La droite pourra-t-elle encore à l’avenir gagner des élections sans s’allier avec le FN ? <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Nicolas Sarkozy a déclaré jeudi que tous les candidats UMP seraient maintenus au second tour face aux candidats FN aux élections législatives.
Nicolas Sarkozy a déclaré jeudi que tous les candidats UMP seraient maintenus au second tour face aux candidats FN aux élections législatives.
©Reuters

Tribordélique

Nicolas Sarkozy a déclaré jeudi que tous les candidats UMP seraient maintenus au second tour face aux candidats FN aux élections législatives. Pour combien de temps encore une telle fermeté peut-elle perdurer ?

Frédéric Rouvillois

Frédéric Rouvillois

Frédéric Rouvillois est Professeur de droit public à l’université de Paris. Il est à l'origine de la Fondation du Pont-Neuf. Dernier livre paru : Liquidation, Emmanuel Macron et le Saint-Simonisme, Cerf, sept. 2020.

Voir la bio »

Atlantico : Dans un article publié mardi sur le site Causeur,  vous écrivez que « le seul espoir pour la droite serait celui de la défaite ». Qu’entendez-vous par là ?

Frédéric Rouvillois :La droite se trouve piégée depuis les années 1980 par une manœuvre machiavélique géniale de François Mitterrand. Elle a consisté d’une part à faire monter le Front national, notamment avec la loi de 1985 instaurant le scrutin proportionnel, ce qui est un peu le point de départ de l’existence du Front national. D’autre part, à diaboliser ce Front national, et à laisser entendre que la droite perdrait son « âme républicaine » si elle tentait de s’allier, peu importe comment, avec lui.

Ce piège incroyable de Mitterrand a marché depuis cette date-là. C'est l’une des explications les plus importantes des défaites successives de la droite et de la fréquente arrivée au pouvoir de la gauche - alors même qu’elle a presque toujours été minoritaire en termes de voix. De fait, la droite se porterait mieux s’il n’y avait pas cette diabolisation du Front National.

Alain Duhamel déclarait sur RTL ce jeudi que le Front national était un parti comme les autres, qu’au fond il n’avait rien de spécial, que les autres partis avaient le droit de refuser une alliance mais qu’ils pouvaient tout à fait s’allier avec le FN. Lorsqu’on regarde attentivement le programme et l’organigramme du FN, il n’y a pas de quoi fouetter un chat. Le programme actuel de Marine Le Pen est, je dirais presque en plus « soft », celui du RPR dans les années 1970-1980. L’anti-européisme de Marine Le Pen est plus mesuré que celui de Jacques Chirac au moment de l’Appel de Cochin.

La droite doit se sortir de cette espèce de malédiction lancée par Mitterrand, et le meilleur moyen pour qu’elle s’en guérisse est peut-être qu’elle se fasse battre aux élections. De fait, cette défaite serait de sa faute. Si cette droite républicaine osait sortir de ce piège des années 1980 ; si elle tendait la main, en toute logique et en toute raison, au Front national tel qu’il est devenu, spécialement depuis que Marine Le Pen le dirige, alors elle pourrait revenir au pouvoir dès maintenant. Une défaite absurde, puisque la droite est majoritaire en voix, ferait sans doute un électrochoc qui lui ferait comprendre la situation -et ranger au musée cette vieille manipulation mitterrandienne.

Jean-François Copé semble accepter l’idée d’une droite homogène, tout en excluant un rapprochement avec le MoDem. Où se situent les frontières de la droite pour l’UMP, entre le FN et le MoDem ?

La question est de savoir si la droite veut gagner et veut  être au pouvoir, ou, pour des raisons absurdes, perdre en refusant tout lien possible avec le Front national. Ce n’est d’ailleurs plus possible avec Marine Le Pen qui frôle les 20 % et qui a de fortes chances de s’imposer durablement dans le paysage politique. Si la droite continue dans ce refus strict vis-à-vis du FN, elle se condamne de manière automatique à être dans l’opposition, et pour de mauvaises raisons.

D'aucuns, comme Jean-Pierre Raffarin, préfèrent recentrer l’UMP pour aller chercher les voix du MoDem. Est-ce aussi efficace politiquement parlant ?

C’est moins efficace car le MoDem est un parti plus compliqué que le Front national. Il regroupe, en effet, le centre gauche comme le centre droit. En outre, le MoDem pèse la moitié du score du FN. C’est donc forcément moins bénéfique.

Parallèlement il existe des raisons personnelles. Jean-Pierre Raffarin vient de l’UDF classique. Il est centriste de toujours, malgré son ralliement à l’UMP il y a quelques années. Mais le centre reste sa vraie famille politique.

