Attal / Bardella : le match de l’impasse politique française ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Premier ministre Gabriel Attal et la tête de liste du RN Jordan Bardella.
Le Premier ministre Gabriel Attal et la tête de liste du RN Jordan Bardella.
©Thomas SAMSON / POOL / AFP

Défiance

Gabriel Attal et Jordan Bardella débattaient hier soir, à l'heure où les Français s'éloignent encore plus de la vie politique française.

Frédéric Mas

Frédéric Mas

Frédéric Mas est journaliste indépendant, ancien rédacteur en chef de Contrepoints.org. Après des études de droit et de sciences politiques, il a obtenu un doctorat en philosophie politique (Sorbonne-Universités).

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Véronique Reille Soult

Véronique Reille Soult est présidente de Backbone Consulting, spécialiste de la gestion de crise et de l'analyse de l'opinion. Elle a notamment publié "L'ultime pouvoir - La vérité sur l'impact des réseaux sociaux" (2023) aux éditions du Cerf.

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Atlantico : A l’heure du débat Bardella / Attal, les citoyens expriment de plus en plus de défiance à l’égard des politiques par rapport à l'insécurité ou aux difficultés économiques. Quel est le sentiment qui prévaut chez les citoyens vis-à-vis des politiques et de l'urgence à réformer ?

Frédéric Mas : Il y a des attentes de la part des Français sur les questions liées à l’insécurité et à l’économie. Reste à savoir si cela concerne réellement la question des élections européennes et des enjeux européens. Si un certain nombre de citoyens attendent des réponses sur des questions de politique intérieure dans le cadre d'une élection qui porte sur l'Europe, c'est bien qu'il y a un problème. La difficulté est que les citoyens ne s’intéressent pas au débat proprement européen.

Concernant le face-à-face entre Renaissance, le parti présidentiel, et son challenger le plus probable, le Rassemblement national, il y a en réalité une incompétence en miroir. Renaissance est assez insensible, assez autiste sur la question de la sécurité et de l'immigration. Il y a une raison essentielle à cela. Le bilan en matière de sécurité de la macronie est catastrophique. Il est impossible de défendre un bilan positif dans ce domaine pour la majorité présidentielle. La sécurité a explosé et les chiffres sont là pour le prouver.

Du côté du Rassemblement national, le parti est en difficulté sur les questions économiques. Or, le pouvoir d’achat en France reste parmi les questions les plus importantes de la société française. Comme Renaissance pour l’immigration, le RN n'a pas de réponse sérieuse sur les enjeux économiques. Le RN avait envisagé de publier son programme économique il y a quelques semaines. La publication a finalement été reportée. Publier ce programme à ce moment précis aurait encombré politiquement le Rassemblement national.

Véronique Reille Soult : Les Français s’expriment non pas sur un sentiment d’insécurité mais sur des insécurités. Cette perception allant de l’agression verbale aux crimes et attaques. Ils ne pensent pas que le gouvernement les protège réellement mais ils ne pensent pas que les autres politiques feraient mieux. Le sentiment de décalage entre les politiques et la réalité du terrain reste fort, et par voie de conséquence les solutions proposées semblent souvent décalées et loin du quotidien. Ce point est particulièrement fort sur le volet de l’approche économique. Les Français ressentent un fort sentiment d’injustice sur le sujet du pouvoir d’achat et tout particulièrement sur le thème central du logement. Là encore, ils pensent bien souvent que les mesures prises ne sont pas à la hauteur de leurs besoins et attentes. Le sentiment d’urgence à agir est fort, mais il est vu par le prisme national plus que par l’Europe.

Face à ce constat et aux attentes des électeurs pour ces enjeux européens et nationaux, quelle est la typologie politique des partis ? Les actions menées et les projets soutenus ou portés par les différents courants et partis politiques apportent-ils réellement quelque chose ?

