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Agression filmée dans le métro : pourquoi Marlène Schiappa ferait bien de se pencher sur les raisons profondes qui dissuadent les témoins d’intervenir
©capture d'écran BFMTV/Orange Actu

Lâches ou... lâchés par l’Etat ?

Un usager de la ligne 9 du métro parisien a filmé l'agression d'une femme par un homme dans une rame. La scène a été diffusée mardi sur Twitter. Un suspect a été placé en garde à vue au commissariat du XVIe arrondissement ce mercredi.

Gérald Pandelon

Avocat à la Cour d'appel de Paris et à la Cour Pénale Internationale de la Haye, Gérald Pandelon est docteur en droit pénal et docteur en sciences politiques, discipline qu'il a enseignée pendant 15 ans. Gérald Pandelon est Président de l'Association française des professionnels de la justice et du droit (AJPD). Diplômé de Sciences-Po, il est également chargé d'enseignement. Il est l'auteur de L'aveu en matière pénale ; publié aux éditions Valensin (2015), La face cachée de la justice (Editions Valensin, 2016), Que sais-je sur le métier d'avocat en France (PUF, 2017) et La France des caïds (Max Milo, 2020). 

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Guillaume Jeanson

Guillaume Jeanson

Maître Guillaume Jeanson est avocat au Barreau de Paris. 

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Atlantico.fr : Une vidéo montrant une jeune femme se faisant violemment agresser par un homme, sur la ligne 9 du métro parisien, a fait le tour des réseaux sociaux. La Secrétaire d'Etat chargée de l'Egalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, a déploré, sur Twitter, que les autres passagers du métro soient restés passifs. 

Si Marlène Schiappa n'a pas tort de déplorer la passivité de la plupart des voyageurs ayant été témoins de la scène, son commentaire n'est-il pas réducteur ? En effet, n'est-ce pas commettre une erreur que de réduire leur passivité à une sorte de lâcheté ?

Gérald Pandelon : Je crois d'abord qu'il est toujours plus aisé de donner des leçons de morale et de civisme lorsque l'on peut se permettre de regarder les choses de loin ; d'ailleurs, j'aurais été curieux de connaître le nombre de ministres qui auraient eu le courage de s'interposer en pareilles circonstances... Il est effectivement davantage de politiques qui réagissent au fond de leur canapé au sein de palais feutrés que dans la réalité des coupe-gorge que sont devenus nos métros...Je crois, en effet, que la critique est aisée et l'art est difficile, surtout dans nos sociétés hyper-individualistes du chacun pour soi. D'ailleurs, en temps normal, des voisins de pallier ne s'aident que rarement, pourquoi voudriez-vous alors que ces mêmes personnes fassent montre de courage dans des situations plus exceptionnelles ? La réalité c est que nos sociétés aseptisées produisent des lâches car la figure du guerrier est reléguée à la portion congrue voire ringardisée. C'est aussi l'un des motifs pour lesquels les sociétés holistes (l'Islam, notamment) qui font de la force une vertu s'imposent aussi facilement dans des sociétés individualistes comme les nôtres. Ensuite, les juges ont tendance en France à sanctionner ceux qui auront fait preuve de courage en intervenant physiquement de la même façon que les réels auteurs des faits. Il faudrait quand même que certains magistrats aient une réelle connaissance de la vie avant de juger, que le bon sens l'emporte sur une stricte application de la loi pénale. En même temps, que voulez-vous que connaissent à la vie un auditeur de justice fraîchement sorti de l'ENM à 23 ans ? Ce gamin sera sans doute, assez souvent, un bon juriste, mais n'aura aucune expérience. Je crois comme mon confrère Jean-Michel Darois (Le Point du 31 octobre 2019, p. 123), qu'il faudrait supprimer cette école pour ne recruter les magistrats qu'au sein de la société civile sur le modèle anglo-saxon.

Guillaume Jeanson : A l’aune du sentiment d’impuissance et de révolte qu’éprouvent légitimement tous ceux qui auront visionné ces images, la réaction de Marlène Schiappa peut paraître de prime abord compréhensible.  Mais plutôt que de vilipender l’inertie des spectateurs, il m’apparaît plus utile de questionner les causes de cette inertie. Or questionner ces causes, c’est reconnaître qu’aujourd’hui en France, la plupart de ceux qui assistent à ce type de scènes savent à quel point il peut être dangereux de s’interposer. Dangereux physiquement et dangereux juridiquement. Et, il n’est pas anodin à cet égard que ce soit une personne étrangère qui s’en soit principalement prise à cet agresseur. Une personne également étrangère à cette forme d’inhibition désormais bien française. 

