Alexandra Laignel-Lavastine : "Quand la haine des Juifs et de l’Occident s’avance sous le masque de l’antifascisme"<!-- --> | Atlantico.fr
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"La haine des Juifs et de l’Occident s’avance sous le masque de l’antifascisme".
"La haine des Juifs et de l’Occident s’avance sous le masque de l’antifascisme".
©Reuters

Réquisitoire

Dans son essai, "La Pensée égarée", la philosophe dénonce l’interminable aveuglement des prêtres du politiquement correct. À ses yeux, ces clercs obscurs continuent d’armer le bras des assassins et se font ainsi les meilleurs agents électoraux des nouveaux populismes européens.

Alexandra Laignel-Lavastine

Alexandra Laignel-Lavastine

Docteur en philosophie, historienne, essayiste, longtemps critique au Monde, Alexandra Laignel-Lavastine a reçu le Prix de l’Essai européen en 2005, le Prix de la Licra en 2015 pour La Pensée égarée. Islamisme, populisme, antisémitisme : essai sur les penchants suicidaires de l’Europe (Grasset) et la Ménorah d’or 2016 pour l’ensemble de son œuvre. Elle est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages, la plupart traduits à l’étranger.

Son dernier ouvrage, Pour quoi serions-nous encore prêts à mourir ? Pour un réarmement intellectuel et moral face au djihadismevient de paraître aux éditions du Cerf. 

 

 
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Atlantico  : Vous dénoncez avec vigueur la complaisance de trop nombreux intellectuels à l’égard de l’islam radical ou "identitaire". Vous nous refaites La Trahison des clercs de Julien Benda ?

Alexandra Laignel-Lavastine : Lulien Benda fustigeait en 1927 l’étrange fascination de ses pairs pour le fascisme, leur « religion du particulier » et leur « mépris de l’universel ». Il se trouve que je suis une historienne du fascisme et j’observe une rhinocérisation analogue depuis le 11-Septembre, si ce n’est qu’elle se déploie désormais… au nom de l’« antifascisme » ! Consternant. Par crainte d’alimenter « l’islamophobie » et pour cause de substantif amalgamant, l’Europe pensante s’est illustrée dans le déni et l’art de se crever mentalement les yeux face à l’émergence du nouveau totalitarisme : l’islamisme. Après les massacres de janvier 2015, on aurait pu croire que ces esprits faux devenus fous se tapiraient dans la honte — décence minimale oblige. Et bien non ! Ils ont réussi à nous faire retomber dans « l’avant-Charlie » aussitôt après : voilà que le 11 janvier serait une « imposture » et qu’il ne s’agit déjà plus de combattre l’islam radical ou antisystème des banlieues et leurs compagnons de route, mais le Front national, le « Parti de l’ordre » et les « islamophobes »… Le président François Hollande vient d’en remettre une couche dans son discours au Panthéon en parlant, avec un pluriel hautement confusionniste, « de devoir de vigilance face aux haines de la démocratie » — trois poncifs en une proposition, un exploit ! Alors oui, nous assistons à une nouvelle et gravissime déraison des clercs.

Où risque de nous emmener cette pente régressive ?

Droit dans le mur, ou plutôt vers une Europe submergée par la vague nationale-populiste qui monte partout. Magnifique « première » : ce sont cette fois nos élites somnambules et enivrées par leur politiquement correct qui risquent de porter l’extrême droite au pouvoir et de faire ainsi advenir le politiquement abject. Il est suicidaire de continuer à ne pas prendre en charge les angoisses identitaires, l’insécurité culturelle et les inquiétudes qu’inspire l’islam à plus de la moitié des Européens. Ces derniers sont déjà désemparés par une mondialisation qui les détrône et les déprime tant ils ont le sentiment d’y avoir perdu la maîtrise de leur destin. Cette conjoncture est très dangereuse. Les gens — à commencer par les musulmans éclairés qu’on méprise —, voient bien que des discordances opposent souvent le corpus de valeurs européen à celui porté par une partie de l’immigration musulmane — sur la laïcité, l’égalité des sexes, le droit d’être différent de sa différence, le primat de l’individu autonome sur le groupe culturel d’origine, le blasphème, un délit abrogé en France depuis 1791. Un seul exemple parmi beaucoup d’autres de ce clivage dérangeant : dans les années 2000, quand les caricatures de Mahomet enflammaient déjà le monde arabe, huit musulmans sur dix en Europe de l’Ouest incriminaient le non-respect de leur religion. Proportion inversée chez les non-musulmans qui pointaient au contraire l’intolérance des fidèles du Prophète. Nous avons perdu une bonne décennie de rattrapage pédagogique. Depuis, le bébé est tombé dans le bain. À se demander si les aveugles n’espèrent pas secrètement le retour de la bonne vieille « bête immonde » pour s’épargner d’épuisantes contorsions devant cet islamo-fascime qui ne cadre pas avec leur catéchisme binaire et rance : d’un côté une Europe ontologiquement coupable, de l’autre des « damnés de la terre » forcément innocents. On ne saurait en tout cas mieux s’y prendre. Le Mal surgit de ce qu’ils croyaient être le « camp du Bien » ? Ils répondent en interdisant aux faits toute incursion dans l’univers de leurs croyances idéologiques. C’est le règne de la pensée magique. Ces antiracistes égarés sont presque aussi effrayants que les islamistes enragés.

Vous vous estimez encore de gauche ? Vous êtes sûre qu’elle ne vous a pas perdu, vous aussi ?

e n’ai jamais abandonné l’héritage universaliste de la gauche : c’est elle qui m’a abandonné avec beaucoup d’autres intellectuels qualifiés de « néo-réactionnaires » (traduction : des défenseurs de l’héritage des Lumières) — un comble ! La vérité, c’est que la gauche a rompu avec elle-même en délaissant le combat pour la liberté et l’égalité des droits individuels au profit de la théologie multiculturaliste, du culte des particularismes et de la relativité des valeurs. Bref, elle nous fait du lepénisme à rebours. Religion du particulier, mépris de l’universel, disait Benda… Nous y sommes derechef. Du coup, j’avoue que la droite républicaine modérée me semble plutôt mieux armée pour traiter les grands problèmes du jour. Parce que l’accès à la réalité du fondamentalisme lui est facilité par l’absence de surmoi tiers-mondiste, d’où sa lucidité face à la recrudescence de la haine des Juifs et de l’Occident quand elle émane de prétendus « déshérités ». Et parce qu’en valorisant davantage la responsabilité, elle évite cette rhétorique de l’excuse qui commence à friser l’indécence : Merah était un enfant des cités, mais les trois soldats d’origine musulmane qu’il a assassiné — des hommes debout et des Français exemplaires —, l’étaient aussi.

• La Pensée égarée. Islamisme, populisme, antisémitisme. Essai sur les penchants suicidaires de l’Europe, Grasset, 220 pages, 18 €.

Prix de la Licra 2015.

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