Iran : voilà pourquoi la révolte actuelle est inédite<!-- --> | Atlantico.fr
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Des femmes brandissent des pancartes avec le portrait de Mahsa Amini, le 24 septembre 2022, à Erbil lors de manifestations.
Des femmes brandissent des pancartes avec le portrait de Mahsa Amini, le 24 septembre 2022, à Erbil lors de manifestations.
©SAFIN HAMED / AFP

Géopolitico scanner

Comme l’a déclaré récemment le fils du Shah d’Iran, la question n’est plus de savoir si le régime des mollahs tombera, mais quand. Analyse du grand reporter Emmanuel Razavi.

Emmanuel Razavi

Emmanuel Razavi est Grand reporter, spécialiste du Moyen-Orient. Diplômé de sciences Politiques, il collabore avec les rédactions de Paris Match, Politique Internationale, Le Spectacle du Monde, Franc-Tireur et a réalisé plusieurs Grands reportages et documentaires d’actualités pour Arte, France 3, M6, Planète...  Il a notamment vécu et travaillé en tant que journaliste en Afghanistan, dans le Golfe persique, en Espagne …

Il s’est fait remarquer pour ses grands reportages sur les Talibans (Paris Match), les Jihadistes d’Al Qaida (M6), l’organisation égyptienne des Frères Musulmans (Le Figaro Magazine, Arte).

Depuis le mois de septembre 2022, il a réalisé plusieurs reportages sur la vague de contestation qui traverse l’Iran. Il est notamment l'auteur d'un scoop sur l’or caché des Gardiens de la révolution publié par Paris Match, ainsi que d’un grand reportage sur les Kurdes Iraniennes qui font la guerre aux Mollahs, également publié Paris Match. Auteur de plusieurs documentaires et livres sur le Moyen-Orient, il a publié le 15 juin 2023 un nouveau roman avec Chems Akrouf, « Les coalitions de l’ombre » (éditions Sixièmes), qui traite de la guerre secrète menée par le Corps des Gardiens de la Révolution contre les grandes démocraties. Il aussi publié en 2023 « les guerriers oubliés, histoire des Indiens dans l’armée américaine » (L’Artilleur).

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Atlantico : Lors d’une de ses interventions, le fils du shah d’Iran Reza Pahlavi semblait sous-entendre que le mouvement de révolte actuel ne pouvait réussir sans un revirement de la part des gardiens de la révolution. Qu’est-ce qui lui fait dire cela ?

Emmanuel Razavi : Il y a quelques jours, il a appelé en persan les policiers et les militaires iraniens à déposer les armes et à arrêter la violence contre les manifestants. Comme on pouvait s’y attendre, cela n’a pas été suivi par des actes, la brutalité de la police ayant persisté. Reza Pahlavi sait en fait que les gardiens de la révolution, qui ont la main mise sur l’arsenal sécuritaire et économique de la République islamique, représentent un adversaire et un enjeu de taille. Ils sont peut-être même le véritable adversaire. Car ils sont en quelques sortes la colonne vertébrale du régime depuis 40 ans.

Qui sont véritablement les Pasdarans ? A quel point sont-ils effectivement la clé de voute du régime ?

Ils ont été créés peu de temps après l’arrivée au pouvoir de l’ayatollah Khomeini en 1979. Répondant directement aux ordres du guide de la révolution islamique, ils se sont installés en quelques années à tous les postes clés du pouvoir. Aujourd’hui, ils sont un peu les maitres du jeu. Ils incarnent à la fois le bras armé et l’une des principales forces économiques du régime. S’ils ont commencé telle une organisation paramilitaire, ils ont rapidement relégué l’armée régulière au second plan. Forts d’environ 130 000 hommes sans compter les membres de leur milice civile, ils disposent de leur marine, de leur aviation ou encore de leurs forces spéciales. Ils ont tissé des réseaux à l’international, et sont passés maitres en matière de renseignement. Totalement idéologisés et dogmatiques, ils sont connus pour leur extrême brutalité.Ils sont notamment derrière des organisations comme le Hezbollah au Liban. Quand j’allais dans des villages tenus par le Hezbollah lors de mes reportages au Liban, j’entendais ainsi souvent parler le persan. Et pour cause, les pasdarans entretiennent un lien très fort avec ce mouvement qu’ils ont contribué à créer. Enfin, depuis 40 ans, les gardiens de la révolution ont aussi pratiqué le terrorisme d’État, assassinant entre autres des personnalités politiques, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Iran. De plus, ils agissent comme une mafia. Il est ainsi presqu’impossible de faire des affaires en Iran sans passer à un moment ou un autre par l’une de leurs structures.

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Peuvent-ils basculer en faveur de la révolte à l’heure actuelle ? Si non, qu’est-ce qui pourrait les faire évoluer ?

À l’heure actuelle, je ne vois pas comment ils pourraient prendre parti pour les manifestants puisqu’ils détiennent la force sécuritaire entre leurs mains et qu’ils ont la mainmise sur une grande partie de l’économie. En clair, les pasdarans ont plus de raison de défendre le pouvoir que de se retourner contre lui. Cependant, il est intéressant que vous posiez cette question : car étant donné leur niveau de corruption, on peut imaginer que l’argent et leurs prérogatives militaires sont deux « actifs » qu’ils voudront préserver à tout prix.Si le régime continue de s’affaiblir, compte tenu des crises économique, sociale, sanitaire et environnementale auxquelles il fait face, et qu’un véritable force d’opposition est capable de s’imposer - ce qui n’est pas le cas à l’heure où nous parlons -, on peut imaginer, pourquoi pas, que des négociations en ce sens pourraient exister bien que si certaines personnalités de l’opposition iranienne y pensent, je crois que cela tient de la fiction. Les pasdarans ont quand même beaucoup de sang sur les mains, et dans l’hypothèse où le régime des Mollahs viendrait à s’effondrer, je vois mal leurs successeurs composer avec une organisation qui a commis tant d’exactions. De mon point de vue, les pasdarans préserveront jusqu’au bout leurs intérêts en recourant à la violence.

Certaines voix appellent à l’union des différents mouvements de lutte contre le régime, à savoir le courant monarchiste, les moudjahidines du peuple d’Iran, etc. Est-ce un vœu pieu ?

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À l’extérieur du pays, il existe deux forces principales. D’une part les monarchistes fidèles au Prince Reza Pahlavi. D’autre part, l’organisation des Moudjahidines du peuple iranien. Les premiers sont des gens cultivés qui ont une réelle vision démocratique pour l’Iran. Pour avoir réalisé un reportage pour Arte il y a quelques années sur eux, je pense qu’ils s’inscrivent dans une démarche très affirmée de progrès, d’ouverture à la modernité et à l’occident. Cependant, du fait de leur exil, ils vivent loin du quotidien des Iraniens de l’intérieur depuis plus de quarante ans. Leur réalité n’est pas du tout la même. Dès lors, incarnent-ils véritablement un espoir pour le peuple iranien ? C’est toute la question. Il faut comprendre que la moitié des Iraniens ont moins de trente ans. Ils n’ont jamais connu la monarchie des Pahlavi. Il y a un autre point important : même si je vois sur les réseaux sociaux que de plus en plus de jeunes suivent le Prince Reza qui apparaît comme un homme de dialogue,je pense qu’il ne peut avoir un impact politique fort qu’avec un réel soutien international. Concernant les moudjahidines du peuple, il s’agit d’une organisation islamo-marxiste sur laquelle j’ai également fait des reportages. Elle est très bien structurée, mais elle a laissé un mauvais souvenir aux Iraniens. Car les moudjahidines ont été les alliés de l’Ayatollah Khomeini lors de son accession au pouvoir en 1979. Par la suite, ils sont passés dans l’opposition et ont rejoint l’Irak où ils ont été soutenus par Saddam Hussein. Il existe aussi quelques autres petits mouvements, mais qui n’ont pas vraiment d’aura.

