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"Vous avez voulu éviter la guerre au prix du déshonneur. Vous avez le déshonneur et vous aurez la guerre" : quand la perspective d'une guerre DES religions se nourrit de notre aveuglement sur la guerre d'UNE religion
©Wikipédia commons

Punition double

Les dirigeants occidentaux peinent à accorder au conflit qui agite l'Irak et la Syrie son caractère foncièrement religieux. Un déni qui pourrait conduire l'alliance anti-djihadistes à sombrer dans un véritable choc des civilisations, tel que théorisé par Samuel Huntington, et à se couvrir du déshonneur dont parlait Churchill en 1938.

Mohamed Chérif Ferjani

Mohamed Chérif Ferjani

Mohamed Chérif Ferjani est professeur à l'Université de Lyon et chercheur au GREMMO. Ses travaux portent notamment sur l’histoire des idées politiques et religieuses dans le monde musulman ainsi que sur les questions de la laïcité et des droits humains dans le monde arabe. Il a publié, entre autres, Le politique et le religieux dans le champ islamique (Fayard, Paris, 2005). Il est signataire de l’Appel à la communauté internationale pour sauver les chrétiens d'Irak.

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Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Nous avons beau ne pas vouloir d'ennemis, ce n'est pas cela qui empêche celui d'en face de décréter que vous êtes son ennemi, disait en substance le philosophe Julien Freund en 1965. L'Etat islamique a choisi d'être l'ennemi de l'Occident, mais les dirigeants de ce dernier rechignent à réfléchir aux raisons qui poussent les islamistes à nous considérer comme l'ennemi à abattre, souvent par crainte des "amalgames". L'argument "ce n'est pas l'islam" tombe assez facilement pour qualifier les actes commis au nom d'Allah, cependant c'est bien ce dernier qui sert de référence aux terroristes.

Atlantico : La confrontation avec l'EI fait ressortir chez les Occidentaux la crainte de participer à une guerre des religions. Nos dirigeants ne se pressent pas pour reconnaître que la guerre de religion interne à l'islam constitue l'un des paramètres de la situation actuelle au Moyen-Orient. Pourquoi ce refus de reconnaître le caractère religieux de la guerre ?

Alexandre del Valle : Comme je m’évertue à l’expliquer depuis des années, le totalitarisme islamiste, qui n’est pas un simple intégrisme appelé à s’apaiser avec le temps, mais un système théocratique conquérant fondé sur la violence et l’idée de soumission de l’Humanité à l’ordre califal chariatique universel, ne pourra jamais être combattu efficacement ni chez nous ni dans le monde musulman tant que l’on aura pas compris qu’il est une « maladie de l’islam », une tumeur qui est en train hélas de contaminer toute une partie de l’islam, une folie qui est en train de rendre hystérique des pays de plus en plus dangereux comme le Pakistan, les pays du Golfe, l’Afrique sahélienne-saharienne, etc. Ainsi que l’on tous reconnu tous les grands intellectuels musulmans comme Abdelwahhab Medeb, Mohamed Charfi, Ghaleb et Souheib Bencheikh et avant eux Mahmoud Taha ; Abdel Razeq et tant d’autres, l’islamisme ainsi défini ne vient pas de « nulle part », mais il est le fruit d’une idéologie politico-religieuse totalitaire légitimée et codifiée juridiquement dans ce qu’on appelle « l’islam orthodoxe » chariatique sunnite, hélas jamais réformé depuis le X ème siècle. Or étant donné que le Coran est considéré par cette vision orthodoxe comme non pas œuvre humaine d’inspiration divine (au contraire de la Bible ou les Evangiles) mais comme un « miracle divin » permanent, le Verbe même de Dieu, parfait, donc ininterprétable, dont les sourates dites « médinoises », plus violentes et sources du jihadisme, sont réputées plus parfaites et « abrogeant » les sourates moins violentes dites « méquoises », cela signifie que l’islamisme jihadiste pourra toujours continuer à séduire des masses et se présenter comme « orthodoxe » tant que tout ce corpus juridico-canonique viral continuera à être enseigné et sacralisé dans les grandes universités de l’islam sunnite, à commencer par Al Azhar (Egypte) et l’Arabie saoudite.

