Déprime en Provence : l'essentiel de ce qui s'est dit aux rencontres économiques d'Aix<!-- --> | Atlantico.fr
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La crise est plus durable et plus violente qu’anticipé.
La crise est plus durable et plus violente qu’anticipé.
©Reuters

Revue d'analyses financières

Dans l'œil des marchés : Jean-Jacques Netter, vice-président de l'Institut des Libertés, dresse, chaque mardi, un panorama de ce qu'écrivent les analystes financiers et politiques les plus en vue du marché.

Jean-Jacques Netter

Jean-Jacques Netter

Jean Jacques Netter est vice-président de l’Institut des Libertés, un think tank fondé avec Charles Gave en janvier 2012.

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Jean Hervé Lorenzi et le Cercle des économistes ont organisé pour la treizième fois cette année Les rencontres d’Aix en Provence. Cet événement important dure trois jours. Il permet d’écouter et de rencontrer de nombreux acteurs de la vie économique, politique et universitaire. Le président du Cercle des économistes, maître des horloges, avait convié cette année 225 intervenants pour s’exprimer sur le thème : "Le choc des temps, l’économie mondiale entre urgence et long terme". Le soleil a fait,  comme d’habitude, partie de l’organisation, ce qui montre que la météo est une science infiniment plus fiable que la prévision économique.

L’année dernière, les intervenants avaient abusé des citations de Winston Churchill en nous invitant à nous préparer pour du sang et les larmes. Cette année, on était dans la citation de Jean Claude Junker, président de l’Eurogroupe : "Nous savons tous ce qu’il faut faire pour préparer l’avenir, mais nous ne savons pas comment le faire pour être réélu."

La crise est plus durable et plus violente qu’anticipé. Les politiques contra cycliques mises en œuvre sont usées et inefficaces. Il n’y a pratiquement plus de progrès de productivité. Sommes-nous toujours dans une grave crise financière ou tout simplement dans la crise d’un modèle de croissance qu’il convient d’adapter ? Comment définir les actions prioritaires et faire en sorte que l’action dans l’urgence serve aussi une stratégie de long terme ?

Les investisseurs sont devenus shootés au "Quantitative Easing" (= politique monétaire très accommodante des banques centrales) qui a été beaucoup plus efficace pour faire monter le prix des actions que pour créer de la croissance économique. On est dans l’addiction et le manque de conviction.

Les économistes sont dans l’incertitude et la modestie. Ils ont perdu une partie de leur crédibilité, car dans la finance moderne, ils sont sans arrêt confrontés l’illusion de la maîtrise de l’économie. L’ingénierie financière qui repose sur l’efficience des marchés et la vérité des prix ne fonctionne pas. D’ailleurs, comme aimait le rappeler John K Galbraith, auteur notamment du livre "La crise de 1929", "La science économique est d’une extrême utilité car elle fournit des emplois aux économistes."

Les politiques vont devoir privilégier la gestion sérieuse par rapport au spectacle médiatique. Nous avons absolument besoin d’une industrie compétitive si nous voulons continuer à vivre dans une Europe forte. Le temps de la finance n’est pas celui de l’éducation et le temps du politique n’est pas celui de l’industriel. Il faudra beaucoup de temps pour désendetter des économies gavées de dette publiques et privées. On n’est plus dans la sortie de crise ou le rebond de l’économie.

Ne pratiquons pas en permanence le Euro Bashing

La Zone euro entre dans son septième trimestre de récession. On peut très bien aboutir à une explosion de la Zone euro avec une banqueroute des pays faibles. C’est ce que craint Yanos Papantoniou, ancien ministre des Finances de la Grèce. Il y a le feu à la maison européenne, pense Eric Lombard de BNP Paribas Cardif. Pour lui, il faudrait que la BCE intervienne sur le prix du temps en faisant baisser les taux longs qui sont encore trop élevés. Il n’y a eu que Jean-Claude Trichet, ancien président de la BCE, pour exhorter les participants à ne pas pratiquer en permanence le dénigrement de l’Europe le "Euro Bashing".

"L’Europe est un laboratoire des déséquilibres que l’on constate sur le plan mondial", a dit Benoit Coeuré de la BCE. Les politiques qui ont la responsabilité de mettre en œuvre les réformes doivent gérer simultanément le temps de la finance, le temps de l’économie et le temps de la politique.

Ce n’est pas la croissance mondiale qui sortira la France de sa mauvaise passe, a rappelé Patrick Artus de Natixis. Tout ceux qui attendent ce moment seront déçus.

Les réformes structurelles doivent être entreprises le plus vite possible par le président de la République et son gouvernement. Comme il faut remettre complètement à plat l’Etat Providence, Philippe Aghion, professeur à Harvard, propose deux routes : celle qu’il baptise de façon caricaturale de "conservatrice néo libérale"; qui estime que le poids de l’état est une entrave à la liberté et à l’initiative individuelle. En face, la route qu’il propose, qui est celle des "sociaux démocrates" qui sont convaincus que l’état stratège est la seule solution. Tout le problème auquel aucun des participants n’a apporté de solutions est que les réformes structurelles ne doivent pas trop dégrader le court terme.

