Comment la société est prise en étau face au recul des libertés et face à la poussée des affirmations identitaires <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Société
Comment la société est prise en étau face au recul des libertés et face à la poussée des affirmations identitaires
©Benjamin CREMEL / AFP

Conséquences insidieuses

Guylain Chevrier revient sur le sondage IFOP-Charlie Hebdo sur le droit au blasphème après l'affaire Mila. Guylain Chevrier était intervenu sur les ondes de Sud Radio lors d'une émission où Abdallah Zekri, délégué général du CFCM, était invité.

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

Voir la bio »

Atlantico.fr : Un sondage IFOP-Charlie Hebdo publié le 4 février montre que 50% des 2005 personnes interrogées sont contre le droit au blasphème et que 53% d'entre eux soutiennent Mila. De plus, des personnalités publiques comme Abdallah Zekri (délégué général du CFCM) se sont montrées virulentes a l'encontre de l'adolescente, utilisant l'expression "qui sème le vent récolte la tempête" pour dédouaner de toute responsabilité les détracteurs de Mila ou encore Damien Abad - élu Les Républicains -  qui a dit sur LCI : "Je souhaite la liberté d'expression la plus totale, mais quand elle est détournée pour créer de la haine anti-religieuse, alors oui, il y a une barrière à mettre."

Que pensez-vous de ce sondage ? Est-il inquiétant que 50% des Français se prononcent contre le droit au blasphème ? Qu'est-ce que cela dit de l'état de la liberté d'expression en France ?

Guylain Chevrier : Tout d’abord, et pour modérer la teneur de ce qui ressort ici à travers des chiffres, beaucoup de personnes qui n’ont pas suivi le pourquoi des propos de la jeune fille, on tendance à ne retenir que le caractère outrageant de sa réponse, rappelons-le à des insultes et des menaces de mort, et donc que le caractère d’irrespect de celle-ci. On en vient à confondre ainsi droit de critique des religions et d’outrage à ce qui n’est qu’une idée, celle de dieu, avec la discrimination des personnes pratiquant un culte. Mais en cela, elles ne font que reproduire les dires de Madame Belloubet, ministre de la justice, qui n’a rien fait d’autre avant de corriger le tir en étant rappelée à l’ordre par diverses voix venues de la société civile, et Mme Royal qui n’a pas fait mieux. Ayons à l’esprit que l’on peut de la même façon dire des injures envers l’athéisme, et il arrive fréquemment que des croyants envoient des grossièretés à leur dieu et blasphèment, lorsqu’ils ne sont pas contents.

C’est à l’image d’une société qui recule du point de vue des libertés et de la façon dont elles sont partagées, face à cette poussée des affirmations identitaires au cœur de laquelle se trouve l’islam communautariste, qu’on ne contrarie que peu sinon qu’on encourage au jeu du clientélisme politico-religieux. Les chiffres des actes xénophobes et racistes ont augmenté de 130% en 2019 en raison de « l’extrémisme identitaire » explique le ministère de l’Intérieur, ce qui devrait alerter. Les actes antisémites après avoir augmenté de 74% en 2018 augmentent encore de 27% en 2019. Il semble que l’on ne mesure plus bien ce qui se trouve au fondement de notre condition d’Homme libre, de citoyen, que représente le contenu de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme. Tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. » On ne se rappelle plus que Diderot a séjourné dans la prison de Vincennes en juillet 1749, suite à la publication de sa Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient, montrant clairement une vision matérialiste et athée, qui ne pouvait que le conduire en prison dans une période dominée par l’Eglise catholique. Il avait osé se questionner sur la place des aveugles dans la société, remettant en cause le dogme qui veut que seul Dieu décide de la place assignée à chacun, remettant ainsi en cause celle des indigents servant la bonne conscience d’une charité chrétienne bien ordonnée. Ou encore, que le roi, de droit divin, par simple « lettre de cachet » pouvait vous faire emprisonner à sa guise sans limite ni procès. 

Rappelons-nous que, lors des attentats de Charlie Hebdo, le Pape avait déclaré, relativement aux caricatures de Mahomet, que si on insultait sa mère il donnerait un coup de poing, pour illustrer sa défiance envers la liberté de pensée et d’expression. Monsieur Abdallah Zekri, délégué du CFCM, a dit à propos de la jeune fille qu’elle l’a bien cherché, en raison de sa parole critique, et donc d’être ainsi insultée et harcelée au nom de l’islam, de façon renversante. Qui du sommet de l’Etat a donc réagi aux propos de cet individu ? Néant. Pour soutenir cette jeune fille ? Pas plus. Ceci, alors qu’on lui a promis de la retrouver partout où elle irait, avec des menaces directes si elle revenait dans son lycée. Elle se trouve depuis déscolarisée.

Si les violences employées par les uns leur permettent d'avoir un statut protégé, n'y a-t-il pas un vrai danger d'escalade de la violence de la part des autres ? En refusant d'accepter le droit au blasphème, ces 50% de français ne sont-ils pas en train de rentrer dans une logique de peur et, de fait, de renforcer ses détracteurs ? Pourquoi un tel consentement ?

