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Commémoration de l’esclavage : la repentance, réel facteur de division des Français
©Reuters

La tyrannie des bons sentiments

Le député et vice-président de l'UMP Thierry Mariani s'est attiré de vives critiques après avoir publié un tweet rappelant que "l'Afrique n'a pas attendu l'Occident pour pratiquer l'esclavage". Une déclaration qui, hasard du calendrier, est tombée peu de temps avant la journée officielle de commémoration de la traite, de l'esclavage et de leurs abolitions, qui se tient ce samedi 10 mai.

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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"L'enlèvement par la secte Boko Haram rappelle que l'Afrique n'a pas attendu l'Occident pour pratiquer l'esclavage. Déculpabilisation.", écrit Thierry Mariani, sur Twitter. C’est cette phrase qui a déclenché immédiatement sur les réseaux sociaux et du côté d’une certaine gauche, un tir de barrage virulent. Dans un communiqué, les députés PS Yann Galut et Alexis Bachelay jugent "cette attitude indigne d'un élu républicain" et demandent que M. Mariani "soit démis de sesfonctions de vice-président de l'UMP". Dans un communiqué, Thierry Mariani insiste, "Ma réaction sur Twitter est simplement le rappel d'une vérité historique. En effet, l'esclavage en Afrique est une pratique qui remonte bien avant l'arrivée des Occidentaux."

Par-delà la polémique, le thème est révélateur de l'utilisation de la culpabilité sur le mode de la repentance, qui empêche tout débat sur un certain nombre d'objets de l'histoire dite "mémorielle". Peut-on encore débattre autour de la façon de se remémorer l’histoire de l’esclavage ou les lois mémorielles empêcheraient-elles tout débat, au risque d'être immédiatement sanctionné par une mise en procès pour racisme?

Il semble que l’histoire se fabrique sous l’influence d’une d’actualité et d’une visée politique qui lui passent commande, plus qu’on ne cherche à faire qu’elle rende vraiment compte du passé, ce pour quoi pourtant elle est faite. 

Il ne s’agit nullement de défendre Monsieur Mariani ici, mais de prendre le contrepied idéologique de ses détracteurs qui d’une certaine façon lui donnent raison par leur manière moralisante de l’attaquer.

Les deux députés PS développent  dans leur communiqué : "Ces déclarations s'inscrivent dans la droite ligne de la stratégie du Front national, dont un maire a refusé à Villers-Cotterêts de participer à la journée de commémoration de l'esclavage, prétextant un rituel de culpabilisation. Si l'esclavage existait déjà dans les sociétés antiques, et si la traite des humains reste aujourd'hui un problème crucial, nierl'importance de la traite industrielle organisée par les Européens à l'époque moderne et pendant une partie du XIXe siècle est hautement problématique."

Pourquoi lorsque les deux députés font référence à l’esclavage dans l’histoire, ne parlent-ils que des "sociétés antiques" et insistent-ils si fort sur "la traite industrielle organisée par les Européens à l'époque moderne" comme "hautement problématique", en oubliant d’autres références plus qu’essentielles ? Une attitude qui converge dans le sens de l’esprit de la loi à l’origine de la commémoration française de l’abolition, qui ne retenait que la traite et l’esclavage dont s’était rendu responsable l’Occident, comme Crime contre l’humanité. Lisons donc ce qu’a écrit le grand historien Marc Ferro dans son ouvrage "Le livre noir du colonialisme" à propos de l’histoire de l’esclavage à laquelle se réfèrent les deux députés qui ne veulent pas entendre parler de l’esclavage en Afrique mené entre Africains ou ailleurs par d’autres, qu’évoque Thierry Mariani : L’esclavage existait également en Afrique noire, la forme domestique y étant aussi la dominante. Les esclaves y représentaient un produit d’exportation vers l’Afrique du Nord, ce commerce étant alors aux mains des Arabes : du IXe au XVe siècle, ce trafic s’y développa ; la majorité des victimes étaient des femmes et des enfants. (…) Au total, avant l’arrivée des Européens, de 3,5 à 10 millions d’Africains furent ainsi déportés… Mais le meilleur si je puis dire vient ensuite : Pour la tradition anticolonialiste, devenue tiers-mondiste, évoquer les excès commis par les victimes de la colonisation est en quelque sorte un tabou. Autant elle stigmatise le racisme des Européens, la manière dont ils ont pratiqué la traite et l’esclavage, autant elle demeure discrète sur ces mêmes pratiques commises aussi par les Arabes (pages 135-136). Encore plus, il explique que pour les victimes des Arabes - les Noirs d’Afrique central et occidentale -, ils ne parlent que rarement, et avec gêne, de cette période antérieure à la colonisation européenne. Quand il s’agit d’évoquer l’islam d’origine et les razzias des Arabes, la main de l’historien africain tremble encore… nous dit-il (Marc Ferro, Le livre noir du colonialisme, Hachette, 2003, pages 135 et suivantes).

