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La droite française est plutôt pro-israelienne.
La droite française est plutôt pro-israelienne.
©Reuters

Atomes crochus

L'actualité internationale fourmille de prétextes à débats enflammés : les Israéliens en font-ils trop à Gaza ou se trouvent-ils en état de légitime défense ? Vladimir Poutine est-il à condamner sur toute la ligne, ou a-t-il tout de même certaines qualités ? Bien souvent l'opinion que l'on a de ces sujets est fortement influencée par ses propres affinités politiques.

Jérôme Sainte-Marie

Jérôme Sainte-Marie

Jérôme Sainte-Marie est président de la société d'enquête et de conseils PollingVox.

 

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Source : sondage Ifop pour le Figaro, juillet 2014

Atlantico : La gauche française est traditionnellement vue comme favorable à la cause palestinienne, ce qui se vérifierait moins à droite. D'où les tropismes "pro-palestinien" et "pro-israélien" viennent-ils, et pourquoi le premier est-il associé à la gauche, et le second à la droite ?

Jérôme Sainte-Marie : A l’origine, et jusqu’au début des années 60, seul le point de vue pro-israélien prévaut dans l’opinion française, avec en outre, mais seulement jusqu’en 1958, une alliance stratégique entre la France et Israël. Le socialiste Guy Mollet est celui qui incarne le mieux cette orientation, faite d’une opposition commune au nationalisme arabe et d’une admiration profonde pour le modèle de société initié par les travaillistes israélien. Les élites socialistes n’ont jamais vraiment rompu avec cet imaginaire, où le jeu d’une autre composante, celle de la mauvaise conscience historique, est allé croissant. Seulement, avec l’acceptation par l’OLP des accords d’Oslo d’une part, la dynamique de colonisation d’autre part, les sympathisants de gauche ont, eux, emprunté un autre chemin. Le sondage de l’IFOP le montre, après tant d’autres, les électeurs de premier tour de François Hollande sont assez proches de ceux de Jean-Luc Mélenchon sur ce dossier : si, comme le reste des Français, la plupart ne veulent pas choisir un camp, 24% ont plutôt de la sympathie pour Israël, contre seulement 8% pour les Palestiniens. Les proportions peuvent varier selon l’actualité, mais il demeure une contradiction constante entre les valeurs de gauche et ce qui est perçu de la politique israélienne. A l’inverse, à droite, alors que certains de ses leaders, comme Jacques Chirac, ont pu manifester une certaine compréhension pour les positions arabes, à la base on s’identifie davantage aux Israéliens, notamment dans le cadre du conflit face à l’islamisme. Autre constance, assez parlante, le penchant pro-israélien affirmé des sympathisants du Front national : à l’évidence, le cadre d’interprétation est ici celui de la guerre d’Algérie, comme d’ailleurs à l’extrême-gauche, mais avec une conséquence symétriquement opposée.

Source : sondage Ifop pour le Figaro, juillet 2014

71 % des Français disent ne soutenir aucun des deux camps. Aurait-on tendance à exagérer le phénomène "d'importation" du conflit  israélo-palestinien en France ?

C’est un cas d’école pour l’étude de l’opinion : les chiffres globaux n’ont pas une grande signification, dans la mesure où ils agrègent des points de vue très informés, souvent passionnés, voire identitaires, avec des avis qui ne sont guère plus qu’une réponse à un questionnaire. D’un côté nous trouvons des personnes qui considèrent que ce conflit pose des problèmes politiques essentiels, sur place mais aussi sur la politique étrangère française, de l’autre une large part de l’opinion qui se prononce d’autant moins facilement qu’elle constate l’incandescence des passions de ceux qui s’expriment sur le sujet. Il y a aussi une certaine timidité des interviewés redoutant, en exprimant une préférence, de subir une forme d’opprobe moral, par l’introduction dans le débat des thèmes du racisme et de l’antisémitisme. Au final, le débat existe dans l’opinion française, et de manière très significative pour un problème où l’implication de la France est assez faible. Le principal risque quant à cette prétendue "importation" serait de le traiter sur un axe essentiellement religieux, en minorant sa dimension politique.

Source : sondage BVA pour Le Parisien Aujourd'hui en France, janvier 2014

Si Vladimir Poutine est globalement assez mal vu en France, on constate que l'hostilité à son endroit est tout de même plus marquée chez les sympathisants de gauche. A quoi cela est-il dû ? Son caractère fait-il échos au mythe de "l'homme fort", ou "providentiel", cher à la droite ?

A tort ou à raison, Vladimir Poutine incarne toujours davantage un modèle de société fermée, hiérarchique et peu tolérante. En conséquence, même s’il s’oppose à l’Occident sur plusieurs dossiers internationaux, il connaît une moindre détestation à  droite qu’à gauche. De manière significative, les sympathisants du Front national rejoignent leurs dirigeants sur ce point, en étant les plus compréhensif à l’égard du président russe. Il y a donc une lecture politiquement évidente par l’opinion française de l’action et du style Poutine. Ce qui est plus intéressant est de constater la faible attractivité : voici qui incite à nuance le désir d’autorité si souvent prêté aux Français. La "verticale du pouvoir" a peu d’adeptes ici, où le compromis républicain demeure la référence.

Source : sondage Ifop pour Le Figaro, septembre 2013

Lorsqu'il avait été question d'une intervention en Syrie par les Occidentaux en 2013, on a constaté que les sympathisants de gauche y étaient nettement plus favorables que ceux de droite. La gauche n'étant pas "va-t-en-guerre" par nature, où se trouvait la raison profonde de cette adhésion ?

Il faut être très prudent, car le libellé de la question incluait longtemps l’idée d’une intervention sous pavillon de l’ONU. Or, les Français en général, et les sympathisants de gauche en particulier, sont attachés au respect de la légalité internationale, ce que la crise de 2003 avec les Etats-Unis a encore renforcé. De plus, le pouvoir, et notamment Laurent Fabius, a joué un rôle prescripteur important chez les sympathisants de gauche. Ceci a volé en éclat lorsque les Français ont compris que le Conseil de sécurité ne cautionnerait pas une telle intervention, qui serait alors celle des Occidentaux. Leur réaction a été aussitôt de retirer leur soutien à ce projet, ce que les images des exactions de certains groupes de rebelles ont ensuite amplifié.

Source : sondage BVA pour Le Parisien Aujourd'hui en France, janvier 2013

A l'inverse, l'intervention française au Mali a été soutenue de manière à peu près équivalente par tous les bords politiques. Qu'est-ce que cette indifférenciation sur ce dossier traduit des préoccupations profondes des Français ?

Le dossier semblait simple, l’intervention rapide, massive et apparemment efficace, ce qui a coupé court au débat. De plus, il y a une accoutumance de l’opinion française aux interventions militaires dans les anciennes colonies africaines. Enfin, les formes juridiques paraissaient respectées, avec une demande officielle formulée par le pouvoir malien. Nous étions alors dans un tout autre schéma que celui d’une intervention, sur le modèle de celle menée il y a onze ans par MM. Bush et Blair, pour renverser un régime en place.

Source : sondage Ifop pour Version Femina, août 2008

Les Etats-Unis, principale force d'intervention dans le monde, et notamment en Irak en 2008, suscitaient davantage de sympathies à droite qu'à gauche. Qu'est-ce que cela traduit des mentalités de part et d'autre ? Et pourquoi le FN fait-il figure d'exception à droite, en étant le plus critique vis-à-vis des Américains ?

L’image des Etats-Unis demeure façonnée chez de nombreux français, notamment ceux de plus de 45 ans, par la Guerre froide. Chez beaucoup à droite, au centre, et dans une bonne partie de la gauche, ils apparaissaient comme le recours indispensable face à la menace soviétique. Le gaullisme apparaît comme une nuance à cette image, et non comme une opposition frontale. Seul les 25% de Français influencés politiquement par le communisme s’inscrivaient dans une autre lecture. Il en reste des traces culturelles, mais il est tout à fait tendancieux de faire croire à un anti-américanisme majoritaire en France. Du côté du Front national, c’est comme souvent très compliqué, car parmi ses adhérents existent des courants idéologiques très différents les uns des autres, certains refusant violemment le "mondialisme" qu’ils imputent aux Américains, comme parmi ses électeurs, avec des strates successives apportant des cultures politiques diverses.

Au vu de ces différents résultats, selon que l'on est de gauche ou de droite en France à quelles causes est-on amené à donner son soutien ou, au contraire, à s'opposer ? Finalement, l'internationalisme a-t-il une couleur politique ?

L’internationalisme est une notion aujourd’hui très problématique. Ses défenseurs traditionnels, à gauche, sont souvent mal à l’aise avec la mondialisation libérale. Il n’y a plus la vision d’une solidarité sociale se jouant des frontières. A l’inverse, les abandons de souveraineté sont vécus comme profitant d’abord aux détenteurs de capitaux, économiques ou culturels. Enfin, le caractère multipolaire des relations internationales rend difficile l’identification à un camp ou à un autre. C’est une question intéressante, car la force politique qui sera capable de construire une relation logique entre des valeurs internationales et la défense des intérêts et valeurs français aura emporté une victoire stratégique décisive.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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