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Un bordel suisse vu de l'intérieur : comment se passe l'entretien d'embauche d'une prostituée
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Bonnes feuilles

Un bordel, vu de l'intérieur. Un bordel, raconté par celles qui le connaissent le mieux : les prostituées. Un récit choc, une plongée au cœur d'une maison close Suisse. Extrait de "Bordel" de Sophie Bonnet, aux éditions Belfond (2/2).

Sophie Bonnet

Sophie Bonnet

Sophie Bonnet est grand reporter. Elle réalise des documentaires d'investigation.

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La scène se passe dans le fumoir. Wanda, la patronne du salon, vient d’arriver. Deux filles ont rendez- vous avec elle pour passer un entretien d’embauche. Chaque semaine, Wanda fait le tri parmi toutes les demandes reçues et sélectionne les candidates sur photos et CV. Elle se dit obligée de recruter sans arrêt car des filles disparaissent régulièrement dans la nature. Et explique que, pour satisfaire tous ses clients, il lui faut proposer un large choix de putes : des jeunes, des blondes, des grosses, des tatouées, des noires, des petites… Wanda résume l’entretien en quelques phrases : « Je les avertis de la dureté du métier et surtout je vois si elles seront dociles et si elles vont devenir des gagneuses. Je les teste en leur faisant remplir tout de suite la liste des prestations sexuelles. »

Il y a trois fauteuils en cuir dans la pièce. Wanda fait entrer la première candidate, Nina, l’invite à s’asseoir face à elle et lui tend une feuille. Nina semble assez intimidée.

Wanda : Tiens, ça c’est un exemple de planning. Celui-là, c’est celui de la semaine dernière. Les filles s’inscrivent pour travailler de 9 heures à 21 heures ou de 21 heures à 9 heures. À partir du mercredi, il y a beaucoup plus de filles qui travaillent. Il faut toujours qu’il y ait suffisamment de choix. Les clients se déplacent seulement s’il y au moins cinq ou six filles présentes, il faut faire attention car quand on n’a pas assez de filles, on n’a pas de clients. Ils appellent avant de se déplacer. Les filles doivent être là pendant les douze heures. Il n’y a que quelques mères de famille qui partent plus tôt, à cause de leurs enfants, mais ça c’est convenu d’avance. Elle, par exemple ( Wanda montre un nom sur la liste), elle vient seulement le lundi et le jeudi de 15 à 17 heures. Elle habite loin et doit être présente pour ses enfants, ça fait des années qu’elle fait comme ça. Quel nom de pute tu veux prendre ?

Nina : Je pensais prendre Nina. Vous avez déjà une Nina ici ?

Wanda : Oui, mais on peut en avoir deux, il faudra juste qu’on mette tes photos sur le site pour pas confondre.

Nina : Avant, je m’appelais Carla, mais Nina c’est plus doux. Les clients préfèrent, et comme je suis très douce, c’est bien. Carla ça fait brésilien, mais les Brésiliennes sont plutôt mal vues ici…

Wanda : Ici, de toute façon, il vaut mieux éviter de dire de quelle origine tu es. Tu dis que tu es française, ce n’est pas la peine de préciser que tu es maghrébine. On n’a que ça ici, des filles arabes. Je sais bien que des Maghrébines, en juillet et août, y en a plein sur les Champs- Élysées avec les Saoudiens, mais je comprends pas, putain, d’où elles sortent toutes ces filles ? Vous avez que des putes arabes en France ou quoi ? Il faudra que tu fasses une demande de permis de travail en tant qu’indépendante. Tu peux le faire sur Internet et puis tu l’envoies aux bureau des moeurs et comme ça c’est bon. Tiens, je vais te donner ta fiche de prestations, il faut que tu me la remplisses maintenant.

Wanda sort une feuille avec la liste des prestations sexuelles et les tarifs. La candidate va devoir cocher celles qu’elle acceptera de pratiquer.

Nina : OK.

Nina lit en silence la liste, l’air inquiète.

Nina : Je ne m’attendais pas à ça. C’est mon premier gros salon. Pour le moment, je travaille dans un petit boui- boui, c’est bien caché, c’est discret, quand on arrive, c’est écrit « solarium ». On est quatre ou cinq filles maximum, c’est avant tout des massages avec quelques extras. Là- bas, c’est intime, on peut discuter, on fait beaucoup de social, les clients c’est surtout des petits papis, des petits vieux. Ils aiment les caresses, ça va vite. Ici, je sais que ça va être autre chose ; le Nirvana, j’en ai beaucoup entendu parler. Et c’est ce qui m’inquiète un peu. Ici, les clients c’est beaucoup de jeunes, et les jeunes c’est physique, c’est fatigant, tu ne peux pas juste les caresser.