Le vice-président de l’UMP est donc accusé du fait que ses déclarations soient en droite ligne de la stratégie du FN, alors que sa remarque, toute tendancieuse qu’elle soit dans la façon dont elle est exprimée, ne se fait que l’écho d’une histoire qui, bien que cachée, n’en est pas moins la vraie. D’autre part, il n’a nullement appelé à ne pas commémorer l’abolition de l’esclavage ce 10 mai, ce que l’on pourrait penser en suivant les propos de ses détracteurs.

Le tweet du responsable UMP a suscité des centaines de commentaires indignés sur le réseau social, la plupart l’insultant en le traitant de tous les noms. "Ah bon ça va alors, on peut recommencer?", "votre xénophobie n'a absolument aucune limite, cela confine à l'obsession", "le tweet le plus débile qu'il m'ait été donné de lire de ma vie", "400 ans d'esclavage + la colonisation, et il ose tenir des propos"

On y trouve les raccourcis systématiques que l’on rencontre dès que l’on aborde les questions sensibles de l’immigration ou de l’islam, toute critique ou questionnement à cet endroit étant ramenée à la condition de xénophobie, de racisme ou d’islamophobie, confinant à la défense des thèses du FN.

En réalité, nous avons affaire derrière toutes ces critiques à une levée de bouclier au ressort purement idéologique, à une manipulation des esprits dont le vecteur psychologique est une démarche de culpabilisation-repentance qui invite à l’idée du pardon et de la réparation, comme s’il revenait au peuple et à la République d’aujourd’hui de faire acte de contrition et pour des faits que la République n’a d’ailleurs jamais tolérés.

Rappelons que la République a aboli deux fois l’esclavage, la première en 1794 (4 février) dans le prolongement de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen à l’aune d’un discours magnifique de Robespierre sur l’égalité entre les hommes, puis qu’elle fut rétablie par Bonaparte en 1802 (20 mai) sous le règne de son pouvoir personnel, et enfin qu’elle fut définitivement abolie en 1848 (27 avril), comme l’un des tous premiers actes de la seconde République, la fameuse République sociale, sous l’impulsion de Victor Schœlcher, sous-secrétaire d'Etat aux colonies.

Il y a une façon de vouloir commémorer à travers l’idée de repentance, qui sert la division selon l’origine, en désignant artificiellement aujourd’hui des responsables du passé que seraient la France et les Français d’origine européenne, et les héritiers des opprimés d’hier que seraient les immigrés et leurs descendants. On oublie évidemment au passage dans ce raccourci, cet amalgame, que le peuple qui vivait en France à l’époque ou sévissait l’esclavage ne l’a d’abord jamais pratiqué, et n’a jamais eu voix au chapitre le concernant, en dehors des moments où il a fait des révolutions qui à chaque fois ont abouti à l’abolition. Mais aussi, bizarrement, on oublie que l’esclavage a toujours été une affaire de gros sous, de riches armateurs et de négoces, d’exploitants et de banquiers, et n’a donc rien à voir avec le peuple pas plus que la République…

Ce que l’on cherche par cette mauvaise foi historique, c’est à diviser les Français sur une base identitaire, niant au passage l’histoire qui a vu ces contradictions être dépassées par le haut en reconnaissant à tout individu les mêmes droits, comme en témoigne le principe d’égalité à l’article 1er de notre Constitution, et corrélativement, la reconnaissance de la libre disposition des peuples. Cette conception de l’histoire qui divise et oppose, sert les desseins de ceux qui veulent le multiculturalisme en France et s’attaque à la laïcité de l’Etat, qui porte au-dessus des différences le bien commun (des religions, des particularismes, des intérêts privés).

