Ce génocide qui se prépare au Soudan dans l’indifférence générale<!-- --> | Atlantico.fr
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Des membres du bataillon des forces de mission spéciale de l'armée soudanaise dans l'État du Nord organisent un défilé dans la ville de Karima, le 19 mai 2024.
Des membres du bataillon des forces de mission spéciale de l'armée soudanaise dans l'État du Nord organisent un défilé dans la ville de Karima, le 19 mai 2024.
©AFP

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Quatre ans après le renversement du dictateur Omar el-Bechir, les militaires Abdel Fattah al-Burhan et Mohamed Hamdan Dogolo, dit «Hemetti», s'affrontent.

Marc Lavergne

Marc Lavergne

Spécialiste de l'Afrique et de l'action humanitaire, membre du GREMMO, groupe de recherche sur la Méditerranée et le Moyen-Orient.

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Atlantico : Quelle est aujourd'hui la situation au Darfour  ? Les massacres des années 2000 reprennent-ils ?

Marc Lavergne : On peut dire qu'il y a une toile de fond qui est la désertification, ce qu'on appelle aujourd'hui le réchauffement climatique, qui entraîne une diminution des précipitations. Les nomades du Sahara, au nord, n'ont plus de nourriture pour leurs chameaux, ce qui les conduit à perdre leurs troupeaux. En voyant que, plus au sud, les paysans cultivent des terres et vivent mieux qu'eux, ils se sentent attirés par ces régions. Cette situation est emblématique de tout le Sahel, et pas seulement du Soudan et du Mali, dont on parle souvent. Ce problème global est rarement abordé, mais c'est là que réside le fond du problème. À cette époque, de nombreux paysans se sont retrouvés dans des camps de déplacés, où ils sont encore aujourd'hui, 20 ans après. Leurs enfants sont nés dans ces camps. Cette situation n'a pas suffi à rétablir un équilibre, car le gouvernement central n'a fait aucun effort de développement pour la région du Darfour, en termes d'infrastructures, d'emplois, de formation des jeunes, etc. Les enfants des déplacés, comme ceux des nomades, se retrouvent sans compétences, sans travail, sans avenir. Cela les rend facilement recrutables comme mercenaires, ce qui est exactement ce qui s'est passé. Ainsi, Hemetti, a recruté ces jeunes, y compris les enfants de ses victimes ou des victimes de son prédécesseur, il y a une vingtaine d'années. Les parents, toujours devant des camps de réfugiés, voient leurs enfants embauchés comme mercenaires, trafiquants ou gardiens de frontières, ramenant des salaires. Quand ils sont mercenaires en Arabie saoudite ou au Yémen, ils gagnent 1 000 dollars par an. Cela entraîne la formation de troupes, tandis que la population continue de croître, doublant tous les 20 ans. Le déséquilibre persiste. Aujourd'hui, au Darfour, des groupes nomades autour de Hemetti convoitent les terres fertiles de leurs voisins, des paysans non armés et non belliqueux, comme les Massalites, qui subissent un véritable génocide. Les gens sont tués non par haine, mais pour s'emparer de leurs terres, un mécanisme similaire à celui des années 2002 à 2004-2005. Des individus se sont installés sur des terres volées depuis 20 ans et sont devenus des agriculteurs plus ou moins compétents. Il y a eu des recompositions de ce type. De plus, la découverte d'or au Darfour a conduit à des ruées vers l'or, et des groupes se sont formés, composés de jeunes sans travail ni éducation, dans un pays sans infrastructure ni activité économique. Ils servent de contrôleurs des mines d'or, rackettant les orpailleurs. Protégés, ces derniers payent pour ne pas se faire tuer. À la tête de cette pyramide se trouve Hemetti, Mohammed Hamdan Dayalo, chargé par l'ancien président Omar Al-Bashir de le protéger contre son armée régulière. Al-Bashir craignait particulièrement Alboran et avait formé deux groupes pour se surveiller mutuellement : l'armée régulière et les forces de soutien rapides, en réalité des forces de soutien au président. Al-Bashir est tombé lorsque les deux groupes se sont alliés pour se partager le pouvoir et le renverser. Aujourd'hui, de nombreux groupes se sont autonomisés sur une base tribale ou régionale, formant une multitude de fronts et de mouvements de libération, généralement à base ethnique ou tribale. Les Aravois, par exemple, un grand peuple de nomades ayant perdu leurs chameaux à cause de la sécheresse, sont devenus de grands commerçants grâce à leur astuce et leurs réseaux de commerce. Les nomades, en général, sont des commerçants transportant des marchandises. Il existe deux ou trois mouvements armés dirigés par des Aravois à cheval sur le Tchad et le Soudan, financés par des hommes d'affaires Aravois ayant des réseaux de trafic avec la Libye, le Golfe, et même la Chine. Cependant, de nombreux autres groupes sont éclatés, dirigés par des aventuriers formant de petits groupes armés, soutenus par des commerçants ou des intérêts divers, incluant Wagner, des gens de Dubaï, ou d'Arabie Saoudite. Ainsi se dessine le tableau du Darfour : des groupes mobiles dirigés par des chefs, essayant non pas de créer un État, mais de tirer profit de la situation. Ce n'est pas une guerre civile, car la population est victime, non engagée dans cette guerre, mais subissant les conséquences. Ces groupes ne cherchent pas à diriger un État, mais à gagner de l'argent sans se soucier de gouverner ou de gérer des ministères.

Aujourd’hui, quel est le sort aujourd'hui de la population civil du Darfour ?

