Bill Clinton superstar, Monica Lewinski la paria : mais c’est quoi notre problème avec les femmes ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Monica Lewinski.
Monica Lewinski.
©Reuters

Slut shaming

La stagiaire de la Maison Blanche, dont la liaison avec le président Clinton l'a toujours suivie alors que ce dernier jouit de son côté d'une grande popularité, a choisi de s'exprimer dans le dernier numéro de Vanity Fair, publié ce jeudi 8 mai.

Michel Maffesoli

Michel Maffesoli

Michel Maffesoli est membre de l’Institut universitaire de France, Professeur Émérite à la Sorbonne. Il a  publié en janvier 2023 deux livres intitulés "Le temps des peurs" et "Logique de l'assentiment" (Editions du Cerf). Il est également l'auteur de livres encore "Écosophie" (Ed du Cerf, 2017), "Êtres postmoderne" ( Ed du Cerf 2018), "La nostalgie du sacré" ( Ed du Cerf, 2020).

 

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Dans les contes de fées, les servantes épousent, après de multiples épreuves, le prince

Dans le nouveau Vanity Fair, la stagiaire sexy de la Maison Blanche  paraît ne pas avoir tiré profit de sa relation avec "son chef", qui était également le président des Etats-Unis.

Elle est venue au secours du Grand Chef en acceptant d’être considérée par les médias comme la petite allumeuse, mais elle n’a pas monnayé sa célébrité un peu honteuse, ni sur le moment, ni jusqu’à présent. Et elle n’a pas, comme Marylin Monroe, mis fin à sa vie, en laissant planer le doute sur l’honnêteté du président.

Ni starlette d’un jour, ni icône pour toujours, ni première femme, ni deuxième épouse, ni mercantile, ni oblative pour l’éternité, il ne lui restait pas beaucoup de solutions.

Changer d’identité ou de pays et s’imposer comme femme libre et indépendante ou comme elle le dit si naïvement "écrire une autre fin à son histoire".

C’est donc ce qu’elle entreprend.

C’est le scénario de cette success story qu’elle livre à Vanity Fair, bulletin des succès dont on cause.

En Amérique, on ne peut pas réussir ouvertement grâce à ses charmes. N’oublions pas que ce pays est officiellement prohibitionniste et que dans certains Etats, la sodomie était, jusqu’à peu interdite.

Seul un travail, une œuvre peuvent procurer de l’argent : il n’est donc pas étonnant que Monica Lewinski dénie tout autre moyen de gagner sa vie. Mais si elle ne se contente pas de trouver un nouveau job, compatible avec sa sulfureuse célébrité, c’est qu’il lui faut également expier le péché de la relation "inconvenante" et acquérir une nouvelle respectabilité. Il lui faut non seulement tourner la page, ce qui au fond n’eût sans doute pas été trop difficile, si elle avait choisi des secteurs d’activité moins exposés médiatiquement que le marketing ou la communication, mais d’une certaine manière transformer son plomb en or, montrer aux yeux de tous que c’est justement, grâce à son calvaire médiatique qu’elle peut venir en aide à ses semblables.

Ce qui n’était qu’étalage indécent de sa vie privée peut devenir une "bonne œuvre", au profit de tous ceux qui sont discriminés, harcelés etc.

Dès lors, la jeune femme aux charmes affirmés, l’égalitaire partenaire sexuelle du Président, en bref la femme émancipée, va se muer en victime expiatoire, salvatrice d’abord du couple présidentiel, au profit duquel elle a accepté de faire un témoignage irréfragable, puis "Sauveure" de toutes les victimes.

Elle a cependant promis (devant ce tribunal solennel) que l’acte était consensuel? Comment peut-elle se muer en victime expiatoire ?

C’est alors que vient à la rescousse le Grand méchant Internet, le Diable accusé d’être à la fois le fourrier de la démocratie, le bourreau sadique de tous les faibles, le manipulateur de l’opinion, l’agitateur des instincts grégaires les plus sordides.

A plusieurs reprises, (dans cet entretien dont on ne connaît pas encore la teneur, mais dont des bribes assez conséquentes sont livrées, pour appâter le lecteur potentiel !) l’ex jeune femme fait référence à la figure archétypique de la victime expiatoire, de la bête sacrifiée pour raffermir la position du roi. Celle par qui le scandale arrive se voit jeter sur la route comme Œdipe aveuglé par les conséquences d’un acte commis en toute innocence.

