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Notation négative : qui restera-t-il pour nous prêter de l'argent ?
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AA(A) vendre !

Le triple A français est maintenu, mais pour combien de temps ? La baisse de la note pourrait entraîner avec elle l'abaissement de la notation de toute la zone euro. Si la croissance souffrirait de l'impossibilité pour les États européen d'engager des plans de relance efficaces, leurs obligations souveraines aiguiseraient toujours les appétits des marchés financiers et banques centrales, hors zone euro.

Driss Lamrani

Driss Lamrani

Driss Lamrani a exercé pendant plus de 10 ans les métiers de banquier d'affaires, d'opérateur de marché sur les produits dérivés et d'analyste financier au sein de divers établissements bancaires. Il a aussi participé à plusieurs ouvrages, en tant que spécialiste des opérations de marché.

Il a récemment publié, aux Editions Mélibée, un ouvrage intitulé "Vers de nouvelles bulles spéculatives... Comment les éviter ?", préfacé par Jacques Attali. Il est actuellement  stratégiste et économiste au sein d'un fonds alternatif à Londres spécialisée dans le Global Macro.

Il s'exprime sur Atlantico à titre personnel, et ses propos n'engagent en aucune façon son employeur.

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Fitch Ratings a abaissé vendredi la perspective sur la note de crédit "AAA" de la France à négative. Une perspective attendue, depuis l'annonce par Standard & Poor's de la revue de la note de la quasi-totalité des pays de la zone euro. Cependant, deux interrogations importantes taraudent la communauté financière. Quel accueil donneront les marchés financiers à cette nouvelle ? Qui achètera dorénavant des dettes européennes si leurs notations venaient à être abaissées ?

L’abaissement récent de la notation des États-Unis n’a eu que très peu d’effet sur l’appétit des investisseurs pour les émissions obligataires américaines, et sur le coût de financement du déficit américain. Nous connaissons même depuis l’été 2011, une situation atypique avec des taux d’intérêt proches de 2% (soit des taux réels quasiment nuls ou négatifs), alors que le prix de l’Or n'en finit pas de battre des records. Il semble que pour le cas américain, les opérateurs ont privilégié l’investissement dans le dollar et ont sous pondéré l’accroissement du risque de défaut (même si celui-ci s’est apprécié eu égard aux prix des CDS souverains).

Bientôt en récession, la zone euro est en proie à un resserrement drastique du crédit

Force est de reconnaître que les États membres de la zone euro n’ont pas convaincu les marchés financiers suite aux annonces du sommet du 9 décembre. Les craintes sont intactes, malgré les nombreuses annonces :

  • L’adoption d’une règle d’or européenne ;
  • La mise en place d’un nouveau traité prônant une plus grande convergence fiscale ;
  • La mise en œuvre d’une garantie implicite donnée aux banques de la zone euro, sur leurs investissements dans les obligations émises par les États de la zone euro (hors Grèce).

Il est utile de reconnaitre que les sommets européens « historiques » se suivent sans créer l’électrochoc tant attendu pour renverser les tendances négatives en cours. Les enquêtes récentes (celle de l’INSEE de mercredi) montrent que la France et l’Europe seront en récession dès 2012. Les marchés pourraient spéculer sur un rebond en 2013, mais devraient être freinés par le climat morose de l’économie mondiale.  

De leur côté, les États-Unis continuent de faire face à un taux d’endettement colossal. La Chine, elle, expérimente un réel ralentissement de sa croissance. Sa politique économique se focalise désormais sur la croissance, alors que sa principale crainte fut, jusqu’ici, l’inflation. Les pays émergents, quant à eux, font face au risque d'une baisse de la dynamique de croissance. Cette réalité est celle qu'expérimentent plusieurs pays, et notamment le Brésil.

Il est fort à parier que les marchés financiers parieront sur la poursuite du scénario déflationniste et récessif, avec en ligne de mire la disparition de l’euro…

Tant que les actions concrètes, crédibles et surtout de masse ne seront pas mises en œuvre, nous risquons de connaître des situations difficiles. Ce scénario est d’autant plus crédible que le système financier européen n’est pas suffisamment solide pour éviter à l’économie les conséquences d’un crédit crunch (resserrement du crédit) d’ores et déjà en œuvre.

L'appétit des marchés financiers (hors zone euro) et Banques centrales pour le financement des dettes européennes reste fort...