Elsa Fornero, ancienne ministre du Travail dans le gouvernement Monti, a eu la pratique de la prise de décision sous la forte contrainte. Elle eu vingt jours pour mettre en place la réforme des retraites en Italie. Elle l’a fait, ce qui a permis à l’Italie d’éviter une véritable débâcle financière. En France, on pratique un rythme différent qui est celui de la "grenélisation" de la vie politique. Il oblige à consulter tout le monde très longtemps pour aboutir généralement à des solutions temporaires. Comme l’a dit très bien Louis Gallois, Commissaire général à l'investissement, c’est une pratique que la France est arrivée à exporter avec beaucoup de succès à Bruxelles !

Pour le moment, l’obsession française pour les relances à court terme n’a d’égale que notre incapacité collective à construire un horizon de long terme….

L’entreprise doit être remise au cœur de la stratégie gouvernementale

Il faut absolument, dit Louis Gallois, Commissaire général à l’investissement, créer un consensus sur ce qui est bon pour l’entreprise. Il faut avoir le courage de modifier le CICE qui est une usine à gaz trop compliquée a dit Jean Hervé Lorenzi. Quant à Christophe de Margerie, président de Total, il pense qu’il faut très vite remettre l’entreprise au centre. Utilisons-les pour remonter la pente. Soutenir les marges des entreprises à court terme permet de préparer l’avenir en améliorant leur capacité à investir dans la productivité et l’innovation.

Philippe Camus de Alcatel Lucent souhaite que l’on évite désormais le cycle à quatre temps :

1/ on augmente les impôts ;

2/ on met en place un dispositif pour compenser une grande partie de la pression fiscale ;

3/ on supprime le dispositif mis en place qualifié de niche fiscale ;

4/ on revient à la situation de départ.

Pierre-André de Chalendar, président de Saint Gobain, a reproché à l’équipe gouvernementale d’être passée en un an du déni de réalité au zigzag. Il faut avoir une vision claire et être pragmatique sinon on ajoute la défiance à l’incertitude.

Pierre Moscovici, ministre de l’Economie, avait dit l’année dernière, dans l’amphi Montperrin de l’Université d’Aix Marseille, avec un peu d’arrogance : "il y a dans cette salle beaucoup d’économistes qui ont travaillé avec nous et je les salue". Visiblement cette année,  les rangs ont du s’éclaircir, car pour une raison tout à fait inexplicable, il a pris à partie l’ensemble de l’amphithéâtre qui était devant lui en lui reprochant sa défiance à son égard !

Il aurait été plus utile qu’il exprime sa vision : sur sa stratégie pour que la France retrouve une trajectoire de croissance au moins équivalente à celle des autres pays de l’OCDE ; sur le  temps qui sera selon lui nécessaire pour réduire les dettes et reconstruire les capacités à créer des richesses ; sur le modèle qu’il choisit pour quelle Europe ; sur la perte de compétitivité de l’industrie française ; sur l’explosion du déficit du commerce extérieur ; sur l’articulation entre les politiques de compétitivité de court terme et de long terme qui pose un problème d’affectation des moyens publics.

Finalement, c’est Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, qui a porté un des constats les plus lucides de ces rencontres. En France, l’ensemble des acteurs de la vie économique, politique et syndicale est incapable d’anticiper. On ne procède aux réformes que le dos au mur. Quand un accord comme celui du 11 janvier dernier qui  commence à laisser un peu de  souplesse aux entreprises en matière de droit du travail,  personne n’ose même en faire la pédagogie !

La déclaration finale de cette année contenait un plan jeune probablement pour rappeler au président de la République dans ce domaine ses promesses de campagnes oubliées. Le taux de sous emploi des jeunes se rapproche dangereusement de celui des pays du sud de l’Europe. La période que nous traversons laisse beaucoup trop de jeunes sur le bord de la route. Il s’agit bien évidemment de mettre en œuvre une autre politique que celle des contrats aidés et de génération. Financés par le secteur marchand, cela conduira inévitablement à accélérer un peu plus la désindustrialisation de la France.

Les erreurs de l’Europe dans l’énergie, l’automobile et probablement la banque

La politique énergétique de l’Europe est un véritable champ de ruines, comme l’a décrit Gérard Mestrallet, président de GDF Suez. Depuis Kyoto, les émissions de CO2 ont monté car on a substitué du nucléaire par du charbon, la compétitivité des entreprises européennes est handicapée par la non exploitation des gaz de schistes, la sécurité des approvisionnements de l’Europe a diminué et enfin on a créé des capacités en énergies renouvelables au moment où on en avait pas besoin !

Dans le secteur automobile, Jacques Attali, président de Planet Finance, a rappelé que les réponses apportées à la crise des deux côtés de l’Atlantique ont été diamétralement opposées. Aux Etats-Unis, on s’est attaqué aux problèmes de surcapacité structurelle de certains constructeurs. En Europe, on a fait le choix de solutions principalement conjoncturelles, avec des plans temporaires de soutien de la demande.

Les banques européennes détiennent beaucoup trop d’obligations souveraines dans leur bilan. La politique monétaire a déjà fait beaucoup. Elle n’est pas en mesure de prendre les mesures de réformes structurelles à la place des politiques, a rappelé Jan Weidman, président de la Bundesbank.

En marge de cette réunion, on constate que certains investisseurs sont extrêmement pessimistes sur les perspectives des marchés au cours des prochains mois, c’est notamment le cas de Chris Wood, le stratégiste de CLSA. Pour un fonds de pension, il recommande de détenir 50% de l’actif en or physique, 30% en Asie et 20% en mines d’or. A suivre…

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