Vers un Yuan convertible : la Chine part en guerre contre l'hégémonie du dollar <!-- --> | Atlantico.fr
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La Chine part en guerre contre l’hégémonie du dollar.
La Chine part en guerre contre l’hégémonie du dollar.
©Reuters

Le changement

Des proches du Premier ministre chinois Li Keqiang ont laissé filtrer que la nouvelle zone de libre-échange de Shanghai autoriserait une plus libre convertibilité du Yuan. Une potentielle révolution dans l'économie mondiale.

Antoine Brunet

Antoine Brunet

Antoine Brunet est économiste et président d’AB Marchés.

Il est l'auteur de La visée hégémonique de la Chine (avec Jean-Paul Guichard, L’Harmattan, 2011).

 

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Récemment, Pékin a annoncé qu’il allait autoriser, dans une région incluant la ville de Shanghai, une expérience y autorisant les entreprises et les banques, chinoises ou étrangères, à convertir librement des devises en yuans et des yuans en devises. Et ce non seulement pour leurs opérations commerciales avec l’étranger mais aussi pour toutes leurs opérations financières. Cela constitue un pas considérable en direction de la pleine convertibilité du yuan.

Pour comprendre ce qui se passe, il faut répondre successivement à deux questions.

Pourquoi Pékin a-t-il maintenu le yuan inconvertible jusqu’à ce jour ?

Depuis qu’en 1978, Pékin a abandonné le collectivisme pour revenir au capitalisme, il a opté avec succès pour une stratégie de développement mercantiliste. En clair, Pékin s’est employé à dynamiser fortement et durablement ses exportations de produits manufacturés tout en limitant le plus possible ses importations ; grâce à cela, Pékin a obtenu des excédents commerciaux colossaux et renouvelés. Cela a contribué à la fois à une formidable dynamisation de la production et de l’emploi et à la constitution de réserves de change colossales et croissantes. Succès multidimensionnel : industriel, commercial, économique et financier.

Mais si Pékin a pu renouveler de tels succès depuis 1978 et plus encore depuis 2001 (et son entrée à l’OMC), c’est parce qu’il s’est protégé. En effet, la rançon habituelle pour un pays qui marque des scores favorables en matière de commerce extérieur, c’est que sa monnaie subit de fortes pressions haussières sur le marché des changes. Si le pays considéré ne parvient pas à contrecarrer ces pressions haussières sur sa monnaie, sa monnaie s’apprécie, sa compétitivité initiale se résorbe, et in fine, son commerce extérieur risque de devenir déficitaire.

C’est pour cette raison que les pays mercantilistes se donnent les moyens de résister à cette « rançon du succès » en matière commerciale. Le plus souvent, ils décident de pratiquer des interventions de change : la banque centrale du pays se charge de vendre sa monnaie nationale contre devises pour équilibrer les achats de sa monnaie par les opérateurs étrangers.

La Chine a pratiqué à très grande échelle de telles interventions depuis 1978 et plus encore depuis 2001. C’est d’ailleurs le cumul de toutes ces opérations quotidiennes qui a constitué des réserves de change colossales au nom de la Chine : 3.000 milliards de dollars américains officiellement, 5.000 milliards en réalité (si on ajoute les réserves de Hong Kong à celles de la République populaire de Chine et si on tient compte des réserves stockées dans les Sovereign Wealth Funds à côté de celles qui sont stockées dans les banques centrales).

Encore ce gonflement énorme des réserves de change de la Chine a-t-il été fortement limité par l’inconvertibilité du yuan qui prévaut en Chine depuis 1949 : les opérations financières qui ne sont pas expressément autorisées y sont interdites. En clair, Pékin laisse entrer en Chine les flux de capitaux étrangers qui correspondent aux investissements des multinationales occidentales en joint-ventures (opérations que Pékin autorise et qu’il recherche) ; mais Pékin interdit les flux de capitaux étrangers qui correspondraient à de simples placements financiers en yuan (particulièrement ceux cherchant à spéculer sur une appréciation du yuan).

Si le yuan avait été rendu très tôt convertible, on aurait sans doute eu à la fois une appréciation beaucoup plus importante du yuan contre dollar et contre euro et un gonflement encore plus important des réserves de change de la Chine, toutes choses que Pékin redoutait et refusait.

Pourquoi Pékin choisit-il désormais de rendre prochainement le yuan convertible ?

Essentiellement parce que depuis 2005 et plus nettement encore depuis 2008, Pékin multiplie les initiatives pour détrôner le dollar de son statut privilégié de monnaie du monde en sorte que ce soit sa monnaie, le yuan, qui à son tour devienne la monnaie du monde.

La Chine a déjà dépassé les Etats-Unis sur le plan industriel (1er rang pour la production manufacturière depuis 2010), sur le plan commercial (1er rang pour les exportations de produits manufacturés, avec 15,4% des exportations mondiales de produits manufacturés en 2011), sur le plan économique (le PIB officiel de la Chine en 2012 est encore inférieur de 20% à celui des Etats-Unis mais son PIB bien calculé dépasse déjà sans doute celui des Etats-Unis) et sur le plan financier (avec ses réserves de change colossales, la Chine est désormais devenue la puissance financière incontournable de la planète).

