Ultra droite vs ultra gauche : la justice est-elle (nettement) plus sévère pour les uns que pour les autres ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les affrontements de Sainte-Soline, photo d'illustration AFP
Les affrontements de Sainte-Soline, photo d'illustration AFP
©YOHAN BONNET / AFP

Justice à deux vitesse

Les militants d’ultra droite bénéficient-ils de la même mansuétude que ceux d’ultra gauche, une fois face aux juges ? Il y a matière à en douter… En témoigne, en effet, certains faits récents.

Georges Fenech

Georges Fenech

Georges Fenech, ancien juge d'instruction, a présidé la commission d'enquête parlementaire consacrée aux attentats du 13 novembre 2015 et la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES). Son dernier livre est intitulé "L'ensauvagement de la France : la responsabilité des juges et des politiques" (2023) aux éditions du Rocher.

Il a déjà publié de nombreux ouvrages, parmi lesquels Gare aux gourous (2020), mais aussi "Face aux sectes : Politique, Justice, Etat" (1999) et "Criminels récidivistes : Peut-on les laisser sortir ?" (2007).

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Atlantico : Six à douze mois de prison ont été requis mardi à l'encontre des organisateurs des manifestations "anti-bassines" de Sainte-Soline. En parallèle, huit militants identitaires qui taguaient et collaient, lundi soir à Lyon, des messages d'hommage au jeune Thomas (assassiné à Crépol) ont été arrêtés pour dégradation en réunion et provocation à la haine raciale. Ces huit militants ont passé plus de 20 heures en garde à vue. La police a procédé à la perquisition de leurs domiciles et de leurs véhicules. La justice est-elle plus sévère avec les militants de l’ultra droite ou ceux d’ultra gauche ?

Georges Fenech : Même s’il est difficile d’avoir une vue détaillée sur l’ensemble des décisions de justice qui concerne ces deux groupes à travers le pays, il est néanmoins possible de constater une disparité importante des peines qui ont été prononcées. Les militants d'ultra gauche ont été sanctionnés et condamnés de manière très modérée, notamment dans le cadre des affaires judiciaires liées aux incidents survenus lors des émeutes après la mort de Nahel.

Pour les manifestations de Sainte-Soline de l’ultra gauche, des condamnations faibles, avec du sursis, ont aussi été requises alors que pour le rassemblement à Romans-sur-Isère de l'ultra droite, des arrestations ont eu lieu, alors qu'il n'y a pas eu à proprement parler de violences physiques, sinon des jets de mortier contre des policiers. Mais il n'y a pas eu de violences physiques contre leur « cible », certains jeunes du quartier de la Monnaie. Pour les militants de l’ultra droite, cela s'est terminé par des comparutions immédiates avec des mandats de dépôt à la clé, même s’il ne s'agissait pas de la même juridiction.

Il est assez frappant de découvrir et de constater cette très grande sévérité contre les individus de l’ultra droite ayant participé à un attroupement à Romans-sur-Isère. Cela s’est soldé par des comparutions immédiates, des peines fermes et des mandats de dépôt immédiat.

Il est frappant de constater dans le même temps la forme de clémence qui est à l’œuvre dans les décisions de justice à l'égard de l'ultra gauche. Cela concerne notamment l’épisode des violences qui ont été commises contre les gendarmes lors de la manifestation contre le projet de bassines de Sainte-Soline.

Le problème n’est-t'il pas tant dans la condamnation de militants d’ultra droite que dans le décalage concernant la grande mansuétude accordée par la justice envers d’autres, à gauche, sur des faits exactement similaires ?

Les faits de Sainte-Soline étaient beaucoup plus graves. Il y avait véritablement une organisation quasi militarisée avec des catapultes, des engins incendiaires. Les militants d’ultra gauche qui ont pris part à cette manifestation et aux débordements ont mené lors de cette journée des attaques en règle contre les services de gendarmerie et ont incendié des véhicules... La situation était bien plus grave que la manifestation à Romans-sur-Isère. Les violences à Sainte-Soline auraient sans aucun doute, de mon point de vue, mérité des sanctions beaucoup plus fermes que celles qui ont été prononcées.

Dans le cadre de la polémique sur la pancarte « Un flic, une balle » lors d’un rassemblement de l’ultra gauche à Besançon contre les violences policières, le procureur de Besançon n’y voyait pas de message politique… Comment expliquer ce deux poids deux mesures ?