Frédéric Mas : Sur la question européenne, il est très difficile de distinguer des positions très claires et tranchées car le débat est très franco-français. Il est possible de dégager un certain nombre de lignes de force en se reportant aux politiques constantes des différentes formations politiques.

Le parti présidentiel, y compris avec ses alliés de toujours, a une position qui est très pro-européenne, qui va dans le sens du fédéralisme, des réformes et qui s'oppose justement au projet politique très différencié du Rassemblement national qui est souverainiste, qui reste favorable à l'Europe des nations et qui est très hostile à l'Europe de Bruxelles et à ses tentations supranationales.

Le positionnement de La France insoumise est beaucoup moins lisible dans les sondages. LFI n’est pas très haut dans les sondages pour les européennes. Le programme de LFI n’est pas révolutionnaire. Le programme est très social-démocrate, très à gauche. Il y a un malentendu avec La France insoumise. LFI est régulièrement présenté comme un parti révolutionnaire. La France insoumise est surtout une formation politique qui joue beaucoup sur la rhétorique révolutionnaire pour se faire une place. Jean-Luc Mélenchon n'est pas un révolutionnaire, c’est un ancien sénateur. 

Par rapport au débat entre Gabriel Attal et Jordan Bardella, que penser des deux visions du RN et du camp présidentiel ? Quelles sont les principales leçons du débat ? Est-ce que les arguments politiques de ce débat sont susceptibles de satisfaire les électeurs indécis et la base électorale du RN et du camp macroniste ?

Frédéric Mas : Je suis très sceptique sur le contenu de ce débat et sur le fait que Gabriel Attal, le Premier ministre, entre dans l'arène pour des élections européennes à la place de Valérie Hayer, la tête de liste de Renaissances. Cela a donné une place assez magistrale à Jordan Bardella au sein du débat public. Il est devenu le seul adversaire légitime de la formation présidentielle. Cela lui donne une importance qui écrase les autres oppositions. Le débat n’a pas pu permettre de résoudre énormément d’interrogations politiques. Le débat était très franco-français. Cette tendance se retrouve aussi chez les électeurs. Une étude de la Fondation Jean-Jaurès publiée cette semaine montre que les Français sont assez éloignés et ne connaissent pas bien les enjeux européens. Les questions qui ont été abordées au sein du débat (l’immigration, l’énergie, l’agriculture notamment) sont reliées au débat national et finalement sont assez peu liées aux questions de l'Europe elle-même.

Jordan Bardella a montré qu'il n'était pas économiste et Gabriel Attal a essayé de justifier les différents volte-face de la majorité présidentielle, en particulier sur le nucléaire puisque la majorité a été contre et maintenant elle est favorable au nucléaire.

Le débat entre Gabriel Attal et Jordan Bardella impose le clivage Macron - Le Pen (Renaissance - RN) au cœur de la vie politique. En quoi est-ce que ce clivage, entre mondialistes et souverainistes, n’est-il pas aussi profond et pas aussi dominateur au regard des sondages et de l’opinion ?

Frédéric Mas : Il y a un certain rapprochement dans la façon d'aborder la politique française entre ces formations politiques. La stratégie de dédiabolisation opérée par Marine Le Pen a minoré un certain nombre de thématiques, en particulier sociétales, héritées du Front national et qui étaient extrêmement clivantes, comme la question de l'avortement. Le RN a aussi changé d'opinion sur la question de l'OTAN, sur la sortie de l'euro. Il existe un rapprochement sur un certain nombre de sujets, même s’il reste des tensions et des oppositions et des oppositions de fond sur la manière dont les deux formations se représentent à la fois l'ordre social, la société, la France et l'Europe.

Entre l'Europe des nations dont parle Marine Le Pen et l'Europe intégrée supranationale évoquée par Gabriel Attal, il y a beaucoup de différences. Des clivages subsistent.