Ce n’est pas vous ou moi qui affirmez que l’islamisme est en guerre non pas contre l’Occident ou une religion en particulier, mais avec les musulmans libres dans leur ensemble et tout le reste du monde jugé « mécréant », mais c’est le président égyptien éclairé Al Sissi qui l’a dit haut et fort début janvier 2015 de façon solennelle devant les grands Imams d’Al Azhar… 

De ce point de vue, on ne peut pas dire qu’il y a un risque de « guerre des religions » aujourd’hui, mais une guerre decette religion dans sa frange non-réformée ultra-orthodoxe contre toutes les autres religions mais aussi contre les non-musulmans croyants ou pas, contre les « mauvais musulmans », les « associateurs », les « apostats », etc. Or le fait que le mal totalitaire islamiste soit une « maladie de l’islam » (titre d’un ouvrage du défunt Medeb) sunnite orthodoxe toujours enseigné officiellement en Saoudie, met très mal à l’aise nos dirigeants complexés identitairement et « tenus » par ces pays pétroliers. Ils savent que s’ils veulent vraiment nommer les choses et combattre le mal à la racine, ils devront entrer en guerre contre leurs alliés et clients-fournisseurs du Golfe. Ils ne peuvent donc pas nommer le Mal totalitaire vert pour trois raisons : Premièrement, économique, car leurs alliés pétroliers sont les propagateurs et financiers de ce projet totalitaire. Deuxièmement psychologique : ils sont complexés et ils ont peur d’apparaître « islamophobes » s’ils établissent un lien entre islam officiel (saoudien, qatari, pakistanais, turc, etc) et islamisme radical. Ils sont piégés par le fait que la menace politico-terroriste qu’ils voudraient combattre se drape des habits intouchables du religieux… et du « droit à la différence » encouragé par notre multicultiralisme de principe et notre « xénophilie » post-coloniale. Troisièmement, clientéliste : dans nos démocraties multiculturelles en proie à une immigration de plus en plus incontrôlée où règne la tyrannie des minorités, nos (souvent, pas toujours) (ir)responsables politiques doivent faire des professions de foi islamiquement correctes et pactiser avec des organisations islamistes pour courtiser le vote musulman » et pacifier les zones de non droit où la seule autorité respectée est, avec la violence pure, l’islamisme en barbe.

Mohamed Chérif Ferjani : La question de départ est tendancieuse à mon sens ! Elle donne l’impression qu’il y a d’un côté un Occident pacifiste qui ne veut pas avoir d’ennemi et, en face un ennemi qui veut l’abattre ! C’est précisément le point central de la thèse de S. Huntington et des adeptes de la « guerre des cultures » et du « clash des civilisations  que ce soit dans les pays occidentaux que dans les pays musulmans ou ailleurs. Il y a « nous qui sommes gentils, bons, voire  naïvement  pacifistes », et les autres, ici les islamistes, qui sont méchants et qui nous considèrent « comme l’ennemi à abattre ». Ce serait une erreur de  considérer que les terroristes ne sont pas assimilables à l’islam au sens d’en être l’unique expression ! Certes, les terroristes de DAECH, d’Al-Qâ’ida, d’Ançâr al-sharî’a et d’autres groupes jihadistes sont musulmans et ce serait commettre la même erreur qu’eux que de les excommunier, de reproduire leur logique d’anathème en considérant qu’ils ne sont pas musulmans et que ce qu’ils font est complètement étranger à la religion dont ils se réclament et qu’ils partagent avec d’autres qui refusent leur interprétation et condamnent leur attitude. Cependant, il est très important de ne pas faire d’amalgame et de ne pas considérer que tous les musulmans sont responsables de ce que font les jihadistes. C’est comme si on prenait prétexte des agissements des fanatiques de telle ou telle religion pour condamner l’ensemble de ses adeptes, ou pour considérer que tous les « occidentaux » sont responsables des crimes de l’esclavage, du colonialisme, du nazisme, du fascisme et des guerres menées au nom de l’Occident. C’est précisément ce que disent les jihadistes pour justifier les enlèvements d’occidentaux et les attentats criminels qui frappent aveuglément des cibles rien que parce qu’elles sont occidentales. Par ailleurs, la vision manichéenne à la base de cette façon de voir oublie les connivences entre des puissances comme les Etats-Unis et certains pays européens avec ces expressions de l’islam qu’ils avaient armées, entretenues et utilisées contre l’URSS, l’ennemi de l’Est et contre leurs propres peuples avant qu’ils ne se retournent contre eux, et même après et jusqu’à nos jours, selon les situations et les enjeux. Donc, s’il est faux de dire que les jihadistes ne sont pas des musulmans et que ce qu’ils font n’a rien à voir avec l’islam, il serait faux et dangereux de persister dans les amalgames qui constituent le fond de commerce de l’islamophobie et de tous les racismes, ceux qui se justifient au nom de l’islam comme ceux qui se justifient au nom du christianisme, de l’Occident et de toute autre référent racialiste, sexiste, culturel ou religieux.

