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C’est grave, docteur ? 70 millions pour les urgences n’épargneront pas au gouvernement une réforme profonde de l’organisation et du financement de la santé
©LOIC VENANCE / AFP

Cautère sur une jambe de bois

Après la prime aux salariés en réponse aux Gilets jaunes, la prime aux fonctionnaires hospitaliers. Le gouvernement a craqué face au mouvement de grève qui menaçait les services d’urgences. 70 millions d’euros seront donc alloués aux urgences des hôpitaux français.

Aude Kersulec

Aude Kersulec

Aude Kersulec est diplômée de l' ESSEC, spécialiste de la banque et des questions monétaires. Elle est chroniqueuse économique sur BFMTV Business.

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Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Les 70 millions alloués aux personnels urgentistes vont sans doute débloquer les services, mais pour combien de temps ? La loi Santé qui a été votée cette semaine au Sénat et qui sera appliquée avant l’automne, ne répond que partiellement au problème. C’est évidemment l’organisation même du système hospitalier qu’il faut réformer et comme ce système coûte de plus en plus cher, c’est aussi le financement qu’il faut modifier. Qu’on le veuille ou non, on n’échappera pas, à terme, au déverrouillage des professions et à l'entrée dans le système des acteurs privés via les mutuelles et les sociétés d’assurance. Le sujet est politiquement tabou mais devant la contrainte des réalités, il faudra bien faire sauter ce tabou.

Dans l’immédiat, le gouvernement lâche du lest pour stopper une crise sociale. La mobilisation de personnels urgentistes paralysait déjà une centaine de services hospitaliers. 70 millions d’euros pour répondre à cette crise, c’est beaucoup plus que les Gilets jaunes mais cette fois, ni la problématique du pouvoir d’achat ni celle de la taxe carbone n’étaient au centre des préoccupations des grévistes urgentistes.

Les services étaient en risque d’asphyxie, parce que les services d’urgences servent de réceptacles à beaucoup de maux liés à la société française et aux dysfonctionnements ou aux insuffisances de la médecine de ville.

Les urgences se remplissent de vrais et graves malades, mais ils se remplissent aussi faute de généralistes pour traiter le quotidien de la santé, quand ce n’est pas avec les victimes d’une maltraitance sociale dans les villes ou les campagnes. Faute d’une écoute ou d’un accompagnement, la moitié des patients qui se réfugient aux urgences n’ont parfois qu’un petit bobo ou une blessure intérieure qui nécessite une écoute attentive.

Le système hospitalier n’est pas équipé pour répondre à tous les maux de la société moderne.

Agnès Buzyn a donc convaincu son gouvernement de lui octroyer une enveloppe spéciale. Les mesures annoncées sont principalement palliatives :

Une première enveloppe de 55 millions d’euros, qui consistera principalement en un versement d’une prime de risque de 100 euros net mensuels, versée dès juillet à tous les professionnels des services d’urgence (hors médecins) - pour répondre à l’aspect sécuritaire des revendications des personnels des urgences qui se plaignent de violences physiques ou verbales. C’est vrai que le métier est devenu plus dur de ce point de vue.

Une deuxième enveloppe de 15 millions d'euros, censée « permettre aux services d'urgence en tension » de « renforcer leurs effectifs paramédicaux durant la période estivale et de maintenir ainsi un maximum de lits ouverts » d’après les mots du communiqué du ministère.

Avec un plafonnement des heures supplémentaires à la clé, 20 heures par mois maximum.

Très précisément l’hôpital public est confronté à de nombreux problèmes de fonctionnement :

1er problème : la surcharge en nombre de patients dans les services d’urgences, qui a doublé en 10 ans avec 21 millions de passages aux urgences en 2018. En cause, on peut citer la gratuité du service des urgences qui incite les patients à s’y déplacer pour des maux bénins, la réduction du nombre de médecins généralistes dans les campagnes ou la fermeture de lits dans d’autres services, l’organisation de l’hôpital demandant à ces patients de passer d’abord par les urgences. Au total, c’est 40% des patients qui pourraient être pris en charge ailleurs.

2ème problème, financier : la tarification à l’activité. Elle avait été mise en place en 2004. Cette tarification à l’acte pratiqué, au lieu d’une dotation globale et forfaitaire que recevaient les hôpitaux publics auparavant, a eu comme effet d’inciter les établissements à multiplier leur niveau d’activité et donc le nombre d’opérations afin de préserver leur budget. Un constat qui avait même amené Agnès Buzyn, la ministre de la Santé à évoquer « un hôpital entreprise ». Dans le même temps, les tarifs de ces mêmes actes, décidés par l’Etat, ont baissé. Deux facteurs qui ont contribué à l’épuisement et au mal-être des personnels hospitaliers.

