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Comme aux Etats-Unis, les conséquences économiques de la crise sanitaire et le poids de l'inflation pourraient entraîner une baisse des salaires.
Comme aux Etats-Unis, les conséquences économiques de la crise sanitaire et le poids de l'inflation pourraient entraîner une baisse des salaires.
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Situation inquiétante ?

La crise sanitaire a bouleversé l'économie et perturbé les habitudes de consommation. L'inflation et les difficultés économiques pourraient conduire à une baisse des salaires.

Etienne Wasmer

Etienne Wasmer

Etienne Wasmer est professeur des universités à New York Université à Abou Dhabi et à Sciences Po Paris (en disponibilité) où il a co-fondé le LIEPP (Laboratoire Interdisciplinaire d’Evaluation des Politiques Publiques) avec Cornelia Woll (actuelle Présidente de la Hertie School of Public Affairs à Berlin). Dernier ouvrage à paraître (janvier 2021) : Le Grand retour de la terre dans les patrimoines ; et pourquoi c’est une bonne nouvelle, chez Odile Jacob, avec Alain Trannoy.

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Atlantico : Vous considérez que le Covid-19 a les traits d’un choc négatif durable de productivité. Quelles sont les caractéristiques de la crise qui vous permettent de l’identifier comme tel ?

Etienne Wasmer : Il ne faut pas aller aussi vite, mais il y a des signes. D’abord, la maladie étant là de façon durable, ce sont autant de jours de congés-maladie en plus. En 2020, une étude dont les chiffres restent à corroborer avec des sources officielles (baromètre de Gras Savoye Willis Towers Watson), le taux d’absentéisme avait augmenté de 4.2 à 5% soit une hausse de 20%, et cela avait concerné un tiers des salariés. Selon une autre étude de Malakoff Humanis, cette proportion est montée à 38%, dont 40% deux fois et des durées qui s’allongent, et 12% étaient liés au Covid contre 6% en 2020. Les données de la Sécurité Sociale confirmeront cela mais c’est ce qu’on appelle un choc d’offre. Ensuite, la pénibilité liée au risque de contracter la maladie dans les bureaux, dans les transports en commun, le port du masque, tout cela réduit l’offre de travail et explique à la fois les demandes de hausses de salaire (un accord vient de revaloriser les salaires de 16% dans l’hôtellerie-restauration) et les pénuries d’emploi. La mise en place initiale du chômage partiel, très généreux et fortement financé, a réduit l’offre de travail. Heureusement le télétravail a pris le relai et le génie humain – l’adaptabilité, la recherche scientifique et médicale – ont permis d’atténuer très largement les conséquences les plus importantes ; reste le moral des troupes. Télétravailler, ne plus pouvoir sortir et faire la fête, surtout pour les jeunes et notamment les étudiants, on le voit bien dans nos universités, va conduire à des risques psycho-sociaux importants qui seront eux aussi durables. Donc, oui la dynamique de productivité rapportée à la population en âge de travailler n’est pas bonne. Tout dépendra de la façon dont les évolutions technologiques porteront la reprise et si nous sommes suffisamment solidaires.

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Enfin, on observe de profonds changements des habitudes de consommation, et certains secteurs ne s’en remettront pas complètement, ce qui nécessitera de relancer la mobilité professionnelle, les formations de reconversion et d’aider à la mobilité géographique. Nous avions abordé ces thèmes avec notamment Jean-Benoît Eyméoud).  

Face à ce constat, doit-on se préparer à une baisse des salaires post-covid ? Si oui de quelle ampleur ?

La situation à terme en France n’est pas encore lisible en raison des plans d’aides aux entreprises, on ne sait pas ce qui se passera lorsqu’ils s’éteindront. On peut regarder ce qui se passe aux États-Unis. Le salaire y a baissé puis a stagné en nominal, en rompant une tendance haussière depuis 2010, puis a fortiori corrigé de l’inflation, où il a baissé nettement avec le retour d’une inflation jamais vue depuis des décennies. Il y a des raisons liées au prix de l’énergie, mais le bouclage prix salaires qui se met en place est inquiétant. Dans le long terme, le meilleur indicateur de la productivité du travail étant le salaire réel, on peut se dire que si ces chiffres se prolongent dans le temps, c’est que le choc négatif est là. La séquence des évènements, les historiens économiques nous le diront, aura été un choc d’offre massif traité avec une politique de demande. Si le choc négatif se prolonge et la politique de demande aussi, cela ne peut que conduire à l’inflation. Elle est là dans la zone Euro, et elle arrivera inévitablement en France. Il va falloir trouver des relais de productivité, sur fond de tensions sociales et politiques internes aux États-Unis, mais qu’on voit aussi en Europe et en France notamment. Au début, au printemps 2020 aux États-Unis, le télétravail a limité la casse dans les secteurs qui ont pu s’en emparer. Depuis septembre 2020, en revanche, l’intensité de l’usage du télétravail n’est plus corrélée aux pertes ou aux gains d’emploi, il faut d’autres pistes.

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Dans quelle mesure faut-il s’inquiéter de la situation économique post-covid, en particulier sur la thématique de l’emploi ?

Avant de paniquer, il faut souligner l’extraordinaire résilience des économies occidentales, qui ont vu le PIB se contracter de 25 à 30% en un trimestre au début de la pandémie et qui ont rebondi de façon spectaculaire. Ce, grâce à des mesures d’accompagnements énergiques qui ont limité les faillites et la perte de confiance. La question du second tour est là : que va-t-il se passer lorsque les plans d’aide massifs s’éteindront, y-a-t-il des entreprises ‘zombies’ qu’on soutient à bout de bras, quel est l’avenir de l’économie du tourisme, du loisir dans un monde de covid endémique, si l’inflation s’installe, une politique de taux d’intérêt en remontée ne risque-t-elle pas de rendre les dettes publiques insoutenables ? Il va falloir être imaginatif. Mais nous ne manquons pas d’atout : la richesse nationale (collective) n’a jamais été aussi élevée, et pas uniquement à cause des taux bas qui font mécaniquement progresser les portefeuilles financiers. C’est aussi grâce à au foncier et l’immobilier, du fait que la France est un pays bien géré, avec un modèle social qui finance et la santé et l’éducation, et donc qui reste attractif, ce qui est capitalisé dans la richesse foncière et immobilière. C’est un atout qu’on ne soupçonne pas.

Etienne Wasmer est professeur des universités à New York Université à Abou Dhabi et à Sciences Po Paris (en disponibilité) où il a co-fondé le LIEPP (Laboratoire Interdisciplinaire d’Evaluation des Politiques Publiques) avec Cornelia Woll (actuelle Présidente de la Hertie School of Public Affairs à Berlin). Dernier ouvrage à paraître (janvier 2021) : Le Grand retour de la terre dans les patrimoines ; et pourquoi c’est une bonne nouvelle, chez Odile Jacob, avec Alain Trannoy

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