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Le Pakistan dénonce "l'islamophobie" supposée de l'Occident mais est l’un des pays qui persécute le plus les chrétiens et les minorités chez lui…
©Reuters

Géopolitico-scanner

Alexandre del Valle poursuit cette semaine son feuilleton sur les pôles de l’islamisme mondial qui œuvrent à l’islamisation de l’Europe et luttent contre l’intégration des musulmans en Occident au nom d’une vision chariatique totalitaire.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Le pôle islamiste "indo-pakistanais"

Le Pakistan, ou "pays des purs", été créé en 1947 par et pour les musulmans du continent indien qui refusaient de vivre dans l’Inde laïque et pluraliste, majoritairement hindouiste, donc "mécréante-païenne". Sa raison d'être même est le refus - intrinsèquement islamiste - du “pouvoir infidèle” (houkm al-jahili) ou "impur". Il est co-animateur et co-fondateur, avec l'Arabie saoudite, de plusieurs grandes structures mondiales de réislamisation fondamentaliste, comme l'Organisation de la Coopération islamique ou le Congrès du Monde Musulman (Mu'tamar el-Alam el-Islami). Fondé par le Pakistan lors de la Conférence mondiale musulmane tenue en 1949 à Karachi, le Congrès du Monde musulman fut co-fondé cette même année puis dirigé pendant 40 ans par le leader panislamiste pakistanais Inamullah Khan. L'une de ses figures titulaires (et 1er président) fut le célèbre leader islamiste palestinien pro-nazi Mohammad Amin al-Husseini, alias Grand Mufti de Jérusalem. L'idée de sa création en tant que lobby islamiste mondial fut lancée à La Mecque en 1926 lors d'un congrès suscité par le roi Ibn Saud. Selon Husain Haqqani, ancien ambassadeur du Pakistan aux États-Unis, le Congrès "joua un rôle crucial dans la construction du sentiment de victimisation musulmane qui a par la suite alimenté le mouvement mondial islamiste". Malgré sa genèse totalitaire et son activisme panislamiste qui l'apparente aux Frères musulmans, il jouit d'un statut consultatif auprès de l'ONU et a pignon sur rue en Occident et ailleurs.

Le Pakistan dénonce "l'islamophobie" supposée de l'Occident mais est l’un des pays qui persécute le plus les chrétiens et les minorités chez lui…

Champion de la "lutte contre l’islamophobie" en Occident, auprès des Nations Unies et ailleurs, puis promoteur de l’une des versions les plus fanatiques de l’islamisme sunnite dans le monde (Asie centrale, Asie du Sud Est, Etats-Unis, Europe de l’Ouest), le Pakistan est très actif, avec son grand allié saoudien, depuis des années, dans la promotion de résolutions aux Nations Unies visant à criminaliser et pénaliser toute forme de "blasphème" et de critique de l’islam, spécialement en Occident. Islamabad présenta ainsi pour la première fois en 1999, au sein du Conseil des droits de l’homme de l'ONU, une résolution sur la "diffamation de l’islam". Depuis le milieu des années 2000, l’OCI (Pakistan en tête) a présenté avec persévérance chaque année des résolutions visant à imposer ce nouveau concept dans le but de criminaliser à terme le blasphème, et donc de justifier l’intolérance religieuse qui règne dans la plupart des pays musulmans, Arabie saoudite, Soudan et Pakistan en tête. Ainsi, en décembre 2005, le Pakistan a déposé une résolution voisine - formulée de façon plus large - visant à pénaliser la "diffamation des religions". Quand on sait que ce pays est un de ceux qui persécute le plus ses chrétiens justement sous couvert de "lutte contre le blasphème", il est proprement incroyable que nombre de pays européens se laissent donner des leçons de morale anti-raciste et anti-islamophobe par un des pays qui persécute officielmement toutes ses minorités non-musulmanes et même chiites, puis même les athées, laïques ou autres "apostats" qui sont condamnés, emprisonnés ou tués chaque jour. Exemple parmi tant d’autres : la condamnation à mort au Pakistan, de la jeune Asia Bibi, accusée de "blasphème" dans le cadre d’un procès d’un autre âge - mais avec l’assentiment de l’essentiel de la classe politique et religieuse du pays - a parfaitement illustré l’idéologie islamiste totalitaire qui sous-tend le régime pakistanais, champion du double jeu et étrange allié de l'Occident depuis la guerre froide. Il faut rappeler également que lorsque Asia Bibi fut condamnée à mort (elle va être définitivement jugée en dernière instance dans quelques semaines) en 2010, les deux seules personnalités politiques qui osèrent la défendre et critiquer la loi sur le blasphème au nom de laquelle Bibi avait été condamnée à mort, le gouverneur Salman Tanseer et le ministre chrétien des minorités Shahbaz Bhatti, furent respectivement tués en 2010 et 2011. `

