1 million de réfugiés pour 4 millions d'habitants : combien de temps le Liban pourra-t-il encore résister à la crise syrienne ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des réfugiés syriens au Liban.
Des réfugiés syriens au Liban.
©Reuters

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Un habitant sur cinq au Liban est un réfugié venu de Syrie, selon le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés.

Vincent Geisser

Vincent Geisser

Vincent Geissert est un sociologue et politologue français. Il occupe le poste de chercheur au CNRS, pour l’Institut du français du Proche-Orient de Damas.

Il a longtemps vécu en Tunisie, où il travaillait à l'Institut de recherche sur le Maghreb contemporain, de 1995 à 1999.

Il est l'auteur de Dictateurs en sursis. La revanche des peuples arabes, entretien avecMoncef Marzouki. (Editions de l'Atelier, 2011)

Et de Renaissances arabes. (Editions de l'Atelier, octobre 2011)

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Atlantico : Avec l'assassinat de Mohammad Chatah c'est le piège du conflit syrien qui s'est un peu plus refermé sur le Liban. Combien de temps le pays pourra-t-il encore résister aux secousses syriennes ?

Vincent Geisser En fait, le Liban n’est jamais véritablement sorti du cycle de violences lié aux soubresauts de la scène politique syrienne. Le pays a toujours vécu à l’ombre du régime autoritaire de Damas pour le meilleur et pour le pire. La révolution du Cèdre en 2005, déclenchée après l’assassinat du Premier ministre Rafic Hariri, traduisait l’aspiration d’une majorité de Libanais d’en finir définitivement avec la tutelle syrienne. Or, le printemps de Beyrouth n’est jamais parvenu à stopper l’immixtion de Damas dans les affaires libanaises, notamment sur le plan sécuritaire : les attentats, les crimes politiques, les pressions sur les personnalités publiques n’ont jamais cessé.

En réalité, le fantôme syrien continue à hanter les scènes politiques libanaises, en dépit d’une présence sécuritaire syrienne qui s’est faite plus discrète. La crise actuelle en Syrie, que certains spécialistes qualifient désormais de « guerre civile », n’a fait qu’aggraver la situation. Le Liban ne constitue pas simplement une caisse de résonnance du conflit syrien, il est aussi un acteur majeur : la quasi-totalité des leaders politiques, des partis, des chefs religieux et confessionnels, des forces vives du pays sont directement impliqués dans le conflit syrien, malgré un discours de neutralité. C’est d’ailleurs le paradoxe qui caractérise l’ensemble de la société libanaise : le désir de distanciation proclamé à l’égard du conflit syrien parvient mal à cacher l’implication de nombreux secteurs de la société libanaise dans la guerre fratricide. Pour ces raisons, il est peu probable que le Liban puisse se « dégager » avant plusieurs années de la crise syrienne, car celle-ci se joue aussi au cœur de la société libanaise. Il serait naïf de penser que le Liban soit simplement une victime du conflit syrien car il est également l’un des protagonistes, via les mobilisations politico-confessionnelles contre ou en faveur du régime de Bachar el-Assad.

La précarité du Liban s'accentue à mesure que les Syriens s'y réfugient. Quelles difficultés cette situation entraîne-t-elle ? La stabilité du pays est-elle en danger ?

Le nombre de « réfugiés » syriens et palestiniens au Liban est estimé à environ 1 million, soit 25 % de la population totale. C’est comme si un pays comme la France avait dû accueillir en quelques mois plus de 20 millions de réfugiés. Imaginez les conséquences politiques, sociales et économiques que cela aurait provoqué dans l’Hexagone : émeutes, vagues de xénophobies, crise politique et institutionnelle majeure, etc. Or, malgré toutes les prévisions pessimistes, la société libanaise tient le coup. L’afflux massif de réfugiés n’a pas provoqué le chaos annoncé par la plupart des experts et des observateurs nationaux et internationaux. Une telle « résistance » de la société libanaise s’explique en grande partie par ses ressorts profonds : les Libanais se sont habitués au fil des années - notamment depuis la guerre civile - à vivre avec un Etat absent et défaillant dans tous les domaines : l’électricité, la distribution de l’eau, les transports, la santé… C’est le triomphe du « système D », la débrouillardise individuelle, l’économie informelle, les œuvres de bienfaisance à caractère communautaire et confessionnel, sans oublier un tissu d’ONG très dense au sein de la société. Pour le traitement des réfugiés, c’est la même logique qui prévaut : le « système D » permet de contenir la catastrophe humanitaire. Mais ce système fondé sur la solidarité privée, locale et communautaire apparaît fragile. En l’absence d’un engagement massif de la communauté internationale aux côtés de l’Etat libanais, on peut donc craindre le pire, sur les plans social et économique, mais aussi en terme politique : la question syrienne risque d’emporter à moyen terme la « démocratie consociative » libanaise.

Que se passera-t-il si le Liban cesse d'accueillir de nouveaux réfugiés ?

L’Etat libanais peut décider officiellement de fermer ses frontières mais cela ne changera pas grande chose à la situation actuelle. D’abord, parce que les relations entre les deux pays sont si étroites et profondes, qu’aucune force policière et sécuritaire ne serait en mesure de stopper les circulations humaines et matérielles entre les deux territoires : les voies clandestines sont trop nombreuses pour pouvoir être contrôlées efficacement. Ensuite, la situation humanitaire actuelle est déjà catastrophique : un afflux supplémentaire de réfugiés ne changerait pas grande chose. Ce sont déjà les régions les plus pauvres du pays (le Akkar autour de Tripoli et la Bekka) qui accueillent le plus grand nombre de réfugiés et qui doivent subir les retombées de cette pression migratoire et démographique. Enfin, l’annonce de l’arrêt de l’accueil des réfugiés syriens a un coût politique : si certains leaders peuvent être tentés de jouer sur la xénophobie anti-syrienne et le fantasme de l’invasion, il n’est pas évident qu’ils en retirent des bénéfices politiques. N’oublions pas que la Syrie, en dépit des mauvais souvenirs que le régime baasiste a laissé dans les mémoires libanaises (l’occupation militaire et ses humiliations quotidiennes), a toujours accueilli les déplacés Libanais. Une telle décision ne serait pas forcément bien vue par les Libanais, même si l’on observe depuis quelques mois la progression d’une idéologie anti-syrienne et des réflexes sécuritaires, dénonçant « ces réfugiés qui viennent voler le pain des Libanais, qui font monter le prix des loyers et qui représentent une menace pour la sécurité du pays ». Mais ces discours xénophobes sont très largement compensés par des réflexes de solidarité.

La situation au Liban a été au cœur des discussions entre le roi d'Arabie Saoudite Abdallah et François Hollande, lors de la visite officielle de ce dernier, à Riyad, dimanche 29 et lundi 30 décembre. François Hollande s'est engagé à « satisfaire » les demandes d'armement de l'armée libanaise pour soutenir le président Michel Sleimane. De son côté, Riyad octroiera trois milliards de dollars à l'armée libanaise afin qu'elle se procure des armes françaises. Quels effets faut-il attendre de ces déclarations ? Les alliés du Liban peuvent-ils concrètement agir pour sauver l'intégrité et l'union du pays ?

La France et l’Arabie Saoudite ont parfaitement compris que l’armée représentait une institution clef dans la société libanaise d’aujourd’hui (ce qui n’a pas toujours était le cas). Elle bénéficie d’une forte côte de confiance au sein de la population, car contrairement aux autres institutions publiques, accusées de népotisme et de corruption, l’armée libanaise est considérée comme « propre » et « proche des citoyens ». De plus, l’armée libanaise joue un rôle majeur dans la sécurisation des espaces publics, remplissant ainsi une fonction de police en concurrence ou en complémentarité avec d’autres forces de sécurité. En deux mots, c’est une armée qui rassure la population. En choisissant de renforcer l’armée libanaise, les alliés du Liban optent pour une institution qui fabrique de la cohésion sociale et contribue à créer un semblant d’unité nationale. Mais ce choix est aussi stratégique. L’objectif non avoué de la France et de l’Arabie Saoudite est de couper l’herbe sous le pied du Hezbollah. Car jusqu’à aujourd’hui, la faiblesse de l’armée était l’argument principal brandi par le Hezbollah pour justifier le maintien de son arsenal militaire et de sa milice sécuritaire.

En somme, sur le plan officiel, l’armée et la résistance (en réalité le Hezbollah) travaillait main dans la main pour assurer la sécurité des frontières du pays et prévenir les attaques de l’ennemi (sous-entendu Israël). En renforçant les moyens humains et matériels des forces armées libanaises, les alliés du Liban cherchent donc à isoler, sinon à neutraliser militairement le Hezbollah, en lui ôtant l’argument idéologique de la complémentarité armée/résistance. Avec une armée forte, bien équipée, la résistance islamique n’a plus lieu d’être, sinon comme force supplétive. Toutefois, cette aide providentielle franco-saoudienne devrait être accueillie différemment selon les milieux politiques : si dans le camp du 14 Mars (Sunnites du Courant du Futur de Saad Hariri et Chrétiens proches des Forces libanaises et des Kataëb), elle est perçue comme un geste positif permettant de créer les bases d’une véritable « armée nationale », dans celui du « 8 Mars » (alliance entre Hezbollah, la milice chiite Amal et le parti du Général Michel Aoun), elle est considérée comme un signe supplémentaire de dépendance, voire d’inféodation, à l’égard des Occidentaux et des pays du Golfe. Pour cette raison, il n’est pas sûr que la proposition franco-saoudienne apaise les passions « libano-syriennes », même si officiellement tous les citoyens et les partis politiques libanais proclament leur attachement à l’armée comme vecteur d’unité nationale.

Propos recueillis par Marianne Murat

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