Un autre lien peut encore être fait dans cette continuité, entre lois mémorielles et immigration, qui voudrait que nos problèmes de vivre ensemble viennent de l’héritage d’un racisme poste-colonial dont il faudrait se repentir. Pourtant, dans tous les pays européens qui ont eu ou non des colonies on rencontre les mêmes problèmes d’intégration avec l’immigration, en raison d’une économie de sous-emploi tout d’abord avec ses effets sociaux, mais aussi en lien avec ce contexte, en raison d’une situation d’accumulation et de concentration qui devient difficile à gérer. Sans compter encore avec une tendance au communautarisme qui se manifeste par le rejet des valeurs et des lois du pays d’accueil, jusqu’au rejet parfois tout simplement de l’intégration.

La montée du FN en France n'a rien à envier à celle des autres partis affinitaires en Europe dont les causes du succès sont à chercher ailleurs que dans les amalgames de la repentance, mais dans la crise économique, sociale, politique et même morale par voie de conséquences, que la France et les pays occidentaux traversent, sous l’influence de la mondialisation et d’une Europe qui en est la succursale : avec 80.000 emplois industriels qui disparaissent par exemple chaque année en France, l’abandon politique de la classe ouvrière qui en découle, une centaine de milliers de foyers de la classe moyenne qui redescendent chaque année à N-1, l’invitation à avoir pour seule morale l’individualisme et l’argent-roi… Les extrêmes sont à l’affût de ces périodes de crise dont ils connaissent les ressorts qui conduisent à leur donner du crédit, la violence sociale et la crise d’identité poussant à la haine et au désordre, à la recherche de boucs émissaires.

On voit bien qu’il ne faut pas confondre culpabilisation et conscience sociale. La première procède d’une insémination de la division provoquant des séparations sur la base d’un contentieux historique artificiellement projeté dans le présent, d’un poison jeté dans les esprits, pendant que l’autre participe de la pédagogie d’une conscience commune, de ne faire qu’un, de s’unir autour des mêmes valeurs, de la pacification des relations. Il en va du bien commun acquis de l’histoire d’être tous des égaux indépendamment de la couleur, la religion, l’origine.

Pourquoi cette culpabilisation est-elle si bien relayée par le système politico-médiatique actuel ? Parce qu’elle est la bonne conscience d’une société dont une large élite bienpensante appointe au néolibéralisme en voulant se croire "de gauche" voire humaniste, selon les termes d’une mystification de plus en plus flagrante et obscène où les bons sentiments remplacent la raison. L’humanisme voyez-vous, c’est toute autre chose, dont nulle tendance politique ne détient le monopole!

On incite dans l’article 2 de la loi Taubira, à enseigner à l’école cette histoire en l’inscrivant dans les programmes scolaires. Mais dans cet esprit réductionniste de l’esclavage ramené à la seule responsabilité de l’Occident identifié à une histoire dont hériterait la République, on encourage un climat de division. Ce dont il s’agit, c’est au contraire de montrer que l’histoire de l’humanité est celle du dépassement de ses contradictions, d’une marche en avant par émancipation où la République n’a pas été absente même parfois en titubant, comme ce fut le cas avec le colonialisme, le résultat est là.

Esclavage, colonialisme, des contradictions qui ont été vaincues par la prise de conscience commune de ce qu’a pour valeur l’humanité, l’Homme, débarrassé de toutes ses oppressions, qui doit être enseignée dans les écoles, pour que les "indigènes" d’hier soient pour toujours devenus des citoyens, des individus respectés, des humains et non des sous-êtres, des égaux. Car, ce qu’il y a de principal avec la mémoire, c’est de se remémorer ce qui a été fait pour que ce qui ne doit plus l’être jamais, ne vienne à se reproduire, comme le bien commun de tous. C’est ainsi que l’histoire peut s’écrire ensemble à présent comme une histoire d’hommes libres marchant main dans la main. C’est tout l’esprit de notre République indivisible, laïque, démocratique et sociale.

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