Le pays parrain des Talibans et d’Al-Qaïda….. qui contrôle de nombreux centres islamiques et mosquées en Occident...

Parrain des Talibans, détenteur du feu atomique et longtemps protecteur d'Al-Qaïda, ce pays est, depuis la Guerre froide, un des plus problématiques et dangereux du monde. Allié étroit des Etats-Unis pendant toute la Guerre froide, le Pakistan, régi par la charià dès la fin des années 1970, demeure, avec l’Arabie Saoudite, l’un des épicentres du séisme islamique à travers le monde, même si ses chefs d’Etat successifs ont été contraint par les Etats-Unis depuis le 11 septembre 2001 de lâcher officiellement leurs protégés talibans et de réprimer certaines organisations islamistes terroristes liées au jihad du Cachemire ou d'Afghanistan, où se sont réfugiés nombre de talibans et membres d’Al-Qaïda.

Les services de renseignement occidentaux, russes, et indiens convergent pour souligner le persistant double jeu d'Islamabad, qui, après avoir mis en place les talibans sous la Guerre froide avec l'Arabie saoudite, continue de soutenir le terrorisme islamiste contre l’Inde, au Cachemire, comme le révéla l'attentat kamikaze perpétré avec la complicité de l’ISI au Parlement indien le 13 décembre 2001, ou contre les pays et intérêts occidentaux. Deux organisations figurant sur la liste des groupes terroristes proches d’Al-Qaïda dressée par Washington furent alors incriminées : le Lachkar-e-Taiba et le Jaish-e-Mohamed. Plus récemment, lors des attaques de novembre 2008 à Bombay, le Pakistan, en tant que parrain direct ou indirect du jihadisme, a été soupçonné d'avoir laissé agir les commandos terroristes qui ont tué, les 26 et 29 novembre de cette année, à Bombay, 188 personnes. L'équipe terroriste était composée de 10 militants islamistes entrainés de façon notoire au Pakistan. D'autres attaques terroristes régulièrement perpétrées au Cachemire ou au Penjab indiens (25 juillet 2015, 2 janvier 2016, etc.) ont confirmé le jeu trouble des services de renseignements extérieurs de l'armée pakistanaise (ISI) et des organisations islamistes ultra-radicales ayant pignon sur rue au Pakistan. Elles continuent à protéger ici ou là des groupes terroristes pour déstabiliser l'Inde mais aussi pour éliminer les tendances laïques ou les minorités chrétiennes et chiites au Pakistan.

Outre les mouvements terroristes cités, Islamabad soutient de nombreuses organisations panislamistes, plus "respectables" dont certaines jouent un rôle de premier plan dans le projet de conquête politico-spirituelle de la planète, notamment le Tabligh et la Jama’at-i-islami. Ces derniers virent le jour à l’intérieur des communautés musulmanes des Indes britanniques, dans la première moitié du XXème siècle dans le contexte de la disparition de l’Etat islamique en Inde et de la suprématie politico-démographique croissante des Infidèles hindous. Ils jouent un rôle majeur dans le processus de communautarisation et de fanatisation des musulmans embrigadés en Occident.