Véronique Reille Soult : Ce débat était attendu même s’il n’allait pas changer grand-chose dans le choix des électeurs. En effet, en réalité très peu de Français hésitent entre un vote pour le RN ou pour Renaissance. Les hésitations du vote pour Renaissance sont principalement avec celui pour le PS, voire écologiste, et parfois LR. Pour ce qui est du vote RN, les hésitations portent plus avec celui pour Reconquête ! Les deux débatteurs devaient donc parler aussi et surtout à ces citoyens. En revanche pour le RN, l’enjeu du débat était un peu plus important car le risque principal du RN est le manque de mobilisation de ses électeurs. En effet, trop certains du résultat ou pas suffisamment mobilisés, ils pourraient ne pas se rendre aux urnes. Jordan Bardella devait donc les mobiliser en les « énervant » contre le gouvernement, argument qui pourra les motiver ! Son autre enjeu était également de se rendre « premier ministrable ». Le sujet est donc plus « France et protection » face à « Europe et développement ».

Au regard du débat Attal - Bardella et de la campagne des européennes, est-ce que nous n'assistons pas à deux formes de renoncement politique à travers le RN et Renaissance ? Les promesses de réformes sont là mais sans solutions tangibles ou concrètes. Est-ce qu'il n'y a pas là une forme de renoncement politique à travers ces mouvements ?

Frédéric Mas : Cela s’apparente à un renoncement politique dans la mesure où il y a une théâtralisation de la politique. Les candidats ont fait le choix de ramener les questions européennes aux questions purement françaises. Il s’agit d’un aveu d'impuissance. Ni la formation de Jordan Bardella, ni la formation de Gabriel Attal n’ont véritablement de prises sur le fonctionnement européen. Ils se concentrent sur des questions assez basiques et traditionnelles dans le débat français pour « assurer le spectacle ». Les enjeux sont ailleurs. Les grands clivages ne vont pas énormément bouger dans le reste de la campagne et même après ce débat. Selon toute vraisemblance et d’après les projections, Jordan Bardella va arriver en tête des élections européennes. Valérie Hayer, la candidate de la majorité présidentielle, sera distancée loin derrière mais cela ne devrait pas bouleverser les équilibres au sein du Parlement européen puisque le groupe auquel appartient la majorité présidentielle française devrait rester majoritaire au Parlement européen. Le changement sera extrêmement limité. 

Le clivage Bardella - Attal structure peut être l’électorat mais n’est-ce pas uniquement en surface ? N’y a-t-il pas d’autres sujets sur lesquels l’opinion se structure différemment comme l’immigration ou les idées libérales ?

Véronique Reille Soult :Les principaux sujets des Français sont le pouvoir d’achat avec le fort prisme sur l’immobilier, la santé puis la sécurité. La place du service public est aussi un sujet de préoccupation fort. Ces sujets peuvent être travaillés au niveau européen et les Français souhaitent savoir ce que chacun propose concrètement. Même si le RN doit souvent rester dans une forme d’ambiguïté car son électorat à parfois des points de vue relativement hétéroclites en particulier sur les réponses au niveau économique. Ce qui n’est pas le cas pour la souveraineté, la sécurité et l’immigration.

Le débat de jeudi soir et les réactions sur les réseaux sociaux sont-ils susceptibles de faire bouger les lignes lors du vote du 9 juin prochain ?

Véronique Reille Soult :Le nombre de réactions, hors sphères partisanes, est resté très faible avec 60 000 messages durant l’émission. Finalement, en dehors des soutiens de chaque partis et listes, peu de Français se sont exprimés. Aucun ne ressort véritablement « vainqueur » du débat, mais les deux ont plutôt réussi à atteindre leur objectif propre. Pour autant, comme attendu, ce débat ne changera pas fondamentalement les intentions de vote. Les citoyens qui veulent voter mais qui hésitent encore ont eu du mal à trouver des réponses à leur doute, une partie de leurs choix possibles n’étant pas présents sur le plateau.

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