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Attentat de l’Hyper Cacher: la gendarmerie a-t-elle trop joué avec le feu ?
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Boite de Pandore

L'attentat de l'Hyper-Casher en janvier 2015, dans la foulée du massacre de Charlie-Hebdo, est dans tous les sens du terme une boîte de Pandore. À l'issue du procès de Claude Hermant tenu à Lille cette semaine, on peut même se demander dans quelle mesure la gendarmerie n'a pas joué aux pompiers pyromanes.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Article publié initialement sur Entreprise.news

Si l'on admet que la vague d'attentats islamistes qui frappent la France a commencé en mars 2012 avec l'affaire Merah, alors on ne compte plus les cas de terroristes dont les activités ou les risques de passage à l'acte étaient connus de nos services de renseignement. Dans le cas extrême de Coulibaly, le procès de Claude Hermant, qui vient de se tenir à Lille, a permis de mieux comprendre les questions qui se posent dans les relations complexes entre la sphère terroriste et les services chargés de notre sécurité.

Les faits tels qu'ils se sont probablement passés

Tout ceci se passe dans des zones grises. On peut en retenir moins de certitudes que de doutes. Partons donc des quelques certitudes qu'on peut avoir.

Au deuxième semestre 2014, Amedy Coulibaly planifie la commission d'un attentat. Il cherche des armes à l'aide d'un certain Amar Ramdani. Cet homme est aujourd'hui en prison.

Ramdani apparaît comme un sherpa essentiel des attentats de janvier 2015. Non seulement il aide Coulibaly dans la recherche d'armes, mais il trouve l'acheteur de la voiture d'Hayat Boumedienne, la compagne de Coulibaly réfugiée en Syrie. Il s'agira de Metin Karasular, un kurde installé à Charleroi dont on pense qu'il aurait pu payer une partie de la voiture en armes qui serviront à l'attentat. 

Ramdani présente une particularité troublante. Depuis 2011, il a noué une relation amoureuse avec une certaine Emmanuelle, 35 ans, "accessoirement" adjudante de gendarmerie et fraîchement convertie à l'Islam. Elle travaille (et occupe un logement de fonctions...) au centre de renseignement opérationnel de Rosny-sous-Bois. Autrement dit, elle est dans les "services secrets" de la gendarmerie. Par la suite, elle prétendra n'avoir découvert qu'après les attentats de janvier 2015 le pot-aux-roses: son concubin Amar Ramdani fait l'objet d'un mandat d'arrêt international pour trafic d'armes. Cette découverte tardive ne l'empêchera pas de secourir son bien-aimé durant son passage en prison, et de commettre pour lui des fautes professionnelles qui lui vaudront sa révocation puis une condamnation à la prison.

Ici commence une longue liste d'interférences entre la gendarmerie et Coulibaly. On sait qu'un intermédiaire intervient, dans des conditions non expliquées à ce jour. Il s'agit de Samir Ladjali, dont on sait peu de choses, si ce n'est qu'il écoulait les armes importées par Claude Hermant. Samir Ladjali était-il un indicateur de la gendarmerie? Se pourrait-il qu'il doive à ce statut le fait de n'avoir été arrêté que 4 mois après Hermant? Cette affaire n'a pas été éclaircie, malheureusement, à l'occasion du procès. Il aurait en tout cas fourni Karasular qui aurait fourni Coulibaly.

Quelques autres circonstances troublantes qui continuent à nous embarrasser

Dans le dossier Coulibaly, on n'a évidemment pas le droit de ne pas épicer ce récit de quelques faits supplémentaires. Ainsi, la suite de cet article montre que la gendarmerie reconnaît un rôle d'indicateur à Hermant et à Ladjali. Courant novembre, Ladjali fournit des armes à Coulibaly qui vend la voiture de sa femme à un trafiquant de Charleroi, réputé proche du PKK. Ces événements laissent à penser que quelque chose se prépare. Coulibaly est par ailleurs "conseillé" par Ramdani qui vit avec un espionne de la gendarmerie. Il est difficile de penser que nos services n'aient pas eu l'attention attirée par tous ces mouvements. 