Quant à reconnaître le caractère religieux du conflit, comment voulez-vous que les Occidentaux reconnaissent un phénomène sur lequel ils se sont appuyés et s’appuient encore pour entretenir les conflits et déstabiliser des régimes, non pas parce qu’ils étaient et sont peu respectueux des droits humains, ce qui est incontestable ; mais parce qu’ils gênent leur stratégie de domination et leurs intérêts et ceux de leurs alliés. Si c’était pour la démocratie, la liberté et les droits humains comme ils le prétendent, ils n’auraient pas les relations qu’ils ont encore et depuis longtemps avec l’Arabie Saoudite, le Qatar et les autres monarchies rétrogrades. Ceci étant, pour bien comprendre l’évolution des conflits dans la région, il est important de tenir compte de l’opposition entre chiites et sunnites. Elle fut utilisée d’abord contre l’Iran, son allié syrien et le Hizbollah libanais, pour soutenir Saddam Hussein dans sa guerre contre l’Iran, puis contre ce même Saddam Hussein pour installer, une fois celui-ci éliminé,  un gouvernement chiite proaméricain à Baghdad. Cependant, cette opposition  s’est trop vite retournée contre les américains et leurs alliés : Les monarchies sunnites de la presqu’île arabique et la Turquie, ont soutenu, chacune à sa façon DAECH, Jabhat Al-Nuçra au Liban et en Syrie, pour contrer l’axe shiite reliant la République Islamique d’Iran, ce qui reste du régime syrien et le Hizbollah libanais, avec la complicité discrète et obligée du gouvernement de Maliki à Baghdad soutenu à la fois par les Etats-Unis et l’Iran. Maintenant que DAECH est allé trop loin dans sa folie et sa fuite en avant qui l’a amené à se couper de ses soutiens sunnites des monarchies arabes et de la Turquie, soutiens découragés par les pressions des Etats-Unis et des puissances européennes, nous assistons à l’émergence de nouvelles alliances sur fond d’affinités confessionnelles. Face à la peur de « l’axe chiite », devenu un vecteur de la stratégie russe pour peser dans la région, les Etats-Unis sont en passe de réussir le rapprochement entre l’Arabie Saoudite, le Qatar, la Turquie et l’Organisation mondiale des Frères musulmans, réintroduite dans le cadre de cette alliance pour aider  à mobiliser contre DAECH, le Front Al-Nuçra en Syrie et au Liban et les autres groupes jihadistes. Ce plan se heurte, pour l’instant, à l’hostilité de l’Egypte du Maréchal Sissi qui n’admet pas la réintroduction des Frères musulmans qu’il avait réussi à mettre hors jeu en jouant sur les contradictions entre l’Arabie Saoudite et le Qatar. Comme on le voit, les Etats-Unis et leurs alliés ne sont pas étrangers à la confessionnalisation des conflits ; c’est ce qui peut expliquer, entre autres, le « refus de reconnaître le caractère religieux de la guerre » qui n’est en fait qu’un aspect de leur stratégie basée sur l’entretien des conflits dans la région et ailleurs.

Quel tort ce refus de nommer et de comprendre l'ennemi cause-t-il aux pays occidentaux, qui engagent leurs avions et leurs formateurs militaires en Irak et en Syrie ?

