Pourquoi Interpol craint un nouveau 11 Septembre en Europe<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
Pourquoi Interpol craint un nouveau 11 Septembre en Europe
©

American way of life

La semaine dernière, Ronald Noble, le directeur d'Interpol, dénonçait le manque de prudence des Européens en matière de sécurité aérienne. Mais plutôt que de contrôler les vieilles dames dans les aéroports, c'est peut-être les trains qu'il faudrait surveiller...

Michel Nesterenko

Michel Nesterenko

Directeur de recherche au Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R).

Spécialiste du cyberterrorisme et de la sécurité aérienne. Après une carrière passée dans plusieurs grandes entreprises du transport aérien, il devient consultant et expert dans le domaine des infrastructures et de la sécurité.

 

Voir la bio »

Atlantico : Dans une interview au quotidien britannique The Independant, Ronald Noble, le directeur d’Interpol, dénonçait la semaine dernière le manque de prudence des Européens. 500 millions de vols décolleraient sans que des contrôles de la base de données de cette organisation ne soient effectués. Un nouveau 11 Septembre est-il possible en Europe ?

Michel Nesterenko : Les aéroports sont suffisamment sécurisés. La preuve : il n’y a pas eu d’incident majeur dans un avion récemment. Est-ce que cette sécurité est absolue ? Certainement pas. Le plus simple aujourd’hui, c’est d’avaler un explosif, dans un préservatif par exemple, et de le déclencher dans l’avion. C’est très simple à mettre en place et on peut difficilement lutter. Un scanner peut détecter une présence suspecte dans l’estomac mais que pouvons-nous faire ? Une opération chirurgicale pour vérifier ?

Des failles comme celle-ci il y en a une multitude. Pour tuer quelqu’un, le plus simple est encore d’utiliser un stylo bille. C’est plus efficace qu’un couteau. Il est inenvisageable de confisquer les stylos de tous les passagers des avions. Il faudrait aussi enlever tous les téléphones portables. Ce serait du délire complet.

L’agence Interpol est sous influence des Etats-Unis qui cherchent à imposer leur modèle sécuritaire. Les passagers des avions doivent déjà se déchausser et enlever leurs ceintures. Des vérifications sont effectuées sur les petites vieilles et les enfants de trois ans mais pas sur les colis qui vont en soute. Ces derniers ne sont ni ouverts, ni fouillés. L’Administration de la sécurité du transport (TSA) américaine refuse d’effectuer de tels contrôles sur le fret, malgré les nombreuses demandes, car si elle s’y mettait, ce serait catastrophique pour le commerce.

Enfin, d’un point de vue politique, les Etats-Unis ne peuvent pas être les seuls à prendre des mesures aussi radicales pour assurer la sécurité aérienne. Si les Européens, en gardant leurs libertés, ne subissent pas d’attaques sur leurs avions, le public risque de s'interroger quant à la légitimité de telles remises en question de ses libertés individuelles.

Ces mesures de sécurité ne sont-elles pas pertinentes ?

Les mesures de sécurité qui existent actuellement sont surtout le fruit d’une pression politique américaine. Nos pays ont suivi le mouvement entamé au moment du 11 septembre. Ils ont compris qu’il fallait commencer à se préoccuper de qui monte dans les avions. La Commission européenne commence à résister. Elle refuse d’outrepasser les Constitutions de nos pays pour faire plaisir aux Américains.

Aujourd’hui, la vraie menace n’est pas dans les avions. Cet été, Anders Behring Breivik est passé à l’action en Norvège en attaquant des gens sur une île. Il a réussi à tuer 77 personnes. Par ailleurs, on vous demande d’enlever vos chaussures pour monter dans les avions mais il n’y a pas le moindre contrôle pour monter dans un train. Il y a pourtant beaucoup plus de passagers dans un TGV que dans un avion.

Nous devrions peut-être nous concentrer plus sur les trains. Il ne faut pas forcément faire marche arrière en matière de sécurité aérienne. Ce serait un mauvais signal envoyé aux terroristes. Mais aller plus loin dans la folie sécuritaire n’est pas utile. Le transport aérien est essentiel aux Etats-Unis. Le train n’y est vraiment utilisé que dans le nord-est de ce pays. Mais en Europe, c’est l’inverse : le ferroviaire est un moteur économique et logistique crucial.  S’il fallait suivre un exemple, c’est plus l’israélien que l’américain.

En quoi l’exemple israélien est-il meilleur ?

Israël a fait un effort phénoménal pour sécuriser ses transports, que ce soient les avions ou les bus. Il y a une formation constante des équipes. Ils ne se reposent pas que sur l’électronique et les banques de données mais se servent beaucoup de leur instinct. Ils déploient également des gardes à bord des avions de lignes qu’ils ont équipés de systèmes anti-missiles. Ni les appareils américains, ni les appareils européens, ne disposent de telles défenses. Rien n’est plus facile pour un groupe terroriste que de se fournir en missiles portatifs sur le marché noir libyen pour aller attendre aux descentes d’Orly ou de Roissy.

Israël se prémunit depuis 30 ans. Le système est rôdé. Même s’il ralentit légèrement l’embarquement, les questions posées par le personnel de sécurité ne sont pas trop intrusives. La gêne n’est pas comparable avec ce que vivent les passagers américains au quotidien.

Le problème de ce modèle, c’est qu’il coûte particulièrement cher. Le coût de formation est de deux à trois fois celui que l’on accepte en Europe. Nos pays n’ont pas trouvé nécessaire de prendre de telles mesures, la menace étant beaucoup moins élevée qu’en Israël. Un choix que l’on peut difficilement remettre en cause, dans un cas comme dans l’autre, puisque aucun avion de ligne n’a été détourné récemment.

Vous évoquez le peu de contrôle effectué sur le fret. Pourquoi une telle différence avec le transport de passagers ?

Lors des premières réactions de l’après 11 septembre, les grands industriels américains se sont rapidement rendus à la Maison Blanche pour alerter George Bush sur des blocages du trafic aérien. Ils se sont rendu compte que s’ils continuaient d’interdire les vols au-dessus des Etats-Unis, l’économie coulerait en une semaine. Le directeur de la TSA a, dès lors, dû refreiner son personnel pour ne pas trop contraindre le commerce. C’est le problème : avec la vraie sécurité, plus rien ne bouge.

Il y a également des enjeux économiques pour les sociétés de renseignement et de sécurité électronique américaines. Imposer les solutions employées outre-Atlantique aux Européens ouvre un large marché à ces entreprises.

Propos recueillis par Romain Mielcarek

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !