Cannabis : interdiction ou légalisation, bilan comparé<!-- --> | Atlantico.fr
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La sénatrice écologiste Esther Benbassa a déposé jeudi une proposition de loi visant à légaliser le cannabis
La sénatrice écologiste Esther Benbassa a déposé jeudi une proposition de loi visant à légaliser le cannabis
©REUTERS/Andres Stapff

Comme-ci, comme-ça

La sénatrice écologiste Esther Benbassa a déposé jeudi une proposition de loi visant à légaliser le cannabis, sous prétexte que "l'interdiction ne fonctionne pas". Plutôt que de se ranger hâtivement à un raisonnement logique en apparence, il faut d’abord regarder ce qui se passe chez nos voisins européens.

Dan Véléa

Dan Véléa

Le Docteur Dan Véléa est psychiatre addictologue à Paris.

Il est l'auteur de nombreux ouvrages sur les addictions, dont Toxicomanie et conduites addictives (Heures-de-France). Avec Michel Hautefeuille, il a co-écrit Les addictions à Internet (Payot) et Les drogues de synthèse (PUF, Que sais-je ?, Paris, 2002).

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Atlantico : La sénatrice écologiste Esther Benbassa a déposé jeudi une proposition de loi visant à légaliser le cannabis, sous prétexte que "l'interdiction ne fonctionne pas". Peut-on dire, alors, que la dépénalisation fonctionne, et a fortiori la légalisation ? Des pays comme le Portugal, l'Espagne ou les Pays-Bas ont tous dépénalisé le cannabis, avec des résultats différents : les Pays-Bas n'ont pas vu leur consommation augmenter, tandis qu'elle a explosé en Espagne. Comment expliquer deux effets différents pour une même cause ? Y a-t-il un terrain sociologique ?

Dan Véléa : L'Espagne et les Pays-Bas sont deux nations différentes, appartenant à deux cultures bien distinctes. A partir de là, on peut effectivement mettre en cause un facteur sociologique. Le caractère latin est connu pour ses penchants festifs et parfois excessifs, voire extrêmes. Néanmoins, tout ne se résume pas à un simple problème d'identité culturelle. Il ne faut pas oublier que les Pays-Bas ont commencé à tolérer le cannabis bien plus tôt, en 1976. Les débuts n'étaient pas ce que sont les temps actuels : les Pays-Bas ont été confrontés à une terrible et violente  hausse de la consommation. Les junkies erraient dans les rues tandis que les gens consommaient sans réfléchir. Un important travail de réflexion et de prévention a été réalisé avec l'ensemble du corps médical, afin de sensibiliser au mieux les usagers. De plus, les Hollandais sont soumis à une consommation très réglementée.

Comment la consommation évoluerait en France, en se basant sur ce raisonnement ?

Prenons appui sur une loi toute simple : celle énoncée par Sully Ledermann, qui concerne avant tout l'alcool, mais peut s'appliquer au cannabis. Cette loi explique un principe simple : "plus l'accessibilité à un produit et un comportement est grande, plus grands seront les risques et les excès." En partant de ce principe, on peut logiquement déduire que la légalisation ou la dépénalisation encourageraient la consommation.

Est-ce que les États, comme le Colorado, ayant autorisé le cannabis assistent à un recul du trafic et du deal  ? Ou bien la situation est-elle restée inchangée ?

Concernant le Colorado, il est pour le moment impossible de se prononcer. Et pour cause : cela s'est fait il y a peine un an. Les données sont encore trop parcellaires pour se prêter à une quelconque analyse. Mais aux États-Unis, ce n'est pas le cannabis, le produit de base, c'est la cocaïne.

Les Pays-Bas n'ont pas assisté à une hausse de la consommation, mais à la naissance du narco-tourisme, susceptible aussi de se développer en France si le cannabis était légalisé.  Ceci dit, aux Pays-Bas, le véritable danger réside ailleurs.  Bien souvent, quand un usager sort défoncé d'un coffee shop, des dealers attendent un peu plus loin, pour vendre des produits autrement plus dangereux tels que de la cocaïne.

Qu'est-ce que les Etats ont à gagner, et à perdre, en légalisant le cannabis ?

Il y a plusieurs arguments en faveur de l'autorisation du cannabis, comme il en existe plusieurs en faveur de son interdiction. Au sein même du corps médical français, on peut retrouver cette ambivalence. Beaucoup de collègues diront certainement que le cannabis n'est pas un produit si dangereux ; qu'il ne s'agit pas d'une drogue particulièrement violente.

Il est vrai, indéniablement, que le cannabis est moins dangereux que l'alcool, par exemple. En matière d'addiction, du moins, car en matière de santé la réponse n'est pas si évidente. Les effets du cannabis peuvent être beaucoup plus intenses.

Si le cannabis est légalisé, les usagers ne seront plus soumis au bon vouloir d'un dealer, ce qui constituerait un progrès en termes de santé publique, vis-à-vis de la consommation de cette drogue.  En effet, l'Etat peut contrôler la substance mise en vente et s'assurer que la concentration en THC n'est pas excessive. Le meilleur moyen d'éviter de mauvaises surprises...

Evidemment, il y aurait aussi une manne financière à déverrouiller. Cela étant, et bien que ce soit très cynique de dire cela, il faut aussi voir la contrepartie. Certes, l'imposition sur le cannabis rapporterait de l'argent à l'Etat, mais il s'agirait d'un argent qu'il aurait tôt fait de dépenser à nouveau pour couvrir les frais de santé publique dus à la consommation. Le nombre de consultations liées au cannabis exploserait, de la même façon que les problèmes qui lui sont intrinsèques, comme le syndrome amotivationnel, qui déconnecte les gens de la vie réelle et sape leur motivation ; ou la bouffée délirante aiguë, plus rare.

Les spécialistes de l'économie auront tôt fait de dire que les bénéfices qui résulteraient des taxes et que les dépenses dues aux problèmes de santé grimperont de façon similaire, je ne crois pas qu'il faille légaliser pour s'accorder aux autres nations et parce que cela pourrait potentiellement rapporter de l'argent. Je me situe du côté des usagers.

Enfin, il existe des gens qui seront capables de modérer leur consommation, bien entendu. Il y aura toujours des gens raisonnables. Mais que fera-t-on des autres ?

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