Deux moyens de réparer les urgences :

Soit on diminue le nombre de patients entrants, en dirigeant les flux en amont vers des services plus appropriés.

Soit on accélère la prise en charge et donc la sortie des patients, par plus d’urgentistes. Tout cela est principalement une question d’organisation.

La loi Buzyn s’attaque bien à une partie du problème en proposant des solutions : elle devrait mettre fin au numerus clausus pour les étudiants en médecine et permettre à ce que plus de médecins soient formés. Les médecins étrangers verraient leur situation de travail régularisée. Mais ces mesures d‘ouverture de l’offre ne verront le jour que beaucoup plus tard. Il faut dix ans pour fabriquer un médecin. Les étudiants qui entrent à la faculté cette année ne seront pas opérationnels avantlongtemps.

Ce qui est étonnant, c’est que la loi Santé est quand même très timide - prudente, trop sans doute - sur l‘élargissement du rôle des professionnels de la santé au delà du médecin. Les infirmières et les pharmaciens. De quoi a-t-on peur en ne leur permettant pas d’appliquer leur expertise et leur expérience humaine plus largement ? De quoi a-t-on peur - du conseil de l’ordre, de la concurrence ?

Ce qui est étonnant, aussi c’est que la loi Buzyn reste prudente quant à la généralisation du Dossier Médical personnel. Dans l'acte de soigner, le plus important est sans doute la qualité du diagnostic et ce diagnostic nécessite une somme d’informations qui permettent au médecin d’affiner sa prescription mais aussi d’économiser des millions d’analyses. La carte vitale est parfaitement en mesure de stocker l’information. Elle devrait quand même être autre chose qu’une carte de paiement sur laquelle on peut quasiment tirer sans avoir à rendre de comptes. De quoi a- t-on peur, du patient dit-on, qui serait réticent à livrer ainsi des informations strictement personnelles ? Mais si sa vie est en jeu ?

Ce qui est étonnant enfin, c’est que la loi reste timide sur l’impact du digital dans l’organisation du système de soin. Il y a là un gisement de productivité et d’efficacité considérable. Peu d’acteurs du système et très peu de patients regrettent le succès de la plateforme Doctolib, qui est sans doute une des innovations majeures de ces dix dernières années dans la gestion du système libéral. C’est une initiative privée qui a été plébiscitée par le marché, un mot vulgaire pour l’ensemble du système, mais qui n’en est qu'à ses débuts. Les potentialités de développement sont considérables. La plateforme a simplement besoin de quelques libertés supplémentaires.

Du côté du financement, le système de santé sera lui évalué dans la loi de financement de la Sécurité sociale, préparée à l’automne pour l’année 2020. Très bien !

Les hôpitaux de proximité verraient leur nombre passer de 500 à 600, mais ces établissements sont critiqués car ils ne comptent pas tous les services d’un hôpital classique. Ainsi, la maternité, la chirurgie et les urgences n’ont pas la place dans ces établissements dits de proximité. Mais on ne va quand même pas céder à tous ceux qui réclament la réouverture de maternités dont on savait qu‘elles étaient dangereuses à partir du moment où elles ne faisaient que quelques actes par semaine.

Ces recettes très techniques n’empêcheront pas une réforme structurelle du financement qui mettrait dans la boucle - outre l'assurance maladie, les mutuelles et les assurances privées. L’avantage de ces mutuelles complémentaires (dont le rôle est obligatoire) est qu’elles sont en mesure de négocier les primes d’assurances avec les employeurs et leurs salariés en toute connaissance de cause au niveau des prestations. L’avantage de ces mutuelles est qu’elles peuvent introduire le système de soins et évaluer les prestations. Elles le font déjà dans l’optique et les frais dentaires.

Sans réforme assumée du financement de l’hôpital et du système de santé, augmente toujours un peu plus le risque de voir se développer une médecine à deux vitesses, médecine et cliniques privées, efficace et sans surcharge pour les patients, humaine et attractive pour les médecins et de l’autre, un service public saturé et laissé à l’abandon où les médecins enchainent les gardes et les urgences.

"Les urgences sont le symptôme des dysfonctionnements du système de santé et des réformes qu'on n'ose pas faire", résume le président de la Fédération Hospitalière Française, Frédéric ­Valle toux.

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