La Jamaà ou le pendant pakistanais des Frères musulmans

La Jama’at-i-islami, tout d’abord, a été fondée en 1941 par Aboulal’a Al-Maoudoudi, (1903-1979) avec pour objectif principal de regrouper territorialement les Croyants au sein d’un Etat islamique gouverné par la charià. Selon lui, ce régime est le seul pouvoir légitime susceptible de garantir une "authentique" pratique de l’islam. Cela signifia alors la partition et la disparition des Indes unies. Financée en partie par l’Arabie Saoudite et bénéficiant d’importants relais au sein de l’Etat pakistanais, la Jama’at est particulièrement bien implantée aujourd'hui au Canada, aux Etats-Unis et en Europe, à travers la Fondation islamique - fondée en 1973 à Leicester où se trouve son siège - laquelle “entretient des liens étroits avec la direction supranationale des Frères-musulmans, elle aussi établie en Europe” et dont la doctrine a constitué une forte source d’inspiration. La Jamaà et Maoudoudi ont d’ailleurs inspiré en retour les Frères musulmans, en particulier la doctrine de Sayyed Qutb (précurseur du jihadisme) fondée sur la “rupture avec l’ordre établi” et l’“anathème” (takfir). Rappelons que l'Islamic Foundation de Leicester, qui publie en Grande Bretagne et en Europe les ouvrages de Maoudoudi et de Qutb, a également créé l'institut Marksfield of High Education de Leicester, destiné à promouvoir "l'ordre social islamique au Royaume Uni", et que l'Islamic Foundation fut le point de départ de la campagne de haine et d'appels aux meurtres contre Salman Rushdie. L'ordre initial vint de la Fondation islamique de Madras qui envoya un kit d'action contre le livre "blasphématoire" aux organisations musulmanes d'Europe.

Les propos totalitaires de Maoudoudi, dont les adeptes ont pignon sur rue en Europe au sein des communautés pakistanaises et de l'islam institutionnel, sont sans équivoques : "L’islam cherche à détruire tous les Etats et les gouvernements opposés à l’idéologie et au programme de l’islam où qu’ils soient sur terre. (…). Le but de l’islam est d’instaurer un Etat fondé sur son propre programme et sa propre idéologie. (…) L’objectif du jihad islamique consiste à éliminer les systèmes non-islamiques et à les remplacer par un système islamique de gouvernement. L’islam n’entend pas limiter cette révolution à un seul Etat ou à quelques pays ; le but de l’islam c’est de provoquer une révolution universelle". Développant sa conception manichéenne du monde, divisé entre "vrais musulmans” et “mécréants” (infidèles et “mauvais” musulmans inclus), Al-Maoudoudi explique que tout gouvernement qui n’est pas islamique et/ou n’applique pas la charià, est “jahilite” (de l’arabe jahiliyya, barbarie pré-islamique). Par extension, tout pouvoir, toute société et tout individu - même musulman - qui n’applique pas strictement la charià, est assimilé à la jahiliyya. Ainsi, pour Maoudoudi comme pour Qutb, la priorité est de restaurer un Etat islamique qui applique la charià.

Le second concept cher à Maoudoudi et aux organisations islamiques indo-pakistanaises qui se réclament de lui est la souveraineté (hakimiyya), qui ne peut être détenue que par Allah et non par le peuple. Aussi le pouvoir n’est-il légitime que s’il légifère et gouverne selon les commandements de Dieu (bima anzala Allah). Le seul Etat possible est donc l’Etat islamique, qui rassemblera territorialement la population musulmane et appliquera la charià. Le troisième concept-clé de sa pensée est le takfir qui désigne, comme l’ont théorisé Al-Ghazali et Ibn Taimiyya, l'excommunication de l’“Incroyant”. Cette idée est au cœur des doctrines des différentes organisations égyptiennes ou algériennes qui ont adopté le nom de Takfir wal Hijra, et elle inspire autant Al-Qaïda que Da'ech ou Boko Haram quand ces groupes massacrent des musulmans jugés "apostats" ou/et prônent la hijra (émigration) vers l'Etat islamique.

Concernant le “pouvoir infidèle” hindou, hérité de la décolonisation anglaise du sous-continent indien, les théories de Maoudoudi ont considérablement influencé les séparatistes musulmans qui exigeaient la création d’un Etat pakistanais spécifiquement islamique pour les Musulmans indiens désireux d’échapper à la jahiliyya hindoue et au takfir. Il anime encore aujourd'hui la pensée profonde des séparatistes islamistes du Cachemire qui mènent un jihad contre l'Etat indien. Les vœux de Maoudoudi ont d’ailleurs été en partie exaucés puisque les revendications de la Jama’at-i-islami furent adoptées par la Ligue musulmane et déboucheront, en 1947, sur la sécession du Pakistan.

Entre le début des années 1980 et la fin du XXème siècle, la Jama’at-i-islami a gagné également l’Afghanistan et l’Indonésie et est devenue rapidement l’une des composantes essentielles de l’islamisme sunnite international, en coopération avec les autres pôles de l'islamisme mondial cités dans ce chapitre. La pensée de ce mouvement particulièrement intolérant envers tout ce qui n'est pas islamique et envers les "mœurs mécréantes" explique en partie le très faible degré de laïcisation, d'intégration et d'exogamie des communautés musulmanes immigrées indo-pakistanaises en Occident ainsi que leurs descendants qui demeurent globalement étanches ou hostiles aux mœurs des pays d'accueil "infidèles". C'est aussi au sein de cette mouvance qu'ont été formés et recrutés des terroristes pakistano-britanniques ou indo-britanniques musulmans qui ont sévi tant dans les attentats de Londres en 2005 que dans d'autres perpétrés en Inde dans les années 2000. Malgré ses visions ouvertement conquérantes et totalitaires, Maoudoudi - et les structures qu'il inspire et qui diffusent son idéologie jihadiste et anti-occidentale - demeure l'une des références majeures de l'islam institutionnel anglais et de nombreuses associations islamiques d'Europe et des Etats-Unis.

Le Tabligh : les “Témoins de Jéhovah de l’Islamisme”

Le second grand mouvement de réislamisation indo-pakistanais, la Société pour la propagation de l’Islam, (Jama’at al Tabligh ou Tabligh), créée en 1927 par Maulana Muhammad Llyas Khandalawi, propose en revanche aux Musulmans qui se retrouvent minoritaires dans l’Etat indien “impie” la voie du repli communautaire et de la pratique ultra-rigoriste de l’islam, seule solution permettant de rester fidèle à l’islam lorsqu’ils sont "contraints" de demeurer en terre "infidèle", ce qui est aussi le cas en milieu occidentalo-européen. Grâce à un prosélytisme particulièrement efficace, le Tabligh est devenu l’un des tout premiers mouvements de réislamisation dans le monde, très influent dans tout le sous-continent, mais inspirant également l’Union culturelle musulmane du Sénégal, l’association Foi et Pratique en France, ou la confrérie Nourdjou en Turquie. Son épicentre mondial se situe au Pakistan, entre Lahore, Rawin et Peshawar, puis en Inde. Son centre européen se trouve en Grande Bretagne, où les Tablighis sont très présents et bien organisés, tout comme en Hollande, en Belgique, en France ou en Espagne auprès des communautés pakistanaises. Le Pakistan accueille d’ailleurs régulièrement des militants européens du Tabligh pour des stages de 40 jours.

Souvent, le Tabligh est classé parmi les mouvances “piétistes” en raison de l’élan missionnaire privé et de l’accent mis sur la piété et la pratique quotidienne de l’islam. Il n’empêche que l’islam proposé par le Tabligh est fondamentaliste et sectaire, et qu'il a beaucoup de points communs avec celui des Talibans (école dite déobandie), dans la mesure où les valeurs et règles inculquées sont directement tournées contre celles des sociétés “impies”. L’objectif numéro un est en effet d’empêcher, par la réislamisation et le repli communautaire, toute forme d’intégration des minorités musulmanes présentes en milieu hindou païen ou mécréant européen. La méthode de prosélytisme du Tabligh, redoutablement efficace, fondée le khourouj (ou "sorties"), consiste à faire du porte-à-porte dans les quartiers et les foyers, ce qui rappelle les témoins de Jéhovah. Aussi les spécialistes des questions d’intégration et d’islamisme rechignent-ils à établir une frontière étanche entre les mouvements islamistes radicaux et le fondamentalisme piétiste tablighi ou de certaines confréries soufies fondamentalistes.