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Savoir maintenant si une alliance entre les différentes tendances de l’opposition iranienne est possible, pourquoi pas, même si je crois que beaucoup de choses les sépare. Si je m’en tiens à ce que j’ai vu lors de mes reportages, la mouvance Pahlavi est beaucoup plus progressiste que les Moudjahidines du peuple. Elle est aussi plus en phase avec les libertés fondamentales comme la liberté des femmes et la liberté d’expression. C’est également une alliée plus solide pour l’occident. Cependant, c’est sans aucun doute maintenant que l’avenir se prépare. Quoiqu’il advienne, les Iraniens veulent prendre en main leur destinée. Et je crois assurément que compte tenu de ce qui se passe, les femmes auront à l’avenir un poids beaucoup plus important dans la vie politique iranienne. En tenir compte m’apparaît nécessaire. 

Dans l’état actuel des choses, le mouvement de révolte peut-il se poursuivre, s’intensifier et devenir un vrai mouvement de révolution ?

Les Mollahs ont perdu la guerre générationnelle. En n’entendant pas la voix de ces jeunes femmes, héroïques, qui enlèvent et brûlent leur foulard, ils se montrent déconnectés de la population, d’autant plus qu’une majorité d’iraniens approuvent le mouvement. D’autres part, en faisant preuve de brutalité, ils n’empêcheront pas le mécontentement d’exister. De plus, il ne faut pas perdre de vue que ce mouvement de révolte s’inscrit dans un contexte de crise économique, sociale et environnementale sans précédent en Iran. Donc les revendications vont au-delà de la question symbolique du voile. Le pays connait en effet une inflation de 60%, le chômage est partout, et une grande partie du territoire est confronté à des problèmes d’accès à l’eau. Ce contexte éreinte à la fois le régime et la population, accentuant la fracture entre eux.

Comme l’a dit Reza Pahlavi à la télévision canadienne, la question n’est pas de savoir si le régime des mollahs finira par tomber, mais quand. En ce sens, la sociologie de ce pays qui se féminise depuis des années, et dont la moitié des habitants à moins de trente ans, joue en faveur des manifestants. Mais pour l’heure, le régime et son bras armé vont tout faire pour tenir bon, y compris recourir à la violence la plus extrême. Il n’est pas sûr, donc, que le mouvement perdure de la même façon qu’aujourd’hui. Mais une chose est sûre : la contestation, quelle qu’en soit la forme, ne s’arrêtera pas. Il se passe vraiment quelque chose d’inédit en Iran. Il y a un véritable mouvement de fond qui traverse toutes les couches de la société car le combat de ces femmes, comme de tous ceux qui les soutiennent, est universel. Il marque un désir profond de liberté et de modernité. En ce sens, le combat des femmes iraniennes est admirable. Elles sont un exemple pour le monde entier.

Emmanuel Razavi est Grand reporter. Spécialiste de la géopolitique du Moyen-Orient, il a réalisé de nombreuses enquêtes au sein de la mouvance jihadiste. Auteur de livres et de documentaires sur le sujet, il s’est fait remarquer pour ses scoops au sein de l’Organisation islamiste des Frères Musulmans (pour Arte et le Figaro Magazine), chez les talibans (pour Paris Match) ou avec les combattants d’al Qaida (M6). Auteur du roman « les Exilés, une chronique iranienne » (éditions Publibook 2010), il a réalisé plusieurs reportages sur les mouvements de l’opposition iranienne. Il est également conférencier auprès d’institutions internationales et de l’Institut national d’anticipation des Risques. Il a fait partie, en 2019, des spécialistes de terrain qui ont été invités à témoigner devant la commission d’enquête sénatoriale sur l’islam radical. Il a notamment vécu en tant que journaliste en Afghanistan, au Qatar et en Espagne. Dernier ouvrage publié : « Grands reporters, confessions au cœur des conflits » (Éditions Amphora, collection Bold,2021).

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