Drones militaires : le témoignage d'un pilote de drones<!-- --> | Atlantico.fr
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Le recours aux drones est contesté par les organisations des droits de l'homme depuis plusieurs années aux Etats-Unis.
Le recours aux drones est contesté par les organisations des droits de l'homme depuis plusieurs années aux Etats-Unis.
©Reuters

La minute Tech

Le recours aux drones est contesté par les organisations des droits de l'homme depuis plusieurs années aux Etats-Unis. Une radio canadienne a diffusé le témoignage d'un ancien pilote à distance de drones militaires.

Les drones, créés pour les armées afin de surveiller et tuer à distance sans risquer la vie des soldats ou de commandos, se sont glissés subrepticement dans la vie civile, avec les drones de surveillance, des drones météo, voire même des drones à bricoler soi-même. Le gouvernement Obama les utilise beaucoup, au Yémen ou en Afghanistan, comme hier en Irak, mais reste très discret. Les drones font peur, et depuis peu, un débat naît aux Etats-Unis sur le contrôle à exercer sur ces nouvelles armes qui font aussi des victimes parmi les civils.

Lancement d'un drone depuis un porte-avion de l'armée américaine, photo Official US Navy Imagery

On oublie le plus souvent que le drone militaire n'est pas programmé, que deux opérateurs le dirigent et appuient sur la mise à feu du missile, depuis parfois l'autre bout de la terre. On sait très peu de choses sur la façon dont ces pilotes à distance travaillent et ce qu'ils vivent, derrière une débauche de technologie militaire. L'un de ces opérateurs, qui a quitté l'armée américaine, a témoigné dans une émission de radio canadienne, CBC- Day 6. Des extraits de son témoignage. 

CBC : Vous travailliez dans un bunker de l'armée américaine, dirigeant des drones à l'autre bout du monde depuis le Nevada ou le Nouveau Mexique ; comment est ce lieu, pourriez-vous nous le décrire ? 

Brandon Bryant : C'est très sombre, la seule lumière vient des écrans, il y a en a 7 en face du pilote et 7 en face de l'opérateur des capteurs. (..) J'étais l'opérateur des capteurs. En bref, nous sommes le soutien du "pilote", pour tout ce qu'il fait, tout ce que le drone fait, je contrôle aussi la caméra du drone et je tire le rayon laser pour que le pilote puisse tirer le missile. (..)

- Le laser guide le missile, on ne peut pas tirer le missile sans le laser ?

- Oui.

- Vous regardiez la guerre toute la journée à travers ces écrans et un jour vous avez vu un attentat sur la route.

- C’était ma première mission (...) Ces gars allaient un peu contre le règlement qui veut qu'ils rentrent à la base avant l'aube, et ils ont fini des choses qu'ils avaient à faire et sont rentrés à la base depuis leur dernière étape. (...)

- Quel était votre job, pour surveiller ce convoi ?

- Quand le convoi rentre à la base, vous scannez la route (depuis le drone) pour être sûr qu'ils ne vont pas être victime d'un guet-apens, ou alors, comme en Irak, on scannait la route du convoi pour repérer des endroits où des explosifs pouvaient être enterrés ou bien les risques de guet-apens.

- Et vous avez vu quelque chose ?  

- Oui, nous avons vu un "œil".

- C'est quoi ? 

- Ils mettent le feu à un pneu, ils le placent sur la route pour rendre l'asphalte plus mou, et ils le retirent après, ça leur permet  d'enfoncer les explosifs dans l'asphalte, de les couvrir, et la différence de température entre le métal frais et l'asphalte chaud créé une forme d’œil sur la route (...) 

- Et vous l'avez vu ?

- Oui.

- Qu'avez -vous fait ?

- Rien, on ne pouvait rien faire, on ne pouvait pas avertir le convoi, leur radio était brouillée. Le premier véhicule est passé dessus et il ne s'est rien passé et on se préparait à reprendre le scan (de la route) quand  le deuxième véhicule est passé dessus et a explosé.

- Et vous avez vu ça sur l'écran ? C’était évident qu'il y avait des morts ?

- Oui. C'était ma première mission, vous réalisez que ce n'est pas un jeu, c'est la vraie vie, et que ce que nous faisons, ça va affecter de vraies personnes.

- Combien de gens sont morts ce jour-là ?

- Cinq. Et je ne voulais plus jamais revoir ça. Ça m'a changé. (...) J'ai travaillé plus dur pour devenir le meilleur, je n'étais pas le meilleur, mais tout près. 