En Europe, notamment en France ou en Grande Bretagne, où il constitue le premier mouvement de réislamisation, le Tabligh s'emploie à empêcher, par le repli communautaire, l’intégration des jeunes musulmans issus de l’immigration au sein de la “société infidèle” européenne. L’activisme du Tabligh est particulièrement visible dans les “banlieues de l’Islam”, ainsi qu’on a pu s’en apercevoir après les différents attentats survenus en France en 1995 et aux Etats-Unis en septembre 2001, puisque nombre de militants islamistes (Khaled Kelkal, Zakarias Moussaoui, Djamel Loiseau, etc) ont été formés et recrutés par le Tabligh avant d’aller s’entraîner en Afghanistan, en Bosnie ou au Pakistan puis de passer à l’action terroriste. Plus récemment, rappelons tout de même que les 6 familles de jihadistes français de Lunel partis en Syrie rejoindre les coupeurs de tête de Da’ech entre 2012 et 2016 ont été fanatisées au sein de la mosquée flambant neuve de Lunel tenue par le Tabligh. Cette mosquée et l’islam intégriste qu’elle distille aux jeunes désœuvrés du coin qui en ont fait un temps un bastion du jihadisme français est devenue un réel sujet de préoccupation sécuritaire, bien qu'elle n'ait jamais été fermée et qu'elle ait été inaugurée en grande pompe par les maires successifs.

Après le Tabligh et la Jamaà, deux autres organisations fondamentalistes moins connues mais fort actives dans le monde et en Europe, ont également comme objectif, en milieu occidental, d'enrayer en partie le processus d’intégration de nombreux jeunes musulmans occidentaux, spécialement en Grande Bretagne. La première est celle des Barelvis, mouvance soufie radicale apparue vers la fin du XIXème siècle sous l’influence d’Ahmad Riza Khan (1856-1921), dont l’idée maîtresse est l’affirmation de la nature surhumaine de Mahomet et qui se propose de construire une identité islamique différenciée, une sorte “d’apartheid communautaire” volontaire. Dans cette optique, l’intercession des Saints et du prophète de l’Islam permet au Fidèle de rester un bon musulman malgré le caractère “impur” de l’Etat et des mœurs non-musulmans. Bien que combattus par l’orthodoxie sunnite, les Barelvis font front avec les autres mouvances fondamentalistes face à "l’impiété infidèle" et à tout ce qu’ils considèrent comme des manifestations d’impiété à l’égard de Mahomet, d’où leurs très violentes réactions lors de l’Affaire des Versets sataniques en 1989 qui valurent à Salmane Rushdie une fatwa de condamnation à mort pour "apostasie". La seconde organisation est celle des Déobandis, mouvance issue de l’école juridique hanafite mais influencée par le wahhabisme saoudien, et dont l’action grandissante en Europe, essentiellement en Grande Bretagne et aux Etats-Unis, mérite d’autant plus d’être connue que l’islam déobandi est celui des Talibans.