Cependant, nous pouvons nous interroger sur la cinématique de la dégradation des dettes européennes post annonce d'abaissement des notes. Il est important de raison garder face au scénario qui s'écrit. Les pays membres de la zone euro disposent de suffisamment de demande interne pour leurs obligations (issue notamment d'un secteur des assurances important et dynamique), pour ne pas imaginer un crack obligataire dans les jours qui viennent. 

De plus, la banque centrale Suisse mettra ses liquidités dans la balance pour éviter un choc de réévaluation du franc suisse. Celui-ci se trouve d'ores et déjà surévalué, avec un risque récessif important pour les exportateurs suisses, sans tenir compte des conséquences d’une telle annonce.

La FED (réserve fédérale américaine) aura aussi tout intérêt à éviter une réévaluation de la parité EUR-USD. Dans le climat actuel, elle bénéficie fortement aux américains, notamment pour annoncer des acquisitions importantes d'entreprises européennes.

...exception faite pour les acteurs des marchés financiers de la zone euro

Les acteurs internes à la zone euro (assureurs et fonds de pension) et les acteurs externes pourraient continuer à acquérir les titres de dette. Cependant, cet appétit risque de se tarir avec la perspective d’évolution des notes négatives.

La forte dégradation du spread (différence entre les taux d'intérêts sur les dettes) des obligations d'États depuis plusieurs semaines constituent d’ores et déjà une prise en compte d’un abaissement de la notation. Celle-ci peut être jugée par les opérateurs obligataires comme un non-événement, s’ils ne souhaitent pas jouer le scénario du pire pour les banques, les entreprises et les ménages européens.

Les entreprises fragilisées, et l'État incapable de soutenir une reprise du marché du travail

Force est de reconnaître que l’économie européenne connaît d’ores et déjà la mise en œuvre d’un crédit crunch, dû notamment à la dégradation des conditions de financement des États et aux plans de rigueurs. Ce qui fragilise les entreprises et la reprise du marché du travail. La récession en vigueur pourrait s’intensifier, en particulier si la crédibilité sur la solvabilité des banques n’est pas retrouvée rapidement.

La spirale négative sur l’endettement de l’État, associée à des plans de rigueur qu’ils intensifieront vraisemblablement, réduira la « subvention étatique de l’économique ». Les États n’auront plus les moyens de mettre en place des plans de relance de la croissance, même si ceux-ci sont essentiels pour soutenir le secteur industriel et productif.

Force est de constater qu’actuellement le gouvernement et les candidats aux élections présidentielles se concentrent sur le « Made in France », pour insuffler une sorte de patriotisme-protectionnisme qui permette aux entreprises françaises de poursuivre leur activité, face à une concurrence féroce (surévaluation de l’euro, production chinoise à bas coût, concurrence américaine née d’un dollar peu cher et subventionné par la FED…), et en l'absence de liquidités nécessaires mais indisponibles.

Les ménages face à une baisse des revenus, une hausse du chômage et une déflation des patrimoines immobiliers et financiers

Du coté des ménages, il est fort à parier que ceux-ci réduiront leurs consommations sous l’effet combiné du manque de disponibilité du crédit, et de la déflation de leurs patrimoines immobiliers et financiers. En effet, un scénario de hausse importante des taux d’intérêt se traduirait par une pression sur les prix de l’immobilier. Les ménages verraient alors la valeur de leurs patrimoines baisser.

Nous serions ainsi face à un choc de la consommation, puisque les ménages risqueraient fort de prendre des mesures drastiques pour pallier à la baisse de leurs revenus, et dans l’attente d’une dégradation de leur situation économique par le chômage...

L'abaissement des notations doit "réveiller" les États européens !

Le risque catastrophique pourrait être conjuré par les mécanismes que nous avons décrits, s’ils sont suffisamment importants pour absorber les effets négatifs générés par le crédit crunch sur les entreprises et sur les ménages.

Cependant, nous échapperons à la catastrophe pour de mauvaises raisons. Espérons que ces mécanismes donneront du temps aux gouvernements européens pour trouver de vraies solutions et préparer une sortie de la crise par le haut. Il en va de l'avenir de l'euro.

Espérons que l'abaissement de la notation sera le "wake-up call" tant attendu pour une action importante, crédible et rapide de la part des gouvernements face à la situation actuelle.

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