 - Vous faisiez beaucoup de surveillance aussi ; les gens croient que vous utilisez toujours les drones comme des armes mais le plus souvent vous récoltez du renseignement. Vous arriviez à connaitre la vie quotidienne des gens que vous surveilliez ?

- C’était comme être un détective, pour comprendre les habitudes quotidiennes, il faut surveiller pendant des jours, des semaines, des mois, et vous connaissez leur vie quotidienne, leur café préféré, comment ils vivent avec leur famille, ou c'est quelqu'un qui va enterrer des explosifs, ou aller à un endroit qui a été frappé et revenir armé, on les voit vivre avec leurs mômes, et pour eux, qui qu'il soit, c'est leur père. (...)

Manifestation anti-drones aux Etats-Unis, photo Syracuse Peace Council

- Comment ça se passe, de l'ordre de frapper jusqu'au tir du missile ? 

- On surveille quelqu'un et on vous dit "on va éliminer ce type, tenez vous prêts",  au moment opportun, ils nous donnaient l'info pour la frappe et nous l'exécutions.

- Vous marquiez la cible avec le laser et votre copilote tirait ? Combien de temps entre la mise de feu du missile et l'explosion ? 

- 14 à 15 secondes.

- A quoi pensiez vous ?

- Vous espérez que vous n'allez toucher que la cible, et que personne ne va s'approcher de la personne que vous ciblez pour lui parler. Durant les 8 premières secondes, vous avez peut-être la possibilité de guider le laser pour éviter de toucher les personnes qui ne sont pas des cibles.

- Vous avez eu une expérience qui a tout changé.

- Nous surveillions une cible, et rien ne se passait, il y avait des gens qui sortaient de ce groupe de maisons et traînaient autour, mais rien d'excitant. (...) Nous savions qu'il y avait quelqu'un a éliminer, que nous allions faire sauter cette maison. Nous prenons le drone et tirons sur la cible avec le missile, le compte à rebours commence et de l'angle du bâtiment  un petit corps humain est arrivé en courant en se dirigeant vers la porte, il restait six secondes, vous ne pouvez rien faire, on ne peut pas bouger, et le missile a explosé et la maison s'est écroulée et il ne restait rien, pas de petit corps. J'ai regardé le pilote et j'ai demandé "C'était une personne ? C'était un gosse ?", et il a dit "Oui, j'ai l'impression que c’était ça". Nous avons un logiciel de tchat pour communiquer, on a demandé aux gens impliqués et ils nous ont dit : "Non, c'était un chien" .

- Vous avez eu l'occasion de revoir les images ?

- Oui, et pour nous, c'était une personne.

- L'impact sur vous ?

- Je ne crois plus aux gentils et aux méchants, j'y croyais, c'est un mensonge, je ne crois plus à une guerre propre. 

- On vous a parlé d'autres cas ? 

- Oui, j'ai entendu parler de deux autres cas similaires, seulement deux, mais on nous dit juste de la fermer de ne pas parler aux gens, on nous menace toujours de retirer notre agrément de sécurité (militaire), on nous a dit de ne pas parler au chapelain ou au psychologue ou une autre personne, juste de la boucler et de retourner au travail. 

- Beaucoup de gens s'inquiètent en ce moment du nombre de civils frappés par erreur. Mais est-ce que ça arrive souvent ? D'après ce que vous dites, non. 

- Pour être honnête, je ne crois pas que ça arrive fréquemment, et quand ça arrive, c'est très triste, mais il y a d'autres escadrons qui font d'autres choses, je ne peux rien dire de ce qui se passe là bas mais je sais qu'on réunit assez d'informations pour que ça n'arrive pas. 

- Vous dites que vous rêvez en infra rouges.

- Quand je rêve,  c'est comme si je regardais les écrans, tout ce qui est chaud est noir, tout ce qui est froid est de la couleur opposée, c'est très étrange, je ne pouvais pas faire la différence entre être éveillé et rêver tellement c'est réaliste.

- Ça va mieux ? La réalité s'améliore ? 

- Oui, lentement, mais mieux.

- Quelle a été la réaction des autres opérateurs de drones ?  

- Les gens avec qui je "volais" au début m'ont soutenu, envoyé des emails, me disent qu'ils sont contents que j'ai parlé de mon expérience. De ceux qui y travaillent depuis plus récemment, j'ai reçu beaucoup de menaces physique, de violence contre moi. Ils sont très en colère. 

 - Ce débat national qui commence, est-ce que ça va faire changer les choses ? 

- Cela devrait. J'espère que ça va changer, j'espère que d'autres vont parler, ce serait bien.

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