Auschwitz et la Kolyma, ces traumatismes qui font tellement douter l’Europe de sa civilisation<!-- --> | Atlantico.fr
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Guillaume Klossa publie « Fierté européenne Manifeste pour une civilisation d'avenir » aux éditions Télémaque.
Guillaume Klossa publie « Fierté européenne Manifeste pour une civilisation d'avenir » aux éditions Télémaque.
©Janek SKARZYNSKI / AFP

Bonnes feuilles

Guillaume Klossa publie « Fierté européenne Manifeste pour une civilisation européenne » aux éditions Télémaque. L'Union européenne a pris une place inattendue dans la campagne présidentielle. Critiques vis-à-vis de l'Union, les Français ne veulent pourtant pas sortir de la monnaie unique, ni même se passer de nombreux bénéfices auxquels ils sont massivement attachés. Extrait 1/2.

Guillaume Klossa

Guillaume Klossa

Penseur et acteur du projet européen, dirigeant et essayiste, Guillaume Klossa a fondé le think tank européen EuropaNova, le programme des « European Young Leaders » et dirigé l’Union européenne de Radiotélévision / eurovision. Proche du président Juncker, il a été conseiller spécial chargé de l’intelligence artificielle du vice-président Commission européenne Andrus Ansip après avoir été conseiller de Jean-Pierre Jouyet durant la dernière présidence française de l’Union européenne et sherpa du groupe de réflexion sur l’avenir de l’Europe (Conseil européen) pendant la dernière grande crise économique et financière. Il est coprésident du mouvement civique transnational Civico Europa à l’origine de l’appel du 9 mai 2016 pour une Renaissance européenne et de la consultation WeEuropeans (38 millions de citoyens touchés dans 27 pays et en 25 langues). Il enseigne ou a enseigné à Sciences-Po Paris, au Collège d’Europe, à HEC et à l’ENA.

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Avec Auschwitz et la Kolyma, le récit européen de la civilisation du Progrès et des Lumières s’est effondré. Puis le travail de mémoire sur l’horreur criminelle d’un passé colonial et esclavagiste a ensuite achevé de rendre suspecte aux yeux des Européens toute forme de récit qui affirmerait une certaine idée civilisationnelle de l’Europe, jusqu’à une certaine gêne pour le terme même et les modalités d’enseignement de l’histoire.

Pourtant, c’en est là le premier élément structurant. Conscients d’eux-mêmes et de leur puissance – économique, militaire, intellectuelle  –, les Européens en ont conçu une supériorité morale et culturelle. À partir des années  1830, ils avaient fait de l’histoire de la civilisation une « science humaine totale » et une boussole de l’action politique, nourrissant leur curiosité pour les autres civilisations, des excès naïfs de l’orientalisme aux hiérarchies racialistes à la Gobineau. Mais la lumière froide d’Hiroshima et les brouillards de Treblinka ont changé leur vision de l’histoire.

Ils en sont venus jusqu’à douter de la notion même de civilisation, comme l’explique l’historien Charles Morazé dans les années  1970 : « Jusqu’aux antécédents de la deuxième guerre mondiale, personne n’eut mis cette existence en doute ; et les Européens du XIXe siècle eussent même, dans leur majorité, pensé que la civilisation était un privilège exclusif de l’Europe. Qu’en reste- t-il depuis les excès du racisme et les échecs des colonisations ? L’Europe est tronçonnée, sa civilisation appartient au passé, et notre étude doit être celle des conditions d’une renaissance. »

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La vérité, c’est que, aux lendemains de la guerre, les Européens font face à un triple choc. Ils prennent d’abord conscience de leur effondrement moral dans ce que l’horreur nazie et la terreur atomique doivent à leurs scientifiques, à leurs ingénieurs, à leurs anthropologues, et à leur triomphe de la raison. Ils découvrent la violence criminelle de la colonisation faite au nom de la mission civilisatrice de l’Europe en Asie comme en Afrique. Enfin, la division du continent en deux par le rideau de fer leur donne le sentiment qu’ils sont sortis de l’Histoire et que l’Europe est désormais le théâtre des opérations, l’enjeu entre deux ères civilisationnelles rivales, l’américaine et la russe. Leur politique de civilisation a mené le monde et l’Europe à la catastrophe. Et cette sortie de l’histoire ne serait finalement que justice.

Cette gêne civilisationnelle explique la méfiance actuelle dans de nombreux pays européens à l’égard des utilisations politiques de l’histoire, le travail permanent sur les impossibilités d’une mémoire commune, les apories du débat sur l’identité civilisationnelle de l’Europe et, plus largement, la méfiance à l’égard de l’idée de puissance européenne.

On ne ressent ce paradoxe nulle part ailleurs plus qu’en Allemagne, principale coupable et victime de cette pensée de la démesure et des excès de la supériorité civilisationnelle. La méfiance y est grande à l’égard d’hommes et de femmes politiques qui manieraient de grands concepts historiques ou géopolitiques, concepts qui furent centraux pour l’idéologie nazie et, plus largement, pour les régimes totalitaires. Dans le reste de l’Union, elle explique les réticences des États membres à sortir des postures de neutralité héritées de Yalta, à embrasser une autre perspective que celle de Washington, ou encore à se doter d’un récit géopolitique commun. Elle explique aussi la méfiance à l’égard du concept de puissance qui est associée à la réflexion sur la civilisation européenne et la volonté de puissance, ce qu’on appelait autrefois « la mission civilisatrice de l’Europe », à laquelle elle est associée.

À ces facteurs structurels s’ajoute le principal facteur conjoncturel : jusqu’à récemment, l’Europe ne ressentait pas non plus le besoin d’avoir son propre récit. Avec la fin de la guerre froide et la victoire de l’Ouest, le récit était tout trouvé. Il était celui d’un Occident dominant dont le succès était fondé sur la promesse d’une prospérité planétaire sans cesse accrue grâce à un développement continu du commerce mondial encadré par des règles commerciales développées dans le cadre du GATT, puis de l’OMC. Cette mondialisation des échanges allait accompagner la propagation de la démocratie libérale et signer une fin de l’Histoire, récit mondial et sans alternative d’une démocratisation inéluctable de la planète.

Mais les promesses de la mondialisation heureuse se sont envolées. Le moment est venu de construire notre propre récit civilisationnel. Non plus sur les fantômes du passé, mais sur les aspirations du futur. Et si l’Union était bien plus qu’un projet technocratique ringard ? Et si elle était un projet civilisationnel renvoyant non pas à un passé glorieux mais à un avenir désirable ?

Pour retrouver l'entretien de Guillaume Klossa publié sur Atlantico, à l'occasion de la sortie de son dernier ouvrage, cliquez ICI

Extrait du livre de Guillaume Klossa, « Fierté européenne Manifeste pour une civilisation d'avenir », publié aux éditions Télémaque

Liens vers la boutique : cliquez ICI et ICI

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