Sans nous aventurer vers des conditions générales et douteuses sur le courage ou la lâcheté prétendus des uns ou des autres, il ne nous paraît pas invraisemblable de tenter en effet d’expliquer rationnellement cette inhibition. D’une part par la montée des violences : Le concept de « violences gratuites » si critiqué par certains sociologues trouvent tout de même un écho dans la multiplication de faits divers sordides pour lesquels les modes opératoires se ressemblent : un groupe de « jeunes » insultent ou agressent une femme. Un homme s’interpose pour la défendre et il est alors la proie d’un déferlement de violence qui peut être parfois d’une sauvagerie inouïe. C’est ainsi qu’est décédé il y a quelques mois Bastien Payet, une jeune figure du slam de Reims. C’est comme cela qu’aurait pu également décéder le conjoint de l’humoriste Laura Calu quelques mois plus tard… La notoriété de ces personnes a fait qu’on a parlé de ces drames. Mais la plupart des autres drames sombrent en revanche dans l’indifférence et l’oubli. 

On peut d’autre part tenter de l’expliquer par l’incompréhension que suscitent de nombreuses décisions de justice ayant trait à la légitime défense. L’interprétation extrêmement restrictive qu’en font les magistrats conduit parfois à brouiller, dans l’esprit du public, les repères judiciaires entre celui qui est l’agressé et celui qui est la victime. L’achoppement de la construction théorique sur la dure réalité des violences en France peine à être comprise. S’il est évident que toute défense ne saurait être légitime et que, sauf à hypothéquer gravement l’ordre public, la vengeance privée ne peut être tolérée, l’appréciation de la proportionnalité de la riposte de celui qui, agressé souvent par surprise, cherche à préserver – souvent sous un état de stress intense - son intégrité ou celle d’autrui, devrait bénéficier évidemment dans les prétoires de davantage de mansuétude.

Le climat de violence actuel, mêlé à la culture de l'excuse qui existe au sein d'une partie du système judiciaire n'expliquent-ils pas en réalité cette passivité ? Certains n'hésitent-ils pas à intervenir par peur d'une éventuelle condamnation qui serait plus lourde que celle de l'auteur des faits ?

Gérald pandelon : Si les magistrats au pénal savaient faire la part des choses entre les réels auteurs des faits et ceux qui n'ont fait que réagir à une situation de violence, le courage se substituerait à la lâcheté. L'auteur de ces quelques lignes a le souvenir de s'être un jour dans le métro interposé car une jeune femme se faisait molester par deux jeunes voyous en état d'ébriété. Les services de police qui avaient dû intervenir m'avaient remerciés pour avoir réagi, mais il s'était toutefois trouvé un jeune parquetier de permanence pour solliciter mon placement en garde à vue du chef de violences volontaires. Ce n'est qu'après une longue discussion entre l'OPJ et le représentant du ministère public que je devais finalement échapper à cette mesure que j'aurais vécu comme vexatoire. Je n'avais à mes yeux en rien agi en héros, j'avais tout simplement fait preuve d'une citoyenneté minimale. Je crois plus fondamentalement que les droits de l'homme, alibis des voyous, en permettant à des dégénérés et autres terroristes haineux de trouver une tribune judiciaire, sont en train non seulement de nous rendre purement et simplement idiots mais également tendent à faire perdre au citoyen tout courage, autrement dit toute vertu civique en aliénant toute capacité naturelle à la réaction même lorsque ladite réaction est ô combien légitime. En effet, être un citoyen ce n'est pas uniquement voter, c'est avant tout être un homme. 

Guillaume Jeanson : Oui, comme je l’indiquais en réponse à votre première question, je pense que le climat de violence actuel explique pour partie cette passivité. Rappelons qu’en 2019, les faits de délinquance ont à nouveau explosé (+ 8 %), incluant notamment les coups et blessures volontaires, violences sexuelles, etc. Le nombre d’homicides a augmenté aussi dans une proportion similaire. Le criminologue Alain Bauer qui vient de publier pour l’Institut pour la Justice une étude sur le retour des homicides a lui aussi dénoncé une dynamique inquiétante : « une brutale accélération en 2015 (2 805 victimes suite aux attentats du 13 novembre), et qui se poursuivra jusqu’en 2018 avec 3 168 faits enregistrés (niveau le plus élevé en 35 ans et deuxième plus mauvais bilan de la statistique moderne des homicides) dont 84 règlements de comptes (niveau le plus élevé en 10 ans) et 67 mineurs victimes. » Selon lui, « le bilan publié en début 2020 par le service statistique du ministère de l’Intérieur confirme (…) cette dégradation avec une augmentation du nombre de victimes d’homicides (incluant les coups et blessures suivis de mort) de 12,4 % en un an, battant ainsi le tragique record de 1983 (3 562 faits contre 3 183) et devenant le pire résultat depuis 1972 en nombre brut et le troisième par rapport à la population avec un taux de 5,32 pour 100.000 habitants contre 5,68 en 1983 et 5,42 en 1986. » Pour une comparaison plus récente, retenons que ces chiffres édifiants font de 2019 « une année plus meurtrière que celle des attentats du Bataclan ou celle de la tuerie de la promenade des Anglais à Nice, sans attentat majeur. »

