Avec son projet de TVA à taux zéro, Marine Le Pen prend un risque systémique, comme Martine Aubry l’avait fait avec les 35 heures<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Marine Le Pen souhaite baisser la TVA de 20% à 5,5% sur les produits énergétiques et de 5,5% à 0% sur 100 biens de première nécessité.
Marine Le Pen souhaite baisser la TVA de 20% à 5,5% sur les produits énergétiques et de 5,5% à 0% sur 100 biens de première nécessité.
©CHRISTOPHE SIMON / AFP

Atlantico Business

Beaucoup d’économistes considèrent que la promesse de baisser la TVA pour compenser les pertes de pouvoir d’achat aurait des effets pervers, peut être aussi graves que l’adoption des 35 heures il y a 25 ans, qui a structurellement affaibli le modèle français.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

Voir la bio »

Il y a des reformes économiques et sociales qui peuvent permettre de gagner une élection mais dont on sait à l’avance qu‘elles feront perdre le développement de l’économie. Comme les 35 heures de Martine Aubry, la TVA à taux Zéro de Marine Le Pen en fait partie.

Avec la promesse d’une baisse de la TVA pour répondre à un phénomène de pouvoir d’achat, Marine Le Pen croit avoir trouvé la solution miracle et imbattable pour répondre aux demandes de pouvoir d’achat. Politiquement, la mesure est tellement simple à présenter que le moyen paraît d’une efficacité redoutable pour séduire les catégories sociales les moins favorisées. Cela dit, cette mesure de TVA zéro risque bien d’être à Marine Le Pen ce que les 35 heures furent Martine Aubry.

Il y a plus de 25 ans, le parti socialiste en difficulté s’était refait une santé, en proposant la semaine de 35 heures. Pour les chefs d’entreprise de l’époque, la mesure allait provoquer un bouleversement que le modèle français était incapable d’assumer. D’ailleurs, peu d’experts de gauche pensaient que ce projet aurait des effets économiques bénéfiques. L‘inventeur lui-même des 35 heures avait expliqué ses doutes. Dominique Strauss-Kahn, très cynique, avait fini par convaincre Martine Aubry que, de toute façon, le parti socialiste ne gagnerait pas les élections et qu’elle n’aurait pas à appliquer cette réforme.

La réalité, comme on sait, fut très différente. Le PS a gagné et Martine Aubry s’est retrouvée à défendre une réforme à laquelle elle ne croyait pas. Elle s’est donc embourbée dans des négociations sans fin avec les partenaires sociaux, elle a dû céder aux syndicats de la fonction publique qui, à leur tour, ont demandé le bénéfice de la loi travail. Le résultat, on le connaît, les 35 heures ont désorganisé les services publics et notamment la santé, elles ont incité les entreprises à délocaliser beaucoup de systèmes de production. On ne peut pas dire que les 35 heures soient à l’origine du déclin de la France, mais on peut être sûr que les 35 heures n’ont pas permis d’affronter la mondialisation.

À Lire Aussi

La France saisie par la tentation du populisme : seuls contre-pouvoirs crédibles, les chefs d’entreprise

Pour beaucoup d’économistes, la décision de baisser la TVA est une promesse aux effets systémiques difficiles à évaluer sur le long terme mais très peu d’experts y voient des bénéfices réels en dehors de l’électrochoc politique.

Sans revenir sur les détails de sa promesse, la baisse de TVA est la mesure phare du programme de la candidate du Rassemblement National. Cette baisse porterait immédiatement à taux zéro la TVA sur une centaine de produits de première nécessité (le sel, les pâtes, l‘huile, les couche-culotte...), puis dans un deuxième temps, Marine Le Pen veut aussi baisser à 5,5% au lieu des 20% actuellement, les taxes sur les produits de l’énergie. Ça veut dite que le fuel, le gaz et l’électricité seront taxés comme des produits de première nécessité. Ce qu’ils sont effectivement pour une grande partie de l’opinion.

Alors très sérieusement et très concrètement, ce type de mesures très spectaculaires commandent de se poser trois séries de questions :

La première question est de savoir si les consommateurs vont réellement bénéficier de ces baisses. Rien n’est moins sûr. Le cabinet Asteres a calculé que le passage de la TVA de 5,5 à 0% représenterait un gain de pouvoir d’achat de 13 euros par an, soit un mieux de 0,3% en pouvoir d’achat - assez dérisoire - à condition que les baisses soient répercutées sur les produits. Ce qui est rarement le cas.

Le même cabinet d’étude rappelle que, dans l’histoire de la TVA, chaque fois qu’un gouvernement a pris la décision de baisser les taux, la baisse ne se répercute pas sur les prix à la consommation. Les baisses sont captées par les entreprises qui forment la chaine de valeur.

À Lire Aussi

Si McKinsey écrivait à Emmanuel Macron, voilà ce que le président pourrait lire ce matin...

L’exemple le plus spectaculaire est celui de la restauration qui, en 2009, a obtenu une baisse de la TVA en contrepartie d’un engagement d’embauche. La réalité est que cette baisse de TVA n’a été que très partiellement répercutée sur les prix client. Les prix ont baissé de 1,9 % en moyenne. Les grands gagnants ont été les patrons de restaurants qui ont recoupé 90 % des gains.

Le think tank a fait les mêmes calculs et retombent sur les mêmes perspectives. Les baisses de TVA ne vont pas au consommateur.

La deuxième question est donc de savoir qui va surtout bénéficier des baisses de prix si les prix venaient effectivement à baisser. La réponse est très simple. La mesure vise l’ensemble des Français, mais ce sont les plus modestes qui souffrent le plus d’un retour de l’inflation. Par conséquent, le pourcentage de gains sera le plus fort pour les familles modestes. Mais en total de valeur, les ménages les plus aisés en bénéficieront davantage parce qu’ils consomment beaucoup plus.

C’est particulièrement vrai pour la baisse de TVA sur le carburant. Elle aura beaucoup d’effet sur les ménages modestes qui utilisent leurs voitures tous les jours parce qu’ils n’ont pas de transports en commun. Cette baisse de TVA laissera indifférent les ménages les plus aisés qui habitent une grande ville, et qui n’utilisent leur voiture principalement que pour le week-end.

La troisième question est de savoir combien ça coute et qui paie. Les mesures générales de lutte contre l’inflation vont finir par couter très cher. Les baisses de TVA avoisinent les 30 milliards d‘euros de recettes en moins, qui pourraient être financées, selon Marine Le Pen par une taxe de 33% sur les transactions financières et une lutte contre la fraude fiscale. Mais à ces dépenses sociales s’ajoutent celles qui correspondent aux baisses de cotisations patronales, à la suppression de l’impôt sur le revenu pour les moins de 30 ans...

À Lire Aussi

Macron / Le Pen : le coût comparé des projets

Selon les chiffrages effectués, le coût global des promesses mises bout à bout atteindrait 100 milliards d’euros, dont une partie, le volet social serait financé par la suppression de beaucoup d’aides et allocations aux immigrés sans travail ou en situation irrégulière.

L’équilibre du programme économique et social proposé par Marine Le Pen va devoir être affiné parce que, pour l’instant, il se heurte à des impossibilités juridiques et financières. On ne manipule pas les taux de TVA comme on le souhaite, il faut veiller à ce que les mesures soient cohérentes avec la situation des autres pays membres de l’Union européenne. Ces modifications sont assez longues à mettre en œuvre techniquement par l’administration. Leur financement n’est d’ailleurs pas garanti. C’est un peu le problème de tous les programmes présidentiels. Le programme d’Emmanuel Macron est lui aussi assez généreux et pas financé principalement par les fruits d’une croissance soutenue. Le procédé n’est pas aberrant sauf qu‘il implique que la croissance soit au rendez-vous.

Le problème spécifique que pose le choix de Marine Le Pen, qui actionne les baisses de TVA, est que sa réforme va provoquer des modifications structurelles à long terme. Un peu comme les 35 heures qui ont bouleversé les organisations de production.

La baisse de TVA est utilisée là pour répondre à un disfonctionnement ponctuel et on l‘espère provisoire. L’inflation en Europe est imputable principalement aux effets de la guerre en Ukraine (sur le prix des énergies et de l’agro- alimentaire). Cette baisse de TVA va profiter à tout le monde, riches et pauvres.

L’équité aurait voulu qu'on réponde en priorité aux plus défavorisés. Les chèques énergie et les ristournes à la pompe auraient été des outils plus judicieux et moins handicapants pour l’avenir. A partir du moment où le gouvernement baisse la TVA, il lui sera impossible à l’avenir de la redresser si la situation change. Mieux vaudrait verser aux 10 % des ménages les plus modestes l’équivalent de ce que représentent les baisses de TVA. Ça aurait permis d’augmenter le pouvoir d’achat dans des proportions importantes (10 % environ) des catégories qui en ont le plus besoin.

Parallèlement, la baisse de la TVA sur l’énergie fossile envoie un très mauvais signal aux mouvements écologistes. Selon l’institut Montaigne, qui a lui aussi chiffré les programmes ; les seules mesures sur les carburants (gaz, pétrole et fuel) vont venir retarder d’environ deux ans la réalisation des budgets carbone dans les secteurs du bâtiment et des transports. Sans parler des manques à gagner au niveau du budget de l’Etat qui s’est engagé à renforcer les investissements climat pour respecter les accords de Paris.

Comme les 35 heures ont plombé la compétitivité de l’économie française depuis plus de 25 ans, l’affaire de cette TVA à géométrie variable, mais orientée à la baisse, risque de plomber les engagement RSE, ceux que la France a pris et demandé aux entreprises de relayer. Les objectifs de responsabilité sociale et environnementale qui commandent à la fois une diminution des énergies fossiles dans le mix énergétique et des investissements massifs seront bien difficiles à tenir.

Le sujet vous intéresse ?

Mots-Clés

Thématiques

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !