Âmes sensibles s’abstenir : pourquoi il faut être une machine de guerre pour faire de la politique (même si on pleure comme Cécile Duflot ou Ségolène Royal)<!-- --> | Atlantico.fr
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Pour l’homme politique, l’émotion a un rôle central.
Pour l’homme politique, l’émotion a un rôle central.
©Flickr

Univers impitoyable

Cécile Duflot était au bord des larmes à l'Assemblée nationale lorsque le député UMP Philippe Meunier a dénoncé les propos du compagnon de la ministre sur le défilé du 14 juillet. Un exemple supplémentaire de la dureté de la culture politique française.

François  Belley et René Zayan

François Belley et René Zayan

François Belley est publicitaire et planneur stratégique à l’Agence Melville. Passionné de communication politique, il a publié l’essai Ségolène®, la femme marque et est l’auteur du blog La politique spectacle décryptée par un publicitaire.

René Zayan est psychologue, il enseigne à l'Université catholique de Louvain en Belgique. Il est l'auteur de Charisma politico.

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Atlantico : Lors des questions au gouvernement du 16 juillet, on a vu Cécile Duflot au bord des larmes à l’Assemblée nationale lorsque le député UMP Philippe Meunier a dénoncé les propos tenus sur Twitter par Xavier Cantat, le compagnon de la ministre du Logement. La réaction de Madame Duflot est-elle qualifiable de "normale" ? Pourquoi ?

René Zayan : Il existe des différences extrêmement marquées dans l'expressivité émotionnelle entre les hommes et les femmes. Ces dernières sont, par nature, beaucoup plus expressives, que ce soit dans l'expression de la joie ou de la tristesse. Que cela s'explique par des facteurs culturels ou neurologiques, cette différence existe. Martine Aubry a pleuré quand elle a vu Jean-Marie Le Pen au second tour de l'élection présidentielle de 2002. Même Margaret Tatcher, qui était reconnue comme un modèle d'autorité politique, ressentait le besoin de s'alcooliser le soir.

Deuxièmement, il ne faut pas non plus oublier que nous avons affaire à des hommes et des femmes politiques. Leur charge et leur calendrier est très dense : il faut avoir un métabolisme extrêmement résistant, très riche en dopamine anti-stress, et de bons mécanismes immunitaires. Quand on ajoute à ce stress physique une variante typiquement française, qui est celle du stress social causé par la confrontation politique, dans laquelle les hommes sont souvent hostiles, quand ils ne sont pas cruels, à l’égard des femmes. Pour tout dire, je m'attendais même à ce que madame Duflot craque davantage et aie une réaction de dépression réactionnelle.

François Belley : Avant toute chose, l’émotion, qu’elle traduise l’énervement, la tristesse ou la colère, n’est pas un phénomène nouveau. Il suffit de penser à Royal, Aubry, Duflot…  De plus, ce n’est pas propre à la femme. Souvenez-vous des larmes d’Obama après la tuerie de Newton. Le langage non verbal fait partie intégrante de la communication, et donc aussi de la communication politique. Dans une société d’image ultra médiatisée, il vaut mieux être un homme politique avec des émotions. Lionel Jospin, par exemple, était taxé d’homme austère et peu communiquant. Les personnes bien notées en termes de communication sont celles qui font parler le corps et les gestes. Pour l’homme politique, l’émotion a un rôle central. Quand Ségolène Royal se lève pour tenir la main d’un handicapé sur un plateau télé, cela participe d’une recherche de proximité, d’humanité et de normalité dans un contexte où le citoyen se défie de l’homme politique, souvent considéré comme arriviste, égocentrique et dans une logique de conflit. Les larmes, la compassion et l’empathie font partie la communication politique pour ces raisons-là.

Dans la terminologie femme ou homme politique, la notion de politique est juxtaposée avec la notion de méfiance. Toute la schizophrénie de l’homme ou de la femme politique réside dans la nécessité d’intégrer de l’émotion dans sa communication pour ne pas être taxé de distant (Aubry, Jospin), et en même temps d’éviter de tomber dans l’écueil de la démagogie, du calcul et du spectacle politique. Dans le cas de Cécile Duflot, tout l’enjeu est de savoir si ses larmes sont sincères ou si elles relèvent d’un calcul politique.

Autre question : les larmes sont filmées, en réponse aux attaques d’un homme, et dans l’antre de la République. Qu’elle soit sincère ou comédienne, Cécile Duflot a gagné la bataille de l’image : c’est l’homme contre la femme attaquée, blessée et qui pleure.

Ségolène Royal avait aussi surpris tout le monde en pleurant suite à son échec aux primaires du parti socialiste. La tradition politique française interdit-elle la manifestation des émotions ? Pourquoi ?

René Zayan : Rares sont les femmes émotionnellement très sensibles, comme par exemple Simone Weil. En général, les personnalités politiques féminines ont "le cuir tanné", elles ont tendance à se masculiniser, ce qui est d'ailleurs assez typique de la politique française. A partir du moment où madame Duflot s’est cantonnée à la ligne voulue par François Hollande, elle devrait obtenir énormément de réactions d’empathie plus ou moins sincères. On va lui manifester de la compréhension, lui montrer qu'on a compris son désarroi, et donc qu'on est prêt à la rassurer. Quand une femme, qui plus est une jeune fille, exprime très clairement sa tristesse et son désarroi, un mécanisme prévu dans le programme évolutif de l’espèce humaine déclenche des réactions rassurantes chez les autres et même chez l’homme. Celui-ci rassure la femme qui est en état de fragilité, car il a plus de testostérone, il tient naturellement mieux le coup. On risque d’assister à des réactions de compassion et d'entraide politique vis-à-vis de Cécile Duflot. Elle n’a rien à perdre dans cette histoire, car ceux qui moqueront sa faiblesse seront des membres de l’opposition relativement machistes.  

François Belley : C’est plus courant qu’on ne le pense. François Fillon, par exemple, avait pleuré lors des funérailles de Philippe Séguin. Il s’agit toujours d’une  réaction à un événement précis : une défaite dans le cas de Royal, un décès pour Fillon, ou encore le PDG de la SNCF la semaine dernière à l’occasion de la tragédie de Brétigny. Ce n’est donc pas interdit face caméra, et c’est très courant. Des pays comme l’Allemagne sont moins dans l’affect et l’émotion que la France. Avant d’être politiques et publics, cela restent des hommes. On trouve toujours une scénarisation de l’émotion, mais le doute s’instille selon les cas. Lorsque Ségolène Royal perd aux primaires et lorsqu’elle pleure devant Mitterrand,  il ne s’agit pas des mêmes larmes. On n’oubliera jamais que ces gens travaillent énormément, qu’ils subissent une pression médiatique et politique, et qu’un à moment donné, ils craquent.

Philippe Meunier a poursuivi ses critiques sur son propre compte Twitter en parlant des "larmes de crocodile" de Cécile Duflot. Faut-il y voir un manque d’humanité de la part du député ?

René Zayan : Dans la logique instinctive de l'évolution humaine, où les hommes, les vrais, se font fort de rassurer, comme le ferait une personnalité comme Chirac, Madame Duflot aura indéniablement du soutien. Sa réaction normale de femme politique poussée à bout lui coûte peu et lui donne le bénéfice du soutien de ses pairs.  

En revanche, la politique française est marquée par une logique de rapports de forces, qui se fait le plus souvent entre mâles. Il se trouve que des femmes s’immiscent dans ce rapport. Dans cette logique, il ne fallait absolument pas s'attendre à des réactions compatissantes de la part de membres de l’UMP ou du FN. A la limite, même Marine Le Pen, qui est dans l’opposition, serait plus apte à témoigner de sa solidarité féminine. En femme intelligente, en faisant cela elle serait aussi gagnante.

Il est extrêmement cruel et indélicat de voir un député de l’opposition, bien à droite, non seulement ne pas manifester une réaction à tout le moins galante, mais au contraire d’enfonce la personne de contrôler ses émotions afin de manipuler l’opinion. Nous sommes dans une logique de guerre implacable.

François Belley : Le jeu du spectacle politique consiste toujours à attaquer l’adversaire. Or j’y mets deux bémols. D’une part, Philippe Meunier sait très bien qu’en faisant cela il s’offre une fenêtre pour exister médiatiquement, passage obligé pour exister politiquement. Sans aller jusqu’au manque d’humanité, il s’agit clairement d’un manque d’élégance. N’oublions pas que Cécile Duflot s’est fait siffler lorsqu’elle a pris la parole en robe, et que maintenant elle pleure au même endroit. Dans cinq ans, on s’apercevra peut-être que tous ces événements s’inscrivent dans un scénario qui a contribué à la fabrication du produit marketing qu’est une femme ou un homme politique.

Lors d’une interview peu après le suicide de son frère, Nathalie Kosciusko-Morizet n’avait rien laissé paraître de son émotion à la télévision. Faut-il nécessairement être "émotionnellement blindé" pour être en politique ? S’agit-il d’un comportement anormal ?

René Zayan : Nous avons affaire à deux situations différentes. Celle de madame Duflot est politique, immédiate et quasiment personnelle. Le cas de NKM est très différent : elle nous explique qu'elle a vécu un événement objectivement dramatique. Dans ce cas précis, si elle avait été au bord des larmes, tout le monde aurait trouvé cela normal, et aurait cherché à la réconforter.

Cependant, il ne faut pas croire qu'elle a été indifférente du point de vue facial : la dilatation des pupilles et la mobilité du muscle frontal ont montré qu’elle était touchée. Cependant elle a contrôlé la faiblesse. Et de ce point de vue-là on a compris qu'elle avait vécu un événement traumatisant, mais qu'elle pouvait également se contrôler. On va donc lui attribuer d'office une qualité, qui est la capacité de parler de problèmes qui touchent à l’émotion populaire sans sombrer dans l’exhibitionnisme. Deuxièmement, par voie de conséquence on se dit qu’elle a la capacité d’être aux commandes : ce n’est pas un énième évènement personnel qui va la déstabiliser dans ses décisions de maire de Paris si elle est élue.

François Belley : En politique, la recette consiste aujourd’hui à être authentique. Nathalie Kosciusko Morizet, de par son histoire familiale, est devenue quelqu’un de dur et considère que d’une certaine façon elle ne doit pas en faire trop car elle est comme ça. On peut effectivement lui reprocher une certaine forme d’inhumanité, d’autant plus qu’elle une femme, a priori plus sensible qu’un homme. Elle masculinise un peu  plus sa posture et son engagement verbal. En revanche, son erreur serait de tomber dans la scénarisation de ce qui ne lui correspond pas, et ainsi rentrer dans le calcul à outrance. En général, on n’est jamais aussi mauvais que lorsqu’on n’est pas en phase avec son personnage.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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