Le Pakistan : parrain et protecteur du totalitarisme taliban

Fondé en 1867, le séminaire (dar al’ulum) de Deoband, du nom d’une ville située à 150 km au Nord-Est de Dehli, prétendait débarrasser l’islam des pratiques hindouistes paganisantes et d'aider les musulmans à résister à l’occidentalisation. Prônant un mode de vie ultra-puritain, le mouvement a pour objectif de donner à ses élèves des ressources pour renforcer l’affirmation de leur identité islamique. Dans le sous-continent indien comme en Grande Bretagne, où vit la plus importante communauté indo-pakistanaise d’Europe, les Déobandis s’emploient à mettre sur pied une élite autochtone et à organiser une communauté islamique séparée, imperméable aux moeurs et lois “impies”. Aussi, la solution aux problèmes de la vie quotidienne et de la coexistence avec des “Infidèles” réside pour eux dans la stricte application des injonctions des textes sacrés de l’islam. Ceci explique pourquoi les Oulémas déobandis sont de grands producteurs de fatwas, des centaines de milliers depuis un siècle. Celles-ci expliquent aux Croyants comment se conduire selon la charià en toute circonstance et en tout lieu, lorsque les normes majoritaires ou lois du “pouvoir infidèle” dominant (houkoum jahili) contredisent la pratique de l’islam. C’est en vertu de ces fatwas, fondées sur des coutumes des musulmans du VIIIème siècle, que, sous le régime des Talibans, les femmes afghanes ne pouvaient pas se faire soigner par des médecins ou chirurgiens masculins ni étudier, ou encore que les hommes qui rechignent à porter la barbe sont passibles de prison et parfois de mort.

En Grande Bretagne, à Bradford, Birmingham, Manchester et Londres, comme en Europe du Nord, en Espagne ou aux Etats-Unis, les imams déobandis enseignent en toute légalité leurs dogmes aux jeunes musulmans indo-pakistanais. On trouve ainsi à Londres une vingtaine d’écoles qui enseignent les lois et jurisprudences déobandies. Dans certains cas, les musulmans britanniques sont envoyés à l’étranger pour étudier au sein des écoles déobandies pakistanaises, indiennes ou afghanes. L’une des plus importantes institutions déobandies est une madrasa située au Nord de l’Inde, où les étudiants reçoivent huit heures d’enseignement par jour pour devenir des cadres religieux, mollahs ou imams. Les musulmans britanniques qui suivent ces cours reviennent ensuite enseigner dans les écoles déobandies britanniques. “Aujourd’hui, on estime que 20 % de la population musulmane britannique suit les enseignements déobandis dispensés dans les nombreuses mosquées déobandies, par ailleurs soutenues financièrement par l’Arabie saoudite”.

Rappelons qu'au Pakistan, une madrasa et une moquée sur quatre sont contrôlées par des mouvements islamistes directement liés aux Déobandis en général ou même à leurs émules talibans en particulier, influencés de surcroît par le wahhabisme saoudien : Jamiat Ulema i Islami, madrasas de Sami Ul Haq, du maulana Fazlur Rehman, du Shah Ahmed Noorani, etc. Depuis 1995, ces madrasas ont formé plus de 45 000 étrangers venus du monde entier (Afrique, Asie centrale, Afghanistan, monde arabe, etc.), avec la bénédiction des services secrets pakistanais et avec l'argent saoudien ou koweïtien.

Nombre d'organisations islamistes anti-occidentales de type terroriste-révolutionnaire sont liées aux structures pakistanaises : Talibans, groupes islamistes armés du Cachemire, “néo-wahhabites” du Caucase (Daghestan, Tchétchénie) et de la vallée de la Ferghana (Asie centrale), réseaux islamistes algériens et égyptiens (GIA, Takfir, Gamaà, Jihad), rebelles islamistes turcophones du Xin Jang chinois, etc. Partout où ils évoluent, de l’Afghanistan au Kosovo, en passant par la Tchétchénie et le Daghestan, les membres de cette nouvelle “Internationale islamiste” wahhabito-sunnite ou salafiste - les “Afghans”, perpétuent, dans le sang, le “paradigme indo-pakistanais” c’est-à-dire une forme spécifiquement islamique de “résistance au pouvoir infidèle”. Cela n'empêche pas des leaders politiques occidentaux d'envergure de considérer toujours Islamabad comme un "allié fiable", idée défendue par les républicains américains, en particulier l'ancien candidat à la présidentielle américaine face à Barack Obama, John Mc Cain.

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