Comme Œdipe elle a commis un sacrilège (accepter d’être celle par qui le Roi trahira le serment de fidélité fait à son épouse et à toute l’Amérique) et comme lui elle a erré, cherchant en vain un lieu qui l’accueillerait : à Londres, à l’Est, à l’Ouest, au Nord-Ouest du pays...

L’histoire d’Œdipe se passe dans le grand amphithéâtre, le chœur tirant pour le peuple spectateur les leçons de ce destin à la fois exceptionnel et commun ; l’histoire de Monica Lewinski tente de forcer le destin (écrire une autre fin à son histoire) sur la scène mondiale d’Internet et prétend être la romance contemporaine.

En bonne tragédie, il ne peut y avoir de résolution de l’ histoire. En effet, Monica Lewinski est un personnage par nature et par construction ambivalent, un de ces oxymores sur pied dont notre société postmoderne est friande : son chef a "profité d’elle", mais la relation fut "consensuelle" ; elle n’était pas victime, mais la "notion de maltraitance est venue après, quand elle est devenue bouc émissaire pour protéger la puissante position de son amant"; victime consentante, voire désirante ! La jeune femme se plaint à la fois "qu’on marche sur la pointe des pieds autour de son passé"… puis "d’être citée en permanence par les médias" etc.  elle évoque les mirobolantes offres qu’on lui a faites à cause ou autour de son aventure, puis les refus essuyés à cause de celle-ci. Bref, maitresse de son destin, elle en a été victime ; généreuse, elle se révèle mesquine (à l’égard bien sûr de la femme du président et pas de celui-ci) ; jeune femme indépendante et autonome, elle se révèle incapable de rebondir autrement que comme jouet des évènements.

Dès lors quelle fin à cette histoire ?

La servante n’a pas épousé le prince, la jeune vierge  déshonorée n’a pas été recueillie par un bon pasteur et n’a pas expié sa faute devant Dieu et les hommes ; l’ambitieuse stagiaire a été bafouée par la première dame, future candidate au poste suprême.

Comme toute tragédie, la fin est une aporie. Et sera mise en scène "sur divers forums" dit –elle.

Une fin postmoderne par excellence, celle qui transformera un fait divers quelque peu sordide en histoire édifiante : Monica Lewinski reprend la parole, forte non pas de sa tentative de suicide, mais de son appropriation de celle (tragique) d’une autre victime d’Internet. Elle change en quelque sorte de masque.

Elle s’identifie à un jeune homosexuel victime de la médiatisation sur Internet d’une photo de lui embrassant un autre jeune homme (Oh prude Amérique !) et fait ainsi de son baiser sous une table le geste inaugurateur d’une nouvelle tribu "de victimes d’humiliations et de harcèlement en ligne" dont elle s’autoproclame égérie et défenseure.

Au lieu d’être tout simplement identifiée à la longue cohorte des femmes succombant aux charmes du pouvoir, aux tempes grisonnantes et aux petites bedaines sexagénaires, elle s’érige en grande prêtresse de la lutte contre la médiatisation du sexe privé.

Et c’est ainsi qu’au lieu de troquer sa Peau d’Âne contre une robe couleur de temps, elle prétend enfiler par dessus sa tenue de jeune aguicheuse la robe de bure du frère prêcheur. Prêchant (sur la Toile) la Croisade contre les voyeurs impies et les voyous sadiques (de la Toile).

Mais ce quart d’heure de célébrité ne durera qu’un instant, car au contraire des fidèles maitresses, ou des grandes stars de la modernité (Marilyn justement) les  victimes de cette mise en images postmoderne doivent sans cesse se renouveler.

Et voilà la fin de l’histoire de notre "Narcisse postmoderne" : le ruisseau dans lequel elle se mire est en fait un Niagara de bons sentiments et chacun ne peut s’y refléter qu’un instant, toutes les victimes se pressant et s’écrasant les unes les autres pour alimenter la confuse masse de cette tribu éternelle des victimes sans nom. 

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