Les propos violents, jusqu’à dire « on va t’égorger », qui ne sont pas massivement dénoncés, alors que l’on s’attarde pour s’interroger sur le caractère plus ou moins irrespectueux des propos de Mila, doit nous inquiéter. On a tellement concédé au à l’idée qu’il serait sacré de répondre au besoin de lieu de culte des musulmans comme à un droit, au nom de l’égalité entre les religions qui n’existe dans aucune référence juridique, que l’on a induit que la France aurait comme une dette ici, qui intimiderait. On justifie le développement de ce que l’on appelle l’enseignement du fait religieux à l’école, en prétendant ainsi mieux intégrer d’abord par la prise en compte des différences au lieu des principes républicains, créant ainsi un climat d’intouchabilité dont on voit le résultat. D’autant que l’on ne cesse d’utiliser l’alibi colonial pour justifier d’aller dans ce sens, du sommet même de l’Etat, lorsque le président de la République fait le parallèle récemment entre la Shoah et les enjeux mémoriels de la guerre d’Algérie, hors de toute proportion, pour prendre les personnes issues de l’immigration maghrébine dans le sens du poil…

Face à la pression communautaire teintée de communautarisme qui coure, l’Etat ne répond pas voire entre dans son jeu. On encourage ainsi le repli des esprits et la peur, c’est certain, alors que nous sommes en pleine confusion. Le président de la République devant les évêques de France au Collège des Bernardins en avril 2018 a déclaré que le lien (de l’Etat) avec l’Eglise avait été abîmé et qu’il fallait le réparer. Dans le cadre du Grand débat, il a proposé d’amender la loi de séparation des Eglises et de l’Etat pour l‘adapter à l’islam et aux attentes des quartiers, ce qui n’a pu heureusement jusqu’alors aboutir. Il ne manque pas une occasion de jouer avec les religions alors que l’on attend depuis le début de sa mandature une déclaration claire sur la laïcité qui nous permette de revenir aux fondements républicains de notre lien social, en replaçant les religions à leur place, au même titre que les corps intermédiaires de notre société. Il n’est d’ailleurs pas surprenant que dans ces conditions 54 % des électeurs d’Emmanuel Macron soient favorables au délit de blasphème dans ce sondage. 

A la suite de ses propos, Mila a dû être déscolarisée et n'a toujours pas été accueillie dans un nouvel établissement. Peut-on parler de lâcheté de la part de l'éducation nationale ? Pourquoi un tel silence autour de ce problème ?

Lundi matin lors d'un point presse, Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Éducation nationale, a assuré "aider" la lycéenne déscolarisée pour qu’elle retrouve un établissement qui l’accueille. Mais pourquoi ne peut-il pas dire qu’elle doit être rescolarisée dans son établissement et que les individus qui, le cas échéant, voudraient s’en prendre à elle seront poursuivis sans concession, tout en proposant une présence policière à l’abord de cet établissement ? On banalise et on encourage ainsi que se reproduisent ce genre de faits, et donc, on contribue ainsi à un climat d’intimidation vis-à-vis d’un islam revendicatif et vindicatif porté par certains, voire d’intention criminel envers ceux qui « blasphèment ».

Il faut dire aussi que bien des associations de défense des Droits de l’homme ou assimilées, promptes à se mobiliser pour les migrants ou pour les femmes voilées qui en revendiquent le port partout, organisations généralement identifiées à gauche, ne se bousculent pas pour défendre cette jeune fille, alors qu’elles lancent comme la Ligue des droits de l’Homme, des appels à manifester avec des militants de l’islam politique, tel que pour la manifestation du 10 novembre dernier dite contre « l’islamophobie », terme qui justifie le délit de blasphème. Elles ont signé récemment, Ligue des droits de l’Homme, Libre pensée, FCPE, Ligue de l’enseignement, CGT…,  une tribune avec le Collectif contre l’islamophobie en France (CCCIF), organisation proche des Frères musulmans dont on connait le rôle dans la promotion du communautarisme, à front renversé avec notre République laïque. Elles ont perdu depuis un bon moment le Nord.

La liberté de pensée et d’expression est fondamentale à un peuple de citoyens, pour qu’il puisse définir le destin commun de la nation, par-delà les différences et les attaches particulières de chacun. C’est ainsi un enjeu de liberté et de démocratie qu’une libre critique des religions et de toute chose puisse avoir cours, alors qu’il s’agit de continuer de garantir que le peuple soit bien toujours la source du pouvoir politique et non un dieu. C’est notre idée même de faire société ensemble qui est ici mise en question, et de la responsabilité de ceux qui nous gouvernent de rétablir une situation qui voit des libertés parmi les plus précieuses de l’homme être remise ne cause, désaffectées par une partie non négligeable de nos concitoyens. Ne pas le vouloir, c’est nous faire courir ce risque d’une séquence qui historiquement commence toujours ainsi, la défection des élites précédant le chaos.

Pour découvrir l'analyse d'Edouard Husson et d'Yves Michaud sur ce sujet, retrouvez cet article publié sur Atlantico : ICI

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !