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Annulation du concert de Black M : entre la dénonciation d'un "1er pas vers le totalitarisme" ou d'un "ordre moral nauséabond", de quelle étrange inversion des valeurs souffrent les bien-pensants ?
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Qui est xénophobe dans l'histoire ?

Alors que plusieurs membres du gouvernement ont crié au scandale suite à l'annulation du concert de Black M à Verdun, une telle levée de boucliers n'est pas sans poser un certain nombre de questions.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Michel Maffesoli

Michel Maffesoli

Michel Maffesoli est membre de l’Institut universitaire de France, Professeur Émérite à la Sorbonne. Il a  publié en janvier 2023 deux livres intitulés "Le temps des peurs" et "Logique de l'assentiment" (Editions du Cerf). Il est également l'auteur de livres encore "Écosophie" (Ed du Cerf, 2017), "Êtres postmoderne" ( Ed du Cerf 2018), "La nostalgie du sacré" ( Ed du Cerf, 2020).

 

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Atlantico : Le secrétaire d'Etat aux anciens combattants, Jean-Marc Todeschini, a déclaré que l'annulation du concert de Black M à Verdun était "un premier pas vers le fascisme". De même, la ministre de la Culture Audrey Azoulay a dénoncé dans cette affaire un "ordre moral nauséabond et décomplexé". Ne peut-on pas voir dans ces affirmations du gouvernement une forme d'inversion de système de valeurs ?

Eric Verhaeghe : Sur ce sujet compliqué, je pense qu'il faut passer outre la polémique et regarder les choses en face. Le rappeur Black M a écrit ou "chanté" plusieurs textes qui sont clairement contraires aux valeurs de la République. Tout le monde a noté sa référence aux "youpins qui font les magasins", aux "pédés" qu'il faudrait laisser morts sur le périphérique, aux "kouffars", c'est-à-dire aux non-Musulmans, qui composent la France. Ces paroles sont sans appel et n'ont jamais fait, de la part du chanteur, l'objet d'un quelconque regret. L'intéressé a même poussé le vice jusqu'à indiquer aux spectateurs de son concert qu'ils s'y amuseraient bien. En invitant ce rappeur à la célébration de la bataille de Verdun, la mairie faisait passer un message limpide : celui de la subversion de l'Histoire. Verdun est un deuil national, éloigné sans doute, mais qui doit célébrer celui d'une unité du pays autour de la défense du territoire. Il faut avoir un esprit malade, comme celui du maire de Verdun, pour le transformer en célébration d'un courant musical débilitant qui fait l'apologie de l'antisémitisme, de l'homophobie, et de l'islamisme. Que la ministre de la Culture et qu'un ministre par ailleurs élu local lorrain défendent cette subversion débilitante pose une vraie question : la gauche mise-t-elle sur la destruction organisée des valeurs collectives pour gouverner ?

En tout cas, on voit mal comment tous ces gens peuvent de façon raisonnable défendre les principes républicains en accordant une place aussi "institutionnalisée" à ceux qui les combattent au jour le jour.

Michel Maffesoli : Il est difficile de parler de système de valeurs devant des réactions qui sont plus mues par les émotions ou les tentations manipulatrices que par une cohérence : je ne sais pas à qui revient la décision initiale d’inviter Black M dans le cadre des cérémonies de commémoration de la bataille de Verdun.

Le maire de la ville comme le gouvernement appartiennent au même bord, j’imagine que cette décision n’a pas été prise par un sous-fifre quelconque ! Quel objectif poursuivait-on ? Etait-ce une attitude démagogique comme celles qui font la une de l’actualité, la distribution de diverses primes et allocations qui seront payées par les successeurs ? Ou alors, une méconnaissance des paroles de Black M ? C’est possible également, la culture "djeune" affichée par nos gouvernants est souvent de pure façade.

En tout cas, cette décision reflétait la confusion actuelle qui préside à ce qu’on appelle la liberté d’expression. Tout est fait comme si celle-ci signifiait la liberté de dire n’importe quoi à n’importe qui et n’importe où. Or, il est établi que certaines des paroles de ce chanteur contreviennent nettement aux lois de la République (antisémitisme - lorsqu’il parle des "Youpins" -, incitation à la haine homophobe - "que les pédés périssent", racisme anti-Français - "France pays de kouffars"- ) ; il était donc curieux de l’inviter à une cérémonie publique, même si, de manière un peu hypocrite, on a dit que ce concert se situait "en marge" des cérémonies officielles. On imagine en effet qu’il n’allait pas remplacer l’hymne national ni l’hymne européen dont on peut espérer qu’il sera chanté.

Certes, il n’y a plus de victimes directes de la boucherie de Verdun, il reste néanmoins un souvenir de l’horreur, à la fois chez les descendants des orphelins de Verdun, et dans le territoire local, marqué séculairement par la barbarie. Je dirais donc que la décision d’inviter ce chanteur-là ne témoignait ni du respect de nos ancêtres, ni de la pudeur nécessaire face à une telle barbarie, ni de discernement. Le discernement, c’est en effet accorder aux mots et aux actes la force qui est la leur, c’est la maîtriser, c’est justement le contraire d’un gouvernement asservi aux sondages : ceux qui lui enjoignaient de plaire à la jeunesse qui est en ce moment dans la rue, ceux qui le renseignaient ensuite sur le scandale que causeraient aux Français "patriotes" les paroles de Black M et peut-être les derniers, qui font écho au scandale créé dans les cercles bien-pensants par l’annulation.

Il est donc difficile de parler d’inversion de valeurs, mais plutôt d’absence totale de valeurs et d’une confusion qui reflète bien l’hypocrite pulsion du pouvoir pour le pouvoir. Et ce d’autant plus que ceux qui crient au loup fasciste sont ceux là même qui ont supprimé une partie de la subvention promise par le national à la ville pour financer ce concert !

Quelles conséquences, tant politiques que sociétales, peut-on attendre de cette inversion des valeurs ? La grille de lecture de la société française peut-elle s'en trouver changée ?

Michel Maffesoli : Je le redis, ce qui est frappant dans le débat politique actuel, ou dans les reprises médiatiques, c’est l'absence totale de pensée. Certes, le monde a changé et il nous faut réfléchir à ce que représentait le nationalisme guerrier de 1914-1918. La bataille de Verdun a quand même été, de part et d’autres, le sacrifice cynique par les états-majors militaires et politiques de millions d’hommes.

Mais il est clair que nous ne retrouvons pas dans la société contemporaine l’unanimisme nationaliste qui conduisit même le grand-père de Black M à combattre pour la défense de la nation (la guerre de 1914-1918 a opposé des nations, et non pas des régimes, certes l’Allemagne de Bismarck était un Empire, mais un Empire aussi sinon plus social et décentralisé que la France de la IIIème République).

Les paroles de Black M (et leur succès) traduisent donc une tension dans la société française qu’il faut penser et non pas tour à tour applaudir démagogiquement pour la poursuivre un peu plus tard et en général pour l’instrumentaliser.

La France de 2016 est traversée comme toute société postmoderne par la recherche d’ancrages communautaires, de lien social de proximité. La prolifération de paroles identitaires en est aussi un symptôme. Peut-être pas aussi grave qu’on ne veut bien le dire, à condition de savoir peu à peu diriger le ballet de ces diverses communautés.

Dans le cas présent, c’est ce qu’on n’a pas su faire et chacun a été renvoyé à une identité monolithique : Black M, mauvais garçon, voire terroriste alors même qu’il est aussi un enfant de France et sans doute aussi un tenant de diverses autres petites tribus musicales par exemple. Le Front national dans son rôle d’assignation à la seule identité blanche et chrétienne, nationaliste et militariste. Et le Parti socialiste a été renvoyé lui à une gesticulation sans courage (le courage, c’est aussi celui d’expliciter ses décisions et de les tenir).

Les divers qualificatifs qui sont actuellement employés pour l’annulation du concert, "fascisme", "ordre nauséabond" appartiennent à cette volonté de parler à tout prix et surtout sans réfléchir.

Les politiques sont là pour mettre des mots justes sur ce qu'il se passe, pour expliciter ce vivre-ensemble, par pour être des "fournisseurs d’épithètes", des commissaires politiques à la petite semaine.

Eric Verhaeghe : Le ministre Todeschini, dont le seul fait de gloire est d'avoir construit une piscine à Hagondange, est, par sa profession, inspecteur de l'Education nationale. Cette circonstance soulève un problème majeur. Comment un "éducateur", comment un ministre qui a encadré des enseignants, qui plus est venu de Lorraine, région qui a connu l'annexion prussienne, peut-il sans rougir considérer comme fascistes ceux qui refusent de voir Verdun polluée par des valeurs contraires aux Droits de l'Homme ? On ne peut s'empêcher de voir les choses telles qu'elles sont. Il existe aujourd'hui une technostructure et une pédostructure à gauche qui prônent ouvertement des valeurs hostiles à la République et favorables à la mort de la démocratie. On ne peut tirer d'autre conclusion que celle-là.

Il faut être capable de tirer le fil de cette pelote jusqu'au bout. Au nom d'une vision hallucinée de la démocratie, une part importante de la gauche fait entrer le loup dans la bergerie. Il est évident que les textes de Black M sont dangereux pour la survie de notre civilisation et sont contraires à ses valeurs fondamentales de liberté et de démocratie. Si nous ne versions pas le sanglot de l'homme blanc et, sans doute, si nous n'étions pas pollués par des calculs politiciens tordus, cette évidence ne ferait l'objet d'aucune contestation. Il faut simplement se demander pourquoi affirmer qu'un "youpin fait les magasins" est une phrase scandaleuse lorsqu'elle est prononcée par un blanc chrétien, et pourquoi elle devient une erreur de jeunesse insignifiante et sans conséquence lorsqu'elle est prononcée par un chanteur issu de l'immigration sénégalaise. 

Le deux poids deux mesures s'explique de façon simple : la gauche morale place la haine qu'elle est là de la majorité chrétienne du pays au-dessus de toutes les autres valeurs. Elle préfère pactiser avec des islamistes antisémites contre les chrétiens de souche, plutôt que de pactiser avec les chrétiens de souche contre les islamistes.

Dans l'opposition ou la majorité, la gauche a souvent endossé le costume de protectrice des "bonnes" valeurs. Dans les faits, cela est-il effectivement le cas ?

Eric Verhaeghe : La question n'est probablement pas de savoir quelles valeurs la gauche défend, mais plutôt de comprendre quel projet politique sous-tend ces valeurs. A l'usage, on voit bien que celui-ci est d'abord un projet de domination d'essence fondamentalement populiste et raciste. La gauche défend des valeurs qui prétendent "raser gratis", sur le mode du "tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil". Qu'un enfant d'immigré sénégalais fasse profession de racisme, d'antisémitisme, d'homophobie, n'est pas grave puisque cette profession de foi est prononcée par une "victime" de l'ordre blanc capitaliste. Tout doit lui être pardonné : il est pauvre, donc il ne peut être tenu pour responsable de ses actes. En revanche, que la même profession de foi soit tenue par un blanc, et la culpabilité s'inverse. Derrière cette vision du monde, il y a un projet de domination : le pauvre noir n'est pas un humain responsable et il doit donc être entouré par le dispositif étatique d'assistance sociale qui l'asservira. Le blanc est en revanche par principe responsable et doit être éradiqué en tant que tel. Derrière ce projet, largement défendu par les fonctionnaires de gauche, la vision du monde qui se dégage en creux est simple : il faut à tout prix recomposer la société autour d'esclaves irresponsables et pris en charge par la solidarité, et il faut marginaliser au maximum tous ces méchants chrétiens qui entendent défendre le principe de responsabilité et de liberté. 

La polémique Black M le montre : la gauche ne supporte pas l'immixtion de la société civile responsable dans les décisions publiques. Elle préfère un peuple silencieux, obéissant, asservi par une sous-culture débile où les valeurs démocratiques sont traînées dans la boue.

Michel Maffesoli : En général, un parti au pouvoir ne peut que rarement avoir la même attitude au pouvoir que dans l’opposition. La gauche a plutôt fait son beurre de la défense des libertés, surtout quand elle était dans l’opposition. On remarque néanmoins que c’est Lionel Jospin qui a le premier requis une autorisation pour l’organisation de rave-parties et que l’une des lois emblématiques de ce gouvernement sera celle sur la pénalisation des clients des prostitués. Ceci au mépris de la volonté des personnes concernées (les personnes se livrant à une activité de sexe tarifée) et de la santé publique d’ailleurs. D’une certaine manière, on pourrait dire que nos élus ont joué les "commissaires de la braguette", souvent d’ailleurs par peur qu’on ne les prenne pour des clients de la prostitution.

S’agissant de la liberté d’expression, on trouve là encore les mêmes errements : dans certains cas (Charlie), elle est considérée comme héroïque, dans d’autres cas, comme un blasphème anti-républicain.

Je crois que ces incohérences de nos politiques, mais aussi de nombre d’intellectuels et de journalistes, témoignent d’une vraie difficulté à penser le monde qui a changé et notamment le polythéisme des valeurs qui prévaut contemporainement.

Parfois, le silence (et également le retrait de l’Etat) vaudrait mieux que ces incantations, ce "Niagara" d’eau tiède, agitant le danger fasciste, les "relents nauséabonds" à tout bout de champ ou appelant au sursaut "républicaniste" à tout instant, sans même savoir raconter, de manière attractive la "res publica", notre chose commune, qu’il faut apprendre à construire ensemble, comme un patchwork chatoyant et non pas comme un duel rétrograde.

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