Alexandre del Valle : Le tort principal est que depuis des années, nous luttons contre des essaims d’abeilles et de frelons en détruisant tout ce qu’ils vont butiner sans jamais frapper leur nid… Les bombardements de l’Afghanistan, de l’Irak, de la Libye, du Mali, ou autres interventions en Somalie, Niger, Somalie, Yémen, Pakistan, avec des avions ou des drônes, n’ont fait que massacrer des civils de plus en plus fanatisés contre nous sans jamais frapper le nid totalitaire qu’est l’Arabie Saoudite et ses pays-frères….

Le tort est que nous avons grosso modo surtout renversé les régimes qui combattaient l’idéologie salafiste, qu’il s’agisse de l’Irak, de la Libye ou de la Syrie de Bachar al Assad, contre qui les Américains arment - depuis le début de la guerre civile syrienne - les rebelles sunnites islamistes « modérés » de l’ALS ou de Hazem qui, eux-mêmes, vendent leurs armes occidentales à Da’ech… Plus encore que du tort, c’est du n’importe quoi !

Et le comble est que la grande Coalition anti-Da’ech mise sur pied par l’Administration américaine depuis l’automne 2014 est composée de toutes les monarchies totalitaires, moyennageuses et esclavagistes du Golfe… De la même manière, les Etats-Unis et les Occidentaux en général considèrent toujours la Turquie néo-ottomane de l’islamiste-sultan Erdogan - grand pays membre de l’OTAN - comme un « allié », alors que c’est Ankara qui, avec l’Arabie saoudite, le Qatar et le Koweït (que nous avons secouru en 1990), a le plus aidé objectivement l’Etat islamique et la quasi totalité des groupes jihadistes agissant en Syrie : soit à travers des bases-arrières mises à disposition en Turquie, des livraisons d’armes, des laisser-passer, soit en refusant de laisser les Kurdes de Turquie aller combattre Da’ech en Syrie…   En termes clairs, on nous fait croire que l’on combat une menace, l’islamisme totalitaire et terroriste, avec, parmi nos alliés, les propagateurs, financiers et soutiens de celle même menace… Avec des amis comme ceux là, nous n’avons plus besoin d’ennemis !

Mohamed Chérif Ferjani : Cette question procède de la même logique qui fonde l’identité des pays occidentaux sur l’existence d’un ennemi qui leur serait opposé : Le premier ennemi des jihadistes ce sont d’abord leurs coreligionnaires qui ne partagent pas la même conception de l’islam qu’eux ; et les pires ennemis des peuples occidentaux ce sont les puissances occidentales qui, à peine sorties du bourbier des guerres coloniales avant et après les deux Grandes Guerres, les avaient engagés dans de nouvelles aventures à l’instar de celles dont elles ont de la peine à sortir comme en Irak, en Afghanistan, en Libye et ailleurs. Il faut se demander pourquoi ces aventures ont été menées :  Etait-ce pour la démocratie, les droits humains ou même pour les intérêts légitimes de leurs propres populations ? Ou était-ce pour d’autres objectifs inavoués et inavouables, objectifs qui expliquent les relations qui se font, se défont et se refont sans cesse, de façon  inavouée, avec les Talibans, Ben Laden, l’Arabie Saoudite, les Emirats du Golfe, la Turquie, les Frères musulmans, mais aussi hier comme aujourd’hui avec les dictatures militaires corrompues avant et après les soulèvements qui ont balayé une partie d’entre elles. C’est ce continuum entre les puissances occidentales et les intérêts inavoués et inavouables qui les commandent, d’un côté, les groupes jihadistes et leurs protecteurs, de l’autre, qui rend difficile de « nommer et comprendre l’ennemi » ! Engager des avions en Irak et en Syrie ou ailleurs est une façon d’essayer de limiter les dégâts consécutifs aux erreurs politiques et militaires commises dans une région qui reste stratégique à plus d’un titre !

L'Etat islamique ne se prive pas de son côté pour capitaliser sur la haine des "croisés", c’est-à-dire des occidentaux chrétiens. Si nous n'y prenons pas garde, nous risquons de nous retrouver de facto dans une guerre des religions, entre un occident chrétien et un monde musulman dont l'EI se présenterait (et le fait déjà) comme le porte-étendard. Quelle est l'importance et l'imminence de ce risque ?

Alexandre del Valle : Je ne pense pas car cela fait belle lurette que l’Occicent est bien plus « post-chrétien », voire apostat (comme l’a déploré Benoist XVI) que chrétien. Selon moi, l’Occident n’a plus grand chose de chrétien : il n’est plus animé par les valeurs et l’identité chrétienne, que l’Union européenne a reniées et que les Etats-Unis ont dévoyées et trahies (notamment en les mélangeant au culte du dollar et en jouant la carre des islamistes contre la Russie et ses alliés de la guerre froide à nos jours).

Pris au piège de ses valeurs abstraites droitdelhommistes et multiculturalistes-xénophiles qui lui font préférer les identités des autres à la sienne propre, l’Occident désenchanté et irreligieux, surtout la Vieille Europe culpabilisée et honteuse de son passé « croisé », est tout sauf chrétien du point de vue identitaire et politique.

Les deux termes de l’antagonisme, je le répète, ne sont donc pas l’Occident versus le monde musulman, mais entre l’islam radicalisé totalitaire et le reste de l’Humanité. N’oublions pas que dans la Tradition islamique orthodoxe que citent rigoureusement les salafistes jihadistes, il est enseigné à longueur de temps que « le monde de l’impiété est une seule nation » (« Millatun Kufru Wahida »). Les islamistes ne s’y trompent pas d’ailleurs, qu’il s ‘agisse des « modérés » à la frères-musulmans ou à la Erdogan, ou de leurs concurrents radicaux à la Da’ech, car ils perçoivent l’Occident comme un monde non-religieux, polythéiste, idôlâtre ou athée, ce qui le met au même niveau d’impureté et d’infamie que l’Inde hindouïste polythéiste, l’Asie bouddiste-confucéenne-shintoïste-taoïste tout aussi polythéiste ou (pire encore) communiste, sans oublier l’Afrique-noire chrétienne-animiste, tout aussi « païenne » et barbare-ignorante (Jahiliyya).

Quant aux « croisés », l’Occident à tort de les renier et de s’excuser en permanence à leur sujet en croyant ainsi « calmer la colère » des islamistes qui crient vengeance, car les islamistes ne croient pas un seul instant à ce prétexte du Jihad, ils ne sont pas « traumatisés » par l’esprit guerrier-colonial des croisades, puisqu’ils sont eux-mêmes, comme la plupart des dirigeants musulmans actuel, très fiers des Califats passés, de l’Andalousie islamique, des pirateries barbaresques ou de la prise de Constantinople par les Ottmans glorifiée chaque année par Erdogan. Dans les pays musulmans, aucun dirigeant n’a jamais été culpabilsé ni ne s’est jamais excusé d’avoir razzié Rome, envahi l’Espagne et la Sicile, attaqué l’empire romain d’orient ou la Perse bien avant les Croisades. Et ils ont raison car la repentance ne sert qu’à provoquer la haine de soi collective et ne fait pas revivre les morts.

Pour les islamistes, assoiffés de conquêtes pour la conquête, de domination pour la domination, de haine pour la haine, la dénonciation permanente des « croisés » est surtout une rhétorique de mobilisation destinées aux masses frustrées identitairement, un prétexte oratoire et idéologique servant à justifier-légitimer a priori leur propre impérialisme prédateur totalement décomplexé.

Je ne prône donc pas du tout un « contre-jihad », une nouvelle croisade (même si les croisades européennes furent essentiellement défensives, sauf le sac de Constantinople), une hypothétique guerre des religion, un « clash de civilisation », puisque je suis par principe opposé aux interventions militaires extérieurs non liées à la défense de nos intérêts propres. Mais j’affirme que nous devons assumer positivement notre héritage, ne pas juger le passé qui est le nôtre avec les yeux démocratiques du présent, et cesser de donner des excuses aux barbares en parlant de coisades, de colonisation ou d’apartheid... Lorsque nos élites font cela, ils envoient à des prédateurs qui méprisent par dessus tout la faiblesse et qui sont experts pour repérer les moindres failles chez l’adversaire, un message de vulnérabilité psychologique et de renoncement qui ne peut que les inciter à frapper, culpabiliser, diaboliser et exiger plus encore…