Vous parlez de culture de l’excuse. Il est vrai qu’une partie de la magistrature demeure influencée par l’école de la défense sociale nouvelle. Il aussi vrai que beaucoup d’autres magistrats rendent des décisions dont la sévérité bute cette fois sur l’incapacité matérielle qu’il y a souvent à exécuter correctement les peines aujourd’hui. Il n’est ainsi pas rare d’attendre 6 mois ou un an, parfois plus encore, avant qu’une peine de prison ferme soit réellement exécutée. Ce fait s’explique en grande partie, mais pas seulement, par l’engorgement des prisons. Derrière la volonté du judiciaire, il y a donc aussi la réalité matérielle d’une pénurie de places de prison construites en nombre insuffisant ces dernières décennies par le politique. Comment quelqu’un condamné à une peine de prison ferme, souvent après plusieurs peines avec sursis, peut-il vraiment craindre une justice qui n’exécute pas sa peine ? Avant même de s’interroger sur les effets générés en termes de dissuasion, neutralisation, réinsertion… Cela pose une question évidente de simple crédibilité de l’institution. Rappelons que les derniers chiffres révélés par l’administration pénitentiaire qui remontent à octobre 2019 font état de 70.810 détenus pour 61.065 places opérationnelles (et 4.123 places inoccupées) soit 13.851 « détenus en surnombre »… Et ce, sans même parler de ce fameux stock tournant des 100.000 peines d’emprisonnement ferme en attente d’exécution, sur lequel les autorités se gardent bien de communiquer. 

Que faire face à ce climat de peur qui pousse ou explique la passivité  des témoins d'agressions? Plutôt que de critiquer leur "lâcheté" comment faire en sorte qu'ils osent agir ? 

Gérald Pandelon : Il faudrait que le législateur intervienne pour étendre la notion de légitime défense. Pourquoi, en effet, devrait-on attendre d'être agressé avant de riposter ? Au surplus, que notre riposte soit proportionnée et graduée ? Quand osera-t-on reconnaître que certaines de nos lois sont tout simplement débiles dans la double acception d'absurde et de faible ? Que la démultiplication infinie et dépourvue de sens des lois, par les interdictions à répétition qu'elles instaurent, créent une "non-société", à rebours de leurs louables intentions ?   Pourquoi ne pas faire entrer dans la loi la possibilité de se trouver en situation de légitime défense lorsqu'un individu interviendrait pour sauver une personne d'un danger imminent pour son intégrité physique ? Nos sociétés, par leur caractère exagérément aseptisée, ne serait-elle pas en train de créer une génération de lâches ? D'hommes qui, pour être respectueux des lois, ne se respectent plus en tant qu'hommes ? Dans notre histoire, ce sont pourtant ceux qui ont eu le courage de se lever contre ce qui menaçait notre liberté qui seuls méritent d'être définis comme des héros.

Guillaume Jeanson : Il n’y a évidemment pas de baguette magique et il faut agir en urgence et concomitamment sur plusieurs niveaux : D’abord en s’intéressant aux auteurs de ces violences. Fermeté et prise en charge adaptée dès le plus jeune âge doivent devenir des priorités. Dans un livre paru récemment, le docteur Maurice Berger, pédopsychiatre qui travaille depuis de nombreuses années dans un centre éducatif renforcé, est venu tirer la sonnette d’alarme sur ces « adolescents hyperviolents » souvent à l’origine de bon nombre de violences gratuites. Le constat qu’il dresse va complètement à rebours des idées hélas trop facilement répandue et qui ne font qu’aggraver la situation depuis des années : « Il apparaît que seule une mesure matérialisée, c’est-à-dire concrète, a un sens pour beaucoup de ces jeunes et que l’admonestation par la parole ne sert à rien, en particulier dès qu’un certain niveau de dysfonctionnement psychique et de difficulté à penser est atteint. D’autant plus que ces sujets sont toujours prêts à effacer : « Je me suis excusé, donc c’est terminé, c’est du passé », alors que les séquelles physiques et psychiques demeurent chez la victime. Le docteur Maurice Berger prévient encore : Disons les choses d’une manière presque triviale. Nous, nous n’avons pas besoin d’agir pour savoir la loi existe, alors que ces sujets n’ont pas la loi dans la tête. Ils ont besoin d’un interdit d’agir réel et non symbolique, d’une butée pour comprendre que la loi a une existence et pour arrêter de commettre des actes au moment même où cela leur vient à l’esprit. »

Ensuite, en révisant la loi sur la légitime défense. L’Institut pour la Justice défend depuis des années une approche différente de ce concept. Une approche notamment inspirée du droit Suisse qui prévoit notamment comme critère d’appréciation des magistrats l’état émotionnel de la personne agressée. Le député Joaquim Son Forget a déposé il y a quelques mois une proposition de loi en ce sens. Les parlementaires feraient bien de s’y intéresser. 

D’une manière plus générale enfin, le politique devrait impérativement veiller à doter la justice et la pénitentiaire des moyens et infrastructures suffisantes pour que la justice puisse à nouveau jouer son rôle de façon crédible et que les peines qu’elle prononce soit rapidement exécutées.

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