La situation actuelle au Darfour varie selon les régions. Le Darfour, dont la superficie équivaut à la moitié de la France, est peu densément peuplé. Beaucoup de gens ont été déplacés, perdant tout, et reçoivent peu d'aide humanitaire, principalement en raison de l'absence de routes et de moyens de communication. De plus, les groupes armés s'approprient souvent les ressources humanitaires. Les habitants des villes et des campagnes sont affectés différemment. En ville, les maisons sont brûlées et pillées, avec des massacres parfois qualifiés de génocide, notamment contre les Massalites, qui sont pourchassés par les forces de soutien rapide et d'autres groupes armés désirant leurs terres. Dans les campagnes, les pillages sont courants, touchant les écoles, les marchés, les voitures, et les vélos, laissant les gens démunis. La géographie du Darfour complique la situation. C'est une région montagneuse avec des zones où les rebelles peuvent se cacher et résister, menant des attaques contre les villes contrôlées par les forces de soutien rapide. Certains groupes rebelles sont implantés dans les montagnes, tandis que d'autres cherchent à maintenir des accords historiques dans cette région, autrefois un royaume avec des sultans jusqu'en 1916. Le Darfour est un patchwork de peuples autonomes habitués à vivre ensemble. Les nomades et les paysans ont toujours eu une relation de complémentarité économique, les nomades échangeant du lait et du yaourt contre du grain et enrichissant les champs avec leurs animaux. La guerre a brisé cette harmonie locale. Les chefs locaux jouent un rôle crucial dans la stabilité ou l'instabilité des régions. Là où les chefs s'entendent, la paix peut prévaloir. Ailleurs, des conflits éclatent entre villages appartenant parfois aux mêmes groupes ethniques. L'armée officielle, stationnée à El Fasher, n'ose pas sortir, car ses membres viennent souvent d'ailleurs et ne connaissent pas les langues locales, bien que tous soient musulmans. Les enjeux économiques et les profits exacerbent les conflits. Des groupes armés, souvent financés par des commerçants ou des entités étrangères, cherchent à maximiser leurs gains. Les exactions sont parfois motivées par une haine raciale, alimentée par des discours racistes du gouvernement pour justifier les attaques. Cependant, cette haine n'est pas la cause initiale des conflits, qui sont plutôt enracinés dans la convoitise des terres et des ressources.

Historiquement, le Darfour a été un sultanat prospère, vivant du commerce et du trafic d'esclaves jusqu'à ce que les Européens détournent les routes commerciales africaines vers l'Atlantique. La colonisation a détruit des systèmes politiques et économiques anciens, entraînant appauvrissement et instabilité. Aujourd'hui, la situation reste volatile, avec des changements fréquents dans les alliances et les dynamiques de pouvoir, ce qui complique davantage la recherche de solutions durables et pacifiques.

Pourquoi la situation actuelle au Darfour ne suscite-t-elle pas la même émotion que dans les années 2000 ?

Dans les années 2000, l'initiative "We Are the World" a été relancée, évoquant des souvenirs de 1985 en Éthiopie, mais cette fois avec pour le Soudan avec l'implication d'Hollywood. Des personnalités comme George Clooney ont été impliquées. J'ai rencontré Ndeja Faro et Angelina Jolie, et il est apparu que certains comprenaient cette crise comme un conflit entre Blancs et Noirs, Chrétiens et Musulmans. Cependant, on n'a jamais vu de Chrétiens au Darfour, mais cette perception simpliste a également été appliquée à la guerre entre le Sud-Soudan et le Nord-Soudan. Cette guerre était perçue comme raciale et civilisationnelle, ce qui résonne fortement en Amérique, avec l'idée de Noirs contre Blancs. Pourtant, tout le monde au Soudan est Noir et Musulman. Ce malentendu, conscient pour certains, impliquait Israël qui était parti prenant, car l'idée de génocide rappelait la Shoah et était médiatiquement efficace. La situation a été exagérée avec des chiffres gonflés, alors que Médecins Sans Frontières (MSF) a essayé de rétablir la réalité des faits. Aujourd'hui, cette crise est moins médiatisée parce qu'elle n'est plus perçue comme ayant un intérêt stratégique pour les puissances occidentales. Le conflit au Soudan, autrefois localisé au Darfour, s'est étendu à l'ensemble du pays. Il ne s'agit plus d'une simple crise locale comme celles des Rohingyas ou des Ouïghours, mais d'une situation complexe et difficile à interpréter politiquement. En toile de fond, il y a une transition démocratique échouée. Les intellectuels et les corps constitués sont majoritairement dans la capitale, alors que le Darfour reste une région marginalisée. Les pays arabes, notamment l'Arabie Saoudite, sont réticents à voir émerger des démocraties à leurs frontières. Les pays occidentaux, comme la France, bien qu'ils aient les moyens d'intervenir, restent passifs, ce qui soulève des questions de responsabilité internationale. La situation actuelle démontre une incapacité à gérer des crises pourtant cruciales. La France, par exemple, qui a des troupes au Tchad, aurait pu intervenir pour protéger les populations. Cependant, l'inaction est problématique d'un point de vue juridique et humanitaire. Il est essentiel de comprendre que la solution ne réside pas dans des conflits ethniques ou religieux, mais dans le développement socio-économique. Un "Plan Marshall" pour le Darfour aurait été plus efficace que l'investissement dans l'armement. Les pays occidentaux doivent repenser leur approche, car leur incapacité à gérer de telles crises mine leur crédibilité et leur influence. Le conflit au Soudan illustre les conséquences de décennies de malentendus et de gestion inefficace des crises. L'Occident doit revoir ses stratégies et ses engagements, en mettant l'accent sur le développement durable et la résolution des problèmes de fond, plutôt que de se contenter d'interventions militaires ou humanitaires ponctuelles.

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