Alors que Coulibaly a vendu sa voiture en novembre, il est contrôlé le 30 décembre 2014, c'est-à-dire une semaine avant son forfait, au volant d'une voiture de location. Ce seul fait mérite là encore d'être mentionné comme une improbabilité statistique remarquable. 

En effet, Coulibaly est détenteur d'un permis provisoire, qu'il vient juste d'obtenir (le 10 décembre pour être exact). Il est contrôlé avenue Simon Bolivar quasiment à la sortie du parking d'où il vient de retirer sa voiture de location. Au livre des records, il pouvait donc revendiquer le titre du plus jeune détenteur de permis de conduire contrôlé "par hasard" le plus près du stationnement de la première voiture louée dans sa vie. On ajoutera que Coulibaly est contrôlé au cours d'un "contrôle de routine" mené par deux motards de la police.

Ceux qui connaissent le dix-neuvième arrondissement de Paris (et qui n'y voient jamais aucun contrôle policier, en particulier par des motards) ne manqueront de découvrir avec satisfaction que ceux-ci peuvent avoir lieu un 30 décembre à 11h45. C'est vraiment une grande première... Ce faisant, les policiers constatent que le gaillard sur qui ils tombent par hasard est fiché S, avec instruction PJ02, c'est-à-dire faire patienter l'intéressé en attendant que l'anti-terrorisme donne son avis sur le sort de la personne. Et... mystère, l'anti-terrorisme ordonne de laisser Coulibaly repartir. On en perd la trace à ce moment. 

Aucune commission d'enquête n'a, à ce jour, jugé utile de faire la lumière sur ce moment crucial. 

Le trouble ne s'arrête pas là. La veille de l'Hyper-Casher, en effet, un passant est touché par trois balles sur la coulée verte, près de Fontenay-aux-Roses (pas très loin du domicile de Coulibaly). L'intéressé, qui a vu le tireur de près, certifiera que Coulibaly n'en était pas l'auteur (voir la vidéo ci-contre). Tout laisse à penser que le coupable pourrait être Ramdani: la victime a reconnu l'individu, après une curieuse enquête à décharge de la police. Malgré ces présomptions fortes, l'information selon laquelle Coulibaly était bien le tireur tourne en boucle. 

Cherche-t-on, dans cette affaire, à éviter à un suspect protégé par les services (et on se souvient ici de la proximité de Ramdani avec la gendarmerie) une charge de tentative d'homicide qui alourdirait la peine finale?

Claude Hermant et la gendarmerie

L'homme-clé du trafic d'armes qui permet à Coulibaly de commettre son forfait est ce fameux Claude Hermant, en procès cette semaine à Lille. Par l'intermédiaire de la société possédée par sa femme, Seth Outdoor, il importe des armes démilitarisées de Slovaquie, qu'il écoule dans son réseau. On parle, en deux ou trois ans, de 500 armes revendues. 

Le procès de cette semaine a permis d'établir une bonne foi pour toutes qu'Hermant était effectivement un indicateur actif de la gendarmerie. Celle-ci aurait même payé 2.000€ des renseignements fournis par le passé. Toute la question est de savoir si oui ou non le trafic d'armes de Claude Hermant était couvert par la gendarmerie, et si l'intéressé était parfaitement loyal vis-à-vis de ses employeurs. Ou bien travaillait-il, en tout ou partie, pour son propre compte?

Hermant explique bien entendu qu'il agissait pour le compte de la gendarmerie. Les gendarmes expliquent au contraire qu'ils ne savaient rien de ces agissements. Entre les deux versions, il faut bien reconnaître qu'aujourd'hui on peine à savoir. 

Hermant protégé jusqu'au bout par la gendarmerie?

Après les attentats, l'attitude de la gendarmerie intrigue. Sur le seul volet Hermant, on sait aujourd'hui que l'ensemble de notre système judiciaire a tenté de maintenir le plus longtemps possible la fiction d'une absence totale de lien entre Hermant et Coulibaly. 

Ainsi, Hermant est arrêté par la police judiciaire le 20 janvier 2015 à Lille. Grâce à Interpol, on sait alors que les armes de Coulibaly proviennent de l'usine AFG en Slovaquie et qu'elles ont été importées par Seth Outdoor. Mais les services de renseignement anti-terroristes "oublient" de le signaler au Parquet de Paris dans leur rapport du 20 janvier. 