Nina remplit sa fiche puis la tend à Wanda, qui regarde la feuille d’un air dubitatif.

Wanda : Vu les prestations que tu fais, tu ne pourras pas travailler la nuit. Comme tu n’embrasses pas, que tu ne fais pas la sodomie, ni de fellation naturelle, la nuit ça n’ira pas pour toi. En plus, la nuit, vous êtes relativement nombreuses à travailler, donc il y aura de la concurrence. Si tu travailles le jour, l’avantage c’est que comme les filles qui sont là sont plus vieilles, même avec tes petites prestations tu y arriveras quand même. Quoi que tu fasses, il faut que tu le fasses bien. Tu travailleras en indépendante, c’est- à- dire que c’est toi qui fais la transaction financière. Ton client te paie directement : c’est ton client, c’est toi qui vas niquer avec. Tu prends l’argent et tu me reverses 30 % pour le loyer de la chambre. Tout est informatisé, et à chaque fois que tu te connectes tout est calculé dans l’ordinateur. Entre les clients, tu peux rester dans la salle commune. Mais à chaque fois que ça sonne, il faut y aller et se présenter aux clients, sinon tu te fais doubler. Si tu fais des pauses et que tu t’arrêtes pour fumer, par exemple, tu es obligée de quitter la salle commune et tu perds des clients potentiels. Chaque cigarette peut te coûter très cher. Il y a du réseau dans la salle commune donc entre les clients tu peux te connecter. Mais attention à ce que tu fais. Ici, toutes les putes se font griller via Facebook. Elles sont tellement stupides qu’elles sont amies les unes avec les autres. Moi, je ne suis pas amie Facebook avec mes clients, car ils rentreraient dans ma vie privée. Ils me rentrent déjà dedans suffisamment comme ça.

Nina : Tout à l’heure, quand je suis arrivée, Eva m’a dit : « T’es la cousine à Hélène ? Tu lui ressembles ! Je te souhaite de travailler aussi bien qu’elle. »

Wanda : Oui, ça marche bien pour elle, mais elle accepte de faire beaucoup de prestations. Au début, quand on remplit cette fiche, on se dit : « Non, non, je ne peux pas faire ces prestations. » Et puis au bout de deux semaines on se dit : « Bon, je vais essayer ça et ça… » Et petit à petit on fait de plus en plus de prestations.

Nina : Je sais pas. Moi, avant, au salon de massage, je faisais des fellations naturelles et je faisais plein d’autres trucs quand on me demandait, mais là ça y est, je ne veux plus.

Wanda : Tu verras bien, c’est toi qui décides. Il vaut mieux en faire moins et le faire bien, parce que sinon le mec il va se dire : « Il vaudrait mieux que j’aie une poupée gonflable. » Le plus important est de faire les prestations correctement. De toute façon, au bout d’une semaine on se rendra compte si c’est la peine de continuer ou pas. Et puis, c’est pas parce que ça va pas dans un salon que tout est perdu. Tu sais, il y a des centaines de salons en Suisse, et encore je compte seulement les salons officiels, donc c’est pas parce que ça va pas ici que ça n’ira pas ailleurs.

Nina : Moi, on m’a déjà dit : « Tu vas te présenter au Nirvana ? Et tu fais pas la sodomie ni les fellations naturelles ? Ça n’ira pas, Wanda, elle ne veut que des filles qui font tout. » J’ai dit : « Bon, je vais aller voir, je vais essayer, on verra bien. »

Wanda : Oh, mais ce n’est pas moi qui te refuserai, c’est les clients qui te refuseront. Ici, vous êtes des indépendantes. Il y en a qui font les mêmes prestations que toi, eh bien elles se contentent de 3 000 à 4 000 francs par mois, et puis d’autres qui acceptent de faire plus de prestations et qui cartonnent. Eva, elle avait commencé comme toi au début et puis elle s’est dit : « Quitte à faire la pute, je préfère le faire moins longtemps, mais faire tout ce qui est possible. » De toute façon, c’est pas moi qui choisis, c’est le client. Moi, je sélectionne la fille en fonction de son état d’esprit, du comportement qu’elle a, et puis après, pour ce qui est de niquer, c’est pas avec moi que ça se passe mais avec le client.

Extrait de "Bordel" de Sophie Bonnet, aux éditions Belfond, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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