Il y a une forme de clémence, de compréhension à l'égard de ces manifestants de Sainte-Soline, à l’égard de ces mouvements comme les Soulèvements de la Terre et même envers les black blocs quand ils sont interpellés et traduits devant la justice, il n’y a pas de peines très lourdes qui sont prononcées.

Pourtant des exactions terribles, des saccages ont été commis par des membres de l’ultra gauche. Les forces de l’ordre ont été prises à partie lors de ce rassemblement contre le projet de bassines. Comment expliquer une telle situation sur le plan judiciaire ? Il doit exister une sorte de compréhension, une forme de considération de la part des juges envers ces nouvelles formes de lutte des classes. Il y a une certaine convergence idéologique pour que ces peines soient prononcées de manière très clémente.

Y a-t-il un problème avec ce que projette la justice ou les magistrats sur la société ?

N'oubliez pas que des juges du Syndicat de la magistrature ont participé à la Fête de l'Huma avec des tables rondes sur les violences policières et sur le thème de la nécessité d’abolir les comparutions immédiates. Ces mêmes juges ont également manifesté dans la rue aux côtés de militants qui ont prononcé des slogans comme « la police tue » et qui ont dénoncé les violences policières. Ces mêmes juges ont publié un guide du manifestant afin d’expliquer les démarches et les attitudes à suivre en cas d’interpellation par les services de police. Ce guide s'adressait évidemment à des gens de gauche, d'ultra gauche et pas de l'ultra droite.

Il y a donc une forme de compréhension, une interprétation de la part de ces magistrats du Syndicat de la magistrature d'une nouvelle forme de lutte des classes. D'ailleurs, lorsqu’une question a été posée à une magistrate lors des débats organisés à la Fête de l'Huma sur les émeutiers et sur la manière dont il fallait les juger, cette magistrate s'est permise de les qualifier de « révoltés ». Elle ne les considère même pas comme des « émeutiers » mais comme des « révoltés ». Cela participe à légitimer la violence.

Cette violence est considérée, par certains magistrats, comme étant légitimée par une forme d'excuse due à la condition sociale de ces militants de l’ultra gauche et liée à la violence policière.

Quand ces juges se retrouvent dans les audiences ou dans leur cabinet, ils auront incontestablement la main beaucoup moins lourde pour ceux qui luttent pour plus d'égalité sociale, d'après eux, que contre l'ultra droite qui, elle, est considérée comme xénophobe et violente. L’idéologie est donc à l'œuvre.  

Y a-t-il un problème ou des difficultés avec ce que projette la justice ou les magistrats sur la société ?

Il y a une difficulté majeure. Cette frange de la magistrature, qui est significative, considère que le juge doit faire prévaloir sa propre vision de la société. Cela contribue à une forme de politisation de la justice à l'encontre de tous les principes de séparation des pouvoirs. Les lois sont faites par la représentation nationale issue du suffrage universel. Les juges n'ont pas de légitimité directe propre pour imposer une vision de la société. Cela pose question. Dans mon dernier livre, « L'ensauvagement de la France : La responsabilité des juges et des politiques » (éditions du Rocher, ndlr), je suggère la création d’une commission d’enquête parlementaire sur ces phénomènes d'idéologie et de politisation de la justice.

Ce deux poids deux mesures ne contribue-t-il pas à agrandir le fossé entre les Français et la justice, comme le démontre un récent sondage de l’institut CSA pour CNEWS publié le 30 novembre ?

Ce sondage indique que 51 % des Français ne font pas confiance à la justice. Cette étude témoigne de la défiance des citoyens vis-à-vis de l'institution judiciaire. A partir du moment où un juge prend parti, où un juge devient partial, comment voulez-vous avoir confiance ? Donc, il y a des victimes qui se considèrent comme étant victimes non pas seulement d'infractions, mais d'un véritable laxisme judiciaire qui encourage à la récidive et à la délinquance. Cela crée effectivement un fossé entre les Français et la justice. Cette situation fait naître une crainte sur la formation de milices qui pourraient se constituer pour se faire justice elles-mêmes, ce qui est évidemment fort condamnable. Mais ces formes d'autodéfense émergent car la justice n'apporte pas la réponse pénale qu'attendent les Français.

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