Comme le note Mediapart, la machine judiciaire s'organise alors pour ne pas établir de lien entre la "fortuite" arrestation d'Hermant à Lille le 20 janvier et l'attentat de l'Hyper-Casher commis dix jours plus tôt avec les armes qu'il a fournies. Il faut attendre l'été 2015 pour que les premiers rapprochements interviennent timidement entre le parquet anti-terroriste qui enquête sur les attentats et le parquet de Lille qui enquête sur le trafic d'armes. 

Entretemps, la commission de déclassification préconise de ne pas transmettre à la justice les rapports de gendarmerie sur les activités de Claude Hermant. 

La ligne de la gendarmerie a pris l'eau

In fine, le ministère de l'Intérieur accepte de transmettre 12 procès-verbaux de rencontres entre les gendarmes et leurs indicateurs, à condition qu'ils soient caviardés. Les débats et la lecture de ces documents partiels permettent tout de même de découvrir que les gendarmes étaient informés du trafic d'armes organisé par Claude Hermant. Tiens! tiens!

Bien entendu, les intéressés minimisent leur degré de connaissance sur les activités de cet indicateur qui a quand même importé une vingtaine d'armes par mois. Si, à l'occasion d'une rencontre avec un homme dont ils ne se souviennent plus très bien, l'intéressé leur a présenté des armes, ils ont pensé qu'il s'agissait de fournitures pour le paint-ball. Bien sûr!

En l'état, on ne saura donc pas si oui ou non Hermant a fourni Coulibaly avec l'accord de la gendarmerie. 

Au coeur de la mouvance nationaliste

Dans la pratique, ce dossier mérite d'être lu à l'aune d'une large perspective sur l'univers de Claude Hermant. L'intéressé appartient à la mouvance identitaire. Il est l'une de ces figures de l'extrême droite nationaliste qui rêve de révolutions et de grands chambardements politiques. 

Dans cette errance idéologique, la route de Claude Hermant a beaucoup croisé celle de nos services de renseignement. C'est le cas dans le dossier de trafic d'armes qui permet à Coulibaly de transformer l'Hyper-Casher en boucherie. C'est aussi le cas au Congo où des péripéties rocambolesques conduisent Hermant, en 1999, à une vraie fausse tentative de coup d'État, qui lui vaut de la prison et une libération peut-être favorisée par l'intervention de nos services.

Mais il croise aussi, dans cet univers, une faune de gens peu recommandables dont les amitiés sont interlopes. C'est par exemple le cas d'un autre probable "indic" de la police, nommé Christophe Dubroeucq, interpellé en décembre 2009 au volant de la voiture d'Hermant sur les bords du canal de la Deule, à Lille. Ce soir-là, un certain Abdelaziz est noyé au même endroit dans le canal...

On découvre, petit à petit, que cette faune étrange a maille à partir dans une multiplicité de trafics avec les mouvances identitaires flamandes, liées... à la pègre albanaise. 

Autrement dit, il est hautement improbable que l'approvisionnement en armes des terroristes islamistes soit assuré de façon consciente par la gendarmerie. Qu'en revanche, celle-ci, comme d'autres forces de police, s'appuie sur des indicateurs qui sont autant d'agents doubles chargés d'interconnecter des milieux très différents mais tous aux lisières de la société est beaucoup plus probable. 

Hermant a-t-il bénéficié d'une impunité, pendant plusieurs mois, pour infiltrer des milieux favorables, comme lui, à un chaos dans notre société? Ces milieux ont-ils fini par croiser la route des terroristes? La gendarmerie, à force de jouer un jeu dangereux s'est-elle brûlé les doigts? En particulier, a-t-elle fermé les yeux sur un trafic d'armes qui a permis à un terroriste de commettre un attentat? 

En bout de course, on sent bien que les événements en cours en Europe depuis une vingtaine d'années (l'émergence d'une pègre des Balkans, le développement d'un Islam violent, le bouillonnement identitaire) sont loin d'être des phénomènes antagonistes. Ce sont des facettes différentes d'une violence profonde, vis-à-vis de laquelle nos forces officielles de sécurité ont tendance à parier sur de possibles doubles jeux. Jusqu'au jour où... les armes se retournent contre nous. 

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