Mohamed Chérif Ferjani : Les dirigeants de « l’Etat Islamique d’Irak et de Syrie », comme ceux des autres mouvements islamistes, sont des partisans du clash des civilisations et de la guerre des religions autant que Huntington et les adeptes de sa théorie partout dans le monde. La seule différence c’est que là où les uns voient le mal, d’autres voient le bien et inversement ! Ce qui favorise une telle évolution des conflits c’est la volonté partagée par les groupes islamistes et par beaucoup de dirigeants en Europe et en Amérique du Nord de faire passer les intérêts mercantiles et de pouvoir pour des valeurs culturelles et religieuses dont ils se proclament les gardiens et les promoteurs. Ne pas rappeler les véritables enjeux des conflits au Moyen Orient et dans le reste du monde, faire le jeu des amalgames entre ceux qui tirent les ficelles de ces conflits et ceux dont ils se disent les porte-parole, en considérant les uns comme les représentants de « l’Occident » et les autres comme les représentants de « l’islam », ne peut que favoriser l’embrasement non seulement des guerres de religions mais aussi des purifications tribales, ethniques et, à terme, « la guerre de tous contre tous ».

“Vous avez voulu éviter la guerre au prix du déshonneur. Vous avez le déshonneur et vous aurez la guerre", avait déclaré Winston Churchill. Dans le conflit d'aujourd'hui, comment éviter le déshonneur ? Est-il trop tard ?

Alexandre del Valle : Il n’est jamais trop tard tant que nous ne sommes pas tous morts ! Je l’explique dans mon livre sur « Le complexe occidental, petit traité de déculpabilisation ». Je propose donc depuis des années à nos élites de prendre acte du changement du paradigme géopolitique de l’après guerre froide : l’ennemi principal désigné ne doit plus être la Russie, qui n’est d’ailleurs plus soviétique et qui fut la première victime de l’URSS en tant que nation morcelée et martyrisée. Notre ennemi principal est celui que ne cache même pas qu’il veut envahir l’Europe et conquérir puis écraser l’Occident.

Nous devons cesser de vouloir exporter nos valeurs universelles partout à coups de bombardements contre-productifs ou de « révolutions de couleurs » qui nous mettent à dos toutes les nations du nouveau monde multipolaire jalouses de leur identité et de leur souveraineté, que « Mac World » veut détruire pour étendre son marché consumériste. Nous devons d’abord nous occuper de nos propres frontières non maîtrisées, poreuses, ouvertes à tous les vents, avant de défendre celles du Koweït ou de l’Ukraine...

Nous devons défendre nos valeurs démocratiques sur notre sol fragilisé avant de les exporter partout et de braquer les autres peuples contre l’Occident qui n’a jamais été autant détesté. Nous pouvons très bien rendre nos sociétés imperméables au prosélytisme islamiste totalitaire, mais pour cela, il faut appliquer sans complexe et sans exceptions nos lois, défendre notre mode de vie, interdire la propagande islamiste  à la source, sommer les Etats islamiques « alliés » d’arrêter de nous prendre pour des idiots en jouant toujours un double jeu ; refuser l’entrée de la Turquie dans l’Europe, « cheval de Troie islamiste » qui a désormais tombé les masques ; faire sortir ce pays de l’OTAN et réformer de fond en comble cette puissante structure de défense collective occidentale afin qu’elle ne soit plus tournée contre les Russes et leurs alliés mais contre nos vrais ennemis… Enfin, il ne faut jamais oublier que le début de l’esprit munichois dénoncé et moqué par le grand homme d’Etat Churchill consiste d’abord à se renier soi-même en croyant que l’Autre vous estimera plus ainsi…

Mohamed Chérif Ferjani : Dans les guerres qui nous menacent tous, au Nord comme au Sud, en Orient comme en Occident, le déshonneur est dans les mensonges au nom desquels elles sont menées d’un côté comme de l’autre : De quel honneur peuvent se prévaloir ceux qui ont détruit un pays comme l’Irak pour se retirer à temps avant de le livrer lâchement à des hordes sauvages qui massacrent ses populations, instaurent un régime de barbarie, détruisent les trésors du patrimoine de l’humanité ? De quel honneur peuvent se réclamer ceux qui interviennent pour précipiter dans le chaos des pays et qui se retirent honteusement pour éviter d’en subir les conséquences laissant des populations sans défense face au déchainement de la haine la plus meurtrière ? Je crois qu’il serait plus juste de parler du déshonneur des guerres de rapine et pour des objectifs inavoués que du déshonneur de fuir la guerre !

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