Co-voiturage : pourquoi l'Etat tient tant à savoir qui vous faites voyager et à quel prix<!-- --> | Atlantico.fr
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On ne peut pas faire ce que l’on veut avec une voiture, même la sienne...
On ne peut pas faire ce que l’on veut avec une voiture, même la sienne...
©D.R.

Le buzz du biz

La Cour de cassation vient de le rappeler : quand vous faites du co-voiturage, celui-ci doit être gratuit et vous ne pouvez pas faire de bénéfice, autrement dit cette activité ne peut avoir de but lucratif. Décryptage comme chaque semaine dans votre chronique "Le buzz du biz".

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan est consultant en stratégie et président d’une association qui prépare les lycéens de ZEP aux concours des grandes écoles et à l’entrée dans l’enseignement supérieur.

Avocat de formation, spécialisé en droit de la concurrence, il a été rapporteur de groupes de travail économiques et collabore à plusieurs think tanks. Il enseigne le droit et la macro-économie à Sciences Po (IEP Paris).

Il écrit sur www.toujourspluslibre.com

Twitter : @erwanlenoan

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On ne peut pas faire ce que l’on veut avec une voiture, même la sienne. Même s’il s’agit de la prêter (ou juste une place de passager). Et encore moins pour gagner sa vie. Les entreprises de l’économie "du partage" en font l’amère découverte un peu partout dans le monde et notamment en France...

Prenez d’abord le "co-voiturage". La pratique n’est pas nouvelle : il s’agit de proposer une place vide dans votre véhicule à un autre individu. Le numérique a révolutionné le secteur, comme souvent non en bouleversant totalement les pratiques, mais en les rationnalisant. Auparavant, les échanges entre inconnus étant coûteux, longs ou complexes, il était difficile de se faire rencontrer l’offre de conducteurs et la demande de passagers. Grâce à un site internet ou un Smartphone, il est désormais possible d’accéder à une plateforme qui les met en relation rapidement, à moindre coût et efficacement. Les nouvelles technologies ont rendu plus efficace cette activité, en permettant à l’offre et la demande de se rencontrer. Et, grâce au marché, la vie en devient plus facile.

Dans le co-voiturage, il y a l’idée de voyager plus écolo (dans la novlangue on dit qu’il s’agit "d’une pratique éco-citoyenne" : quatre personnes qui ne se connaissent pas dans une voiture, c’est mieux que quatre voitures qui font le même trajet presque vides), plus convivial (on discute, de tout et de rien) et moins cher (on partage les frais). Certains, naïvement, avaient pu espérer se faire un peu d’argent : après tout, si un conducteur vous emmène dans sa voiture, propre, avec la clim alors qu’il fait 40°C dehors et avec une musique agréable, cela mérite bien rémunération. Et bien non ! La Cour de cassation a rappelé l’état du droit, dans son immense rigueur : quand vous faites du co-voiturage, celui-ci doit être gratuit et vous ne pouvez pas faire de bénéfice ; il ne peut avoir de but lucratif. Le passager peut participer aux frais, mais pas plus.

L’administration française recense donc deux façons de calculer la participation aux frais. La première ne prend en compte que les frais d’essence et de péage. La seconde intègre d’autres coûts (assurance, amortissement du véhicule, etc.) et s’établit en fonction d’un barème kilométrique établi par le ministère du Budget.

Si ce critère n’est pas respecté, le covoiturage n’en est plus et devient une activité rémunérée. Et pour l’exercer, il faut entrer dans un cadre bien précis et très réglementé. UberPop vient d’en faire l’expérience. Cette déclinaison de l’application Uber est simple : ce sont des particuliers qui font les chauffeurs pendant quelques heures de la journée. Au premier abord, l’initiative semble bonne : elle satisfait les clients qui trouvent une offre complémentaire à celles qui existent, pour un prix abordable ; elle permet aux conducteurs de bénéficier d’un complément de revenu (et donc, d’accroître l’activité, leurs dépenses, etc.). Le problème, c’est que c’est interdit. Le tribunal correctionnel de Paris l’a rappelé récemment : dans une décision d’octobre dernier, il a condamné Uber à 100 000 euros d’amende.

Le fonds de l’affaire, pour le dire de manière abrupte, c’est la volonté de l’Etat de taxer. S’il souhaite réguler, c’est pour mieux prélever. Or, chacun comprend qu’il est difficile de fiscaliser une transaction entre deux particuliers, pour des montants limités. Le plus simple pour la puissance publique est donc d’interdire cette activité et de créer ainsi un statut légal spécifique dont les bénéficiaires sont connus de l’administration. La protection des consommateurs n’est pas vraiment en cause : il serait possible d’imaginer qu’elle soit garantie sans interdiction générale et absolue.

En protégeant certains modes d’exercice (sommairement : les taxis) et en interdisant d’autres (le co-voiturage rémunéré), le régulateur entretient des rentes. Il garantit à certains ce qu’il refuse à d’autres : le droit de travailler. Ce faisant, il limite la concurrence et assure à un groupe des revenus qui devraient être distribués entre des acteurs plus nombreux.

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