Si Nicolas Sarkozy échoue au deuxième tour, cela signifiera-t-il qu’il n’a pas su ramener à lui les voix du FN ? Qu’adviendra-t-il de la droite et de l’UMP ?

Même si la droite échoue, cela n’enlève rien au fait qu’elle est soutenue par une majorité de la population. Ce sera au parti concerné d’en tirer les leçons, et de voir s’il veut de nouveau gouverner. Sur ce point, je pense que chaque matin en se rasant, Jean-François Copé pense à 2017, et que par conséquent, il ne pourra pas faire comme si de rien n’était. La droite doit voir les choses avec lucidité en sortant de ce mythe que je vous ai expliqué, et d’accepter de composer avec le Front national.

En cas de défaite, la recomposition de la droite passera donc forcément par une sorte d’alliance avec le Front national ?

L’UMP aura en effet le choix entre tendre la main au Front national ou renoncer au pouvoir et devenir un courant du Parti socialiste. Soit elle se décale vers la gauche et se fait absorber par un PS devenu social-démocrate sous l’égide d’Hollande, soit elle accepte l’isolement dans lequel elle risque de se trouver ; soit enfin elle veut retrouver le pouvoir, mais doit alors passer l’éponge sur ce mythe trentenaire du FN fasciste avec qui on ne peut ni ne doit traiter.

C’est tout de même énervant, lorsqu’on est dans une droite honnête et lucide, de se prendre des leçons de morale par le PS. A côté du Parti communiste, le Front national reste une troupe d’agneaux. N’oublions pas qu’il y a encore quelques années, le PC prônait la dictature du prolétariat, et qu’il était l’un des partis staliniens les plus durs d’Europe. Le Front national n’a jamais pactisé avec un parti totalitaire, ennemi de la France, descendant d’un système qui a des millions de morts sur la conscience (le tout sans changer de nom, d’ailleurs). Le FN n’est rien de tout cela. Il est donc agaçant que la droite modérée se fasse duper par cette situation absurde : le PS, qui pactise avec les communistes, ose lui donner des leçons et lui reprocher de vouloir s’associer avec le FN.

Justement, ces « leçons de morale » sont-elles un frein dans une éventuelle alliance entre l’UMP et le FN ?

Oui, c’est une curieuse culture politique, spécifique à la France. La droite a honte d’elle-même et considère qu’au fond la gauche est là pour lui donner des «leçons de morale. Par conséquent elle continue d’obéir docilement à la gauche, en tout cas sur ces questions.

Nicolas Sarkozy a déclaré jeudi que tous les candidats UMP seraient maintenus au second tour face aux candidats FN aux élections législatives. Qu’en pensez-vous, d’un point de vue stratégique ? Même après les présidentielles, n’est-ce-pas se tirer une balle dans le pied ?

L’image de la balle dans le pied correspond parfaitement au comportement de la droite depuis des années. Sauf que le calibre augmente : avant elle se tirait avec un pistolet à air comprimé, aujourd’hui c’est avec un 357 Magnum. Si Nicolas Sarkozy dit cela, c’est qu’il n’est prêt à aucune ouverture avec le Front National. Par conséquent il justifie alors la position de Marine Le Pen qui ne donne pas de consigne précise de vote pour les présidentielles, et maintiendra tous ses candidats aux législatives.

Ce qui provoquera des triangulaires qui risquent d’être fatales à l’UMP…

C’est certain. Il y aura sûrement très peu d’élus du Front National, mais on assistera en revanche à une véritable bérézina des députés UMP. Ce sont également des problèmes de contradictions. Aujourd’hui il y a 48% d’électeurs à droite (dont 20% pour le Front National), mais on prend le risque de faire comme s’ils n’existaient pas…et de perdre beaucoup. Les estimations parlaient de 300 circonscriptions dans lesquelles le FN pourrait se maintenir au second tour. Ce serait une catastrophe pour l’UMP, électoralement comme financièrement.

Néanmoins, l’UMP est en train de se disperser un peu, entre ceux qui chassent les voix du centre et ceux qui prêchent une récupération des électeurs FN. Nicolas Sarkozy ne devrait-il pas taper du poing sur la table pour clarifier la position de l’UMP vis-à-vis du FN, et sortir de cet entre deux feux ?

Vous avez raison, mais sur tous ces plans-là, l’UMP me paraît extraordinairement incertaine. C’est inquiétant pour la suite, en cas de défaite le 6 mai prochain, et avec dès lors un départ de Nicolas Sarkozy, chacun partant dans son sens… Le problème est que Nicolas Sarkozy n’est déjà plus en mesure de le faire. On peut imposer un principe et une ligne conductrice quand on est le patron, et pour longtemps. Cette combinaison d’éléments fait que les lendemains risquent de ne pas chanter très juste pour l’UMP.

 Propos recueillis par Romain de Lacoste

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !