepreneurs individuels non-salariés facturant des honoraires. »

Pour l’économiste Jason E. Smith, la numérisation des économies et services publics, évangile des cabinets de conseil, peut être lue comme la cause historique d’une nouvelle répartition des revenus qui crée une stagnation économique. L’ubérisation produit en effet une casse sociale et une stagnation économique liée à la contraction des salaires et de la stabilité de l’emploi peu qualifié. Appliquée aux services publics, elle accompagne le mouvement de l’individualisation des prestations sociales, en vue de leur contraction budgétaire. En limitant l’efficacité de la circulation de valeur, en concentrant la totalité dans les professions intellectuelles et en renforçant tous les jours un peu plus la massification d’un sous-prolétariat hautement déqualifié de jobs ubérisés (livreurs, centres d’appel, gig workers, travailleurs précaires encadrés par de nouvelles plateformes d’intérim ou spécialisées dans un secteur comme le baby-sitting, les cours particuliers, les techniciens de surface, la logistique…), cette tendance économique tue la croissance selon J.E. Smith. La smile curve décrite avec une franchise désarmante par Stan Shih, fondateur d’Acer, devrait ainsi nous inciter à une forme de prudence quant aux promesses de croissance mirifiques vantées par les cabinets privés qui vendent le développement de technologies de surveillance toujours au service d’une segmentation accrue des populations afin de se créer des opportunités de marché, qu’on pense seulement au e-learning ou à la e-santé, reposant sur l’accès des entreprises privées aux données privées des citoyens.

Extrait du livre d’Audrey Woillet, d’Eugène Favier-Baron, d’Adrien Saint-Fargeau et de Simon Woillet, «  Consultocratie Les nouveaux mandarins », publié chez FYP éditions

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