Dans sa stratégie qui vise à ravir aux Etats-Unis leur hégémonie mondiale, Pékin s’est assigné de longue date de dépasser les Etats-Unis y compris sur le plan monétaire. En clair Pékin s’efforce à ce que le yuan ravisse au dollar son statut privilégié de monnaie du monde. Quel est l’enjeu ? Muni de sa puissance financière, Pékin marque déjà beaucoup de points face à Washington.

C’est Pékin et non plus le FMI ou encore moins Washington qui se trouve désormais sollicité par les gouvernements des pays étrangers quand ils se trouvent en difficulté pour financer leur dette publique et/ou leur dette extérieure ; c’est donc Pékin et non plus Washington qui se trouve en situation de vassaliser les pays de la planète les plus affaiblis. Cela s’était déjà vérifié en 2011 quand Pékin s’était fait prier pour accorder des financements aux pays de l’Europe du sud en détresse. Cela se vérifie aujourd’hui avec la création à l’initiative de Pékin d’un fonds de solidarité financière pour 100 milliards $ en faveur des BRICS (la Chine contribuant à ce fonds à hauteur de 44 milliards $ à elle seule).

De la même façon, Pékin peut se permettre des budgets militaires qui restent très dynamiques et très ambitieux du fait qu’il dispose de réserves de change colossales et croissantes alors même que Washington, enfoncé dans une dette extérieure qui devient vertigineuse, s’est vu obligé de réduire son budget militaire en 2012/2013.

A travers ces deux exemples, on mesure déjà comment, pour s’être assuré la suprématie financière, Pékin bénéficie d’une dynamique géopolitique très favorable. Mais si à sa suprématie financière, Pékin ajoutait maintenant une suprématie monétaire, la dynamique géopolitique évoluerait plus nettement encore en sa faveur.

On oublie trop facilement le privilège dont bénéficient les Etats-Unis, celui d’émettre la monnaie du monde, la monnaie dans laquelle sont facturées et réglées les matières premières qui sont exportées sur la planète, la monnaie que les banques centrales des pays tiers acceptent d’accumuler, en bonne part parce qu’elle constitue un bon d’achat sur les matières premières.

C’est en recourant à ce privilège que les Etats-Unis ont par exemple pu financer sans ambages la guerre des étoiles (qui leur permit de défaire l’URSS) : entre 1980 et 1989, Washington n’eut pas besoin de recourir à une augmentation de la pression fiscale ; les dollars nécessaires furent émis par le système bancaire américain et les banques centrales étrangères s’empressèrent d’accumuler dans leurs caisses, ceux des dollars qui aboutissaient à l’extérieur des Etats-Unis. Washington put ainsi financer sa course aux armements sans douleur fiscale.

Et c’est à nouveau grâce à ce privilège que depuis 2008, les Etats-Unis ont pu solliciter massivement leur planche à billets de la Federal Reserve pour financer leurs énormes déficits budgétaires.

On constate ainsi les multiples avantages que les Etats-Unis retirent du statut privilégié du dollar. Cela n’échappe pas à la vigilance de Pékin. Très logiquement, dans la confrontation croissante qu’il impose aux Etats-Unis, Pékin est bien décidé à enlever aux Etats-Unis leur privilège monétaire pour se l’attribuer.

Depuis 2005 et plus encore depuis 2008, l’axe principal de son offensive consiste à disqualifier le dollar pour convaincre les banques centrales des pays tiers de délaisser le dollar et de diversifier davantage leurs réserves de change.

Dans cette optique, Pékin, aidé par Moscou, a en particulier catalysé le formidable mouvement haussier sur le prix de l’or en dollar. La hausse du cours de l’once d’or de 250 à 1900 $ entre début 2001 et début 2011 était un formidable camouflet infligé au dollar : elle constituait pour Pékin un formidable argumentaire pour affirmer, devant les banques centrales des pays tiers, que le dollar ne méritait plus de rester la monnaie de réserve du monde.

La Federal Reserve et la Maison Blanche ne s’y sont pas trompées. Cette hausse de l’or devenait très embarrassante et très inquiétante pour le statut du dollar. C’est en bonne part pour cette raison que selon nous ils précipitent, plus vite qu’anticipé, le retrait progressif des Etats-Unis de la planche à billets. Les premières annonces en cette matière datent du 10 avril 2013 quand le prix de l’or était encore à 1.577 $. Dans les deux séances qui suivirent, l’or chuta de 8%. La confirmation du plan de la Federal Reserve au fil des semaines finit même par ramener le prix de l’or à 1.200 $ le 19 juin. Depuis, l’or s’est un peu renchéri mais ne parvient plus à casser durablement la barre de 1.400 $.

Pour le moment, pour avoir ainsi réussi à ramener en 30 mois le prix de l’once d’or de 1.900 à 1400 $, les autorités américaines marquent un point important contre Pékin et sont peut-être en train de mettre en échec l’offensive chinoise sur le front de l’or. Parce que la monnaie du monde constitue un enjeu décisif, la Chine contre-attaque. Puisque les Etats-Unis sont décidés à résister et à protéger le statut privilégié du dollar, Pékin se décide à jouer un atout majeur : il annonce, plus tôt qu’anticipé, un plan de passage du yuan inconvertible au yuan convertible.

Jusqu’à présent, Pékin opposait seulement l’or au dollar. Désormais, Pékin proposera aux banques centrales des pays tiers, une deuxième alternative concrète au dollar, celle du yuan convertible.

La longue bataille pour la monnaie du monde entre dans une nouvelle phase.

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