La Tunisie a-t-elle échangé la France contre la Turquie ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le parti Ennahda, dirigé par Rached Ghannouchi, sort vainqueur du scrutin tunisien.
Le parti Ennahda, dirigé par Rached Ghannouchi, sort vainqueur du scrutin tunisien.
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Influence

En Tunisie, si les résultats officiels de l'élection de l'Assemblée constituante ne sont pas encore tombés, la victoire du parti islamiste Ennahda se précise. Et son leader Rached Ghannouchi est bien davantage tourné vers la Turquie que vers la France...

Karim  Douichi

Karim Douichi

Karim Douichi est journaliste et analyste politique marocain sur le site maghreb-intelligence

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C’est pratiquement sûr. Ce n’est plus simplement d’une grande victoire dont on parle aujourd’hui en Tunisie au vu du score réalisé par le parti islamiste Ennahda, dans les premières élections libres dans le pays, mais quasiment d’un véritable triomphe. Même si Abdelhamid Jelassi, porte-parole d’Ennahda a le succès humble, les 45 % des voix que son parti aurait engrangées en font la première force politique du pays.

Ils sont en effet loin ces temps où les militants islamistes se terraient un peu partout quand ils ne croupissaient pas dans les geôles de Ben Ali ou quittaient la Tunisie vers des rivages plus cléments. Ils sont tout aussi loin ces élections législatives d’avril 1989 où les listes du Mouvement de la Tendance Islamiste (MTI) fraîchement baptisé parti Ennahda se voyait voler une éclatante victoire électorale en n’obtenant finalement que 13 % alors qu’il en avait remporté 30 %.

Depuis, les principaux dirigeants d’Ennahda pourchassés par l’implacable police politique de Ben Ali ont préféré aller « prêcher » la bonne parole ailleurs. Dans sa fuite, le leader d’Ennahda, Rached Ghannouchi, tente de rejoindre alors la France. Celle-ci ne veut pas indisposer le président tunisien qui jouissait de solides amitiés au sein de l’establishment français. La France qui craignait la montée de l’islamisme radicale au Maghreb tourne le dos à Ghannouchi qui se rabat sur l’Angleterre.

A Londres, le patron d’Ennahda noue des relations avec les islamistes de tous bords qui font de la capitale britannique leur fief. Il se lie d’amitié avec le soudanais Hassan Tourabi. Il effectue également plusieurs séjours dans les pays du golfe et notamment au Qatar. Malgré les accusations des autorités tunisiennes de l’époque, on ne lui connait pas de liens avec les salafistes violents ou avec les Djihadistes. Londres refuse à maintes reprises de l’extrader vers la Tunisie ou de réduire ses activités.

En France, les leaders d’Ennahda sont malmenés par les sbires du régime tunisien. Les services de sécurités tunisiennes, saisies par les militants islamistes, préfèrent regarder ailleurs. C’est le grand désamour entre Ennahda et la France. Cette coupure va aller crescendo avec l’arrivée de la droite au pouvoir. Sous la présidence de Jacques Chirac, la France quand elle ne ferme pas les yeux sur les dérives du régime de Ben Ali, l’encense publiquement. Cela s’aggrave encore plus sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Alors que le modèle tunisien tant vanté par les élites politiques françaises se craquelle de toutes parts, les ministres et les responsables politiques de l’hexagone multiplient les déclarations élogieuses et les visites « privées » et officielles dans le pays du jasmin. Quand la crise de décembre 2010, qui fut fatale au président Ben Ali, éclate, les dirigeants d’Ennahda réapparaissent sur les plateaux des télévisions arabophones. En France, la « myopie » est toujours de mise. Elle durera jusqu’à la fuite du dictateur et le retour triomphal de Rached Ghannouchi et des autres leaders islamistes.

C’est donc à partir de janvier 2011, qu’en France on redécouvre Ennahda. Aucun lien n’existe réellement entre les dirigeants de ce parti et les officiels français. Rached Ghannouchi et ses ouailles regardent vers la Turquie. Le chef des islamistes tunisiens rappelle à chacune de ses sorties que la Turquie est aujourd’hui l’exemple à suivre, d’autant plus qu’il se délecte à rappeler que les islamistes turcs se sont dans les années 1990 inspirés des idées défendues par Ennahda. Cela dit, la victoire des islamistes ne sonne pas à elle seule le glas de l’influence de la France en Tunisie. La deuxième place du Congrès pour la république (CPR)-crédité de 15 % des suffrages- dont le leader Moncef Marzouki n’a pas pu être élu à Nabeul est un mauvais signe à l’adresse de la France. C’est effectivement le très charismatique Mohamed Abdou, dirigeant au CPR, dont le discours nationaliste et teinté d’un panarabisme très hostile à l’ancienne puissance colonisatrice qui a forgé cette deuxième place du CPR. Mohamed Abdou a lui aussi à maintes reprises affirmé sa fascination pour le modèle turc.

D’un autre côté, le Parti démocrate progressiste (PDP) de Nejib Chebbi et de Maya Jribi, adepte d’une laïcité à la française a essuyé une cuisante défaite. Monté en épingle par la pesse française, la popularité présumée de ce parti a été balayée par les résultats provisoires du vote pour l’assemblée constituante. Un autre signal que la France est en perte de vitesse dans un pays où elle a été jusque-là sans concurrence.            

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