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L'ancien ministre français de l'Economie, Arnaud Montebourg, annonce sa candidature à l'élection présidentielle, le 4 septembre 2021, à Clamecy.
L'ancien ministre français de l'Economie, Arnaud Montebourg, annonce sa candidature à l'élection présidentielle, le 4 septembre 2021, à Clamecy.
©JEAN-PHILIPPE KSIAZEK / AFP

Atlantico Business

La réindustrialisation de la France des régions sera forcément au programme des prochains débats et les chefs d’entreprises recherchent les moyens de relocaliser des productions. Leurs efforts seront vains, tant que les syndicats ne coopèreront pas.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Arnaud Montebourg est donc entré dans la course à la présidence de la République avec le maillot du made in France et le projet de relocaliser l’industrie dans l’Hexagone. Il va se retrouver avec une concurrence sévère parce que tout le monde est évidemment pour une relocalisation industrielle. Tout le monde ne peut que regretter la désertification industrielle de l'Hexagone ou les effets pervers de la mondialisation aveugle. 

La quasi-totalité des partis politiques et des candidats à la présidence de la République ont mis à leur programme la critique de la mondialisation et la nécessité de réguler les flux financiers d’investissement et donc l’effort de relocalisation.

Arnaud Montebourg n’est que le dernier en date à descendre sur le marché politique, avec une offre de « remontada française ». Les partis écologiques plaident tous pour le retour d’une économie de proximité et la multiplication de circuits courts, de façon à s'épargner des émissions de CO2 liés au transport de marchandises, des matières premières et d’énergie.

Quant aux chefs d’entreprise eux-mêmes, ils reconnaissent que la crise du Covid a mis l’accent sur l’éclatement des chaines de valeur dans le monde et sur le risque de rupture de livraison, ce qui fait que la plupart des acteurs sont désormais convertis à la nécessité de diversifier les approvisionnements et surtout de rapprocher les centres de production.

Les syndicats, eux, ont mis aussi en tête de leurs revendications, la nécessité de fabriquer français pour répondre à la grogne, et parfois même à la colère, des classes moyennes de province qui se sentent exclues des effets bénéfiques de la modernité. 

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Mais ce qui est surréaliste dans cette campagne qui plaide pour un reploiement national, c’est que personne n’explique la faisabilité du modèle. Comment faire et à quel prix ? Tous ces acteurs ont la mémoire courte parce que, tous ont, peu ou prou, favorisé parfois sans le savoir, l‘expatriation de beaucoup d‘activités.

Le mouvement de délocalisation a démarré dans les années 1973, après la première crise pétrolière, pour s’accélérer à partir de 1990. Il a d‘abord affecté l’industrie textile, puis l’industrie des biens d’équipement (électroménager et automobile notamment). Les usines françaises ont fermé les unes après les autres, et les grandes marques en ont ouvert de nouvelles en Tunisie, en Turquie, puis en Europe de l’Est et en Inde ou en Chine.

Ou alors elles ont dealé des accords de fabrication avec des manufacturiers locaux. Le sourcing de fournisseurs localisés en Asie est devenu le sport mondial à la mode chez les Occidentaux.

Le mouvement de délocalisation s’est inscrit dans un vaste mouvement de mondialisation, d’ouverture des frontières et d’adoption universelle du système d’économie de marché.

Mais ce mouvement de globalisation n’entrainait pas mécaniquement la fermeture des usines de fabrication en France. Nos industriels se sont souvent justifiés en expliquant que   que leur développement futur dépendait de leur capacité à se rapprocher des centres de consommation nouveaux.  C’était sans doute vrai, sauf que ça n’est pas la seule explication. Les usines industrielles ont fermé dans l’Hexagone pour d’autres raisons.

D’abord, il leur fallait répondre à un impératif prix. Les pays émergents ont donc fabriqué à bas prix nos objets de consommation courante. Les automobiles low-cost de Renault ne pouvaient pas être fabriquées en France, elles auraient été trop chères. Les fabrications en Europe de l’Est ou en Chine ont permis de toucher les marchés locaux, mais aussi de revenir dans l’Hexagone à un prix plus abordable. Bref, les délocalisations ont permis de fabriquer du pouvoir d’achat au bénéfice des consommateurs français.

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Ensuite, cette délocalisation a été encouragée par l’Etat qui n’a pas cessé d’imposer des charges sociales, et donc un coût du travail insupportable et des normes de fabrication qui revenaient à majorer le prix.

Enfin, il faut reconnaître que la main d’œuvre qualifiée pour l’industrie est venue à manquer dans l’Hexagone.

Avec le recul, il faut bien reconnaître que tous ceux qui critiquent la mondialisation et la nécessité de rapatrier la production sont aussi ceux qu'il y a, 30 ans, ont installé les conditions favorables à ces délocalisations. Les syndicats et la gauche (mais pas que) ont beaucoup critiqué les excès de la mondialisation et les délocalisations, alors qu’ils ont été les premiers à favoriser le mouvement.

Quand les syndicats ont systématiquement demandé des augmentations de pouvoir d’achat, donc des hausses de salaires, sans veiller à ce que ces hausses correspondent à des gains de productivité, ils travaillaient sans le savoir à préparer les délocalisations.

Quand l’Etat s’est mis à charger de plus en plus les salaires pour financer un modèle social de plus en plus généreux, l’Etat a participé à l’expatriation de forces de production.

Et on ne peut pas dire que l’Education nationale avait une conscience aiguë de la nécessité de disposer d’une main d’œuvre de qualité sur le marché français dans le secteur industriel.

Cerise sur le gâteau : l’Etat, les partis politiques, les gouvernances et l’administration ont cherché, pour calmer le jeu social, à maintenir coute que coute en vie une usine condamnée, mais aucun acteur sérieux n’a jamais réussi à sauver une entreprise condamnée. Cela dit, en s’opposant à ce que Schumpeter appelait la nécessaire destruction créatrice, ils décourageaient les investisseurs de trouver des solutions alternatives. Toutes les régions de France pourraient donner, chacune, plusieurs exemples de fermetures d’usines consécutives à l’un échec programmé d’un repreneur.

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Cette fatalité a tué l’industrie française, alors que l’Allemagne, avec le poids et le dynamisme de ses entreprises moyennes, a échappé aux vagues de délocalisation successives. L’Italie, avec ses vallées aussi.

Maintenant, la relocalisation promise peut-elle se réaliser comme le promettent les partis politiques et les syndicats ? Elle peut évidemment s’organiser, mais à condition que tous les acteurs qui sont partie prenante jouent le jeu.

Les syndicats, au niveau des négociations, doivent privilégier la création d’emplois sur tout autre facteur. Les mêmes syndicats doivent intégrer le fait que la contrainte emploi national aura une conséquence sur le prix de revient et par conséquent, il faudra, dans la négociation, assumer le risque que le consommateur peut ne pas suivre sur les prix.

Les acteurs politiques auront, eux aussi, un énorme effort pour considérer que la production locale a un cout. Les agriculteurs connaissent bien cette contrainte. Si les agriculteurs savaient que le consommateur accepterait le produit bio et son prix de revient, ils ne produiraient que bio.

Quand Arnaud Montebourg annonce, avec beaucoup de détermination, le retour d’une industrie en France, il a mille fois raison. Mais quand, dans le même programme, il promet une augmentation des salaires de 10 %, on sait qu’il tuera plus d’entreprises qu’il ne pourra en faire venir.

Le made in France est un formidable défi, mais qu’on le veuille ou non, il sera toujours limité au taux d’acceptation du client national et sa préférence pour le prix.

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