Total cherche un visa pour New York... la classe politique s’y oppose mais ne fait rien pour que l’épargne française aime la bourse <!-- --> | Atlantico.fr
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Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies.
Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies.
©Christophe ARCHAMBAULT / AFP

Atlantico Business

Total Énergie est au centre d’un procès intenté par une partie de la classe politique qui lui reproche d’être trop international, trop riche, pas assez verte, et surtout en partance pour la bourse de New York.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Les Français adorent leurs grandes entreprises, mais pas au point d’y investir leur argent. TotalEnergies, une des trois plus belles entreprises encore françaises, est désormais la cible de critiques violentes de la part d’une grande partie de la classe politique et des médias, à tel point que le Sénat a cru bon de constituer une commission d’enquête pour y voir clair. Alors que TotalEnergies est l’entreprise la plus importante, en chiffre d’affaires et en profit, on aurait pu penser qu’elle serait la cible des syndicats et des partis de gauche parce qu’elle est trop riche, trop arrogante, trop indépendante. Mais les salaires versés et l’intéressement ne peuvent pas donner prise à la critique, les syndicats le savent très bien et, sur ce point du moins, ils se taisent.

TotalEnergies est au centre de beaucoup de critiques sur deux terrains. D’une part, on lui reproche de continuer à investir énormément d’argent dans les énergies fossiles (explorations, exploitation et raffinage, pétrole et gaz naturel). D’autre part, une partie de la classe politique n’accepte pas qu’une entreprise comme TotalEnergies envisage d’aller se faire coter à la bourse de New York. Les critiques virent au harcèlement, obligeant l’exécutif, le ministre de l’Économie et le président de la République à intervenir pour calmer le jeu.

Sur le premier point, la critique porte sur la stratégie, mais s’avère difficilement recevable compte tenu des offres commerciales faites au marché français notamment. TotalEnergies propose et s’engage à être de plus en plus une société qui vend un mix énergétique composé de produits d’énergies fossiles et renouvelables, en essayant aussi d’amortir au maximum les augmentations de prix comme celle qu’on a dû supporter au début de la guerre en Ukraine.

Sur le deuxième point, la défense présentée par Total est aussi simple et basique. Total est une entreprise privée dont l’État s’est désengagé depuis bien longtemps au profit de fonds d’investissement d’origine très diverse, mais où les Américains pèsent actuellement 45 % du capital. Il est évident que la présidence de Total et son conseil d’administration ne peuvent pas être complètement indifférents au comportement de ces fonds d’investissement dont beaucoup sont des fonds de pensions et de retraites. Comme dans toutes les entreprises, ils ont leur mot à dire sur la stratégie et même sur la domiciliation boursière.

Sans aucune confidence de Patrick Pouyanné, il paraît évident qu’il sera obligé à plus ou moins brève échéance de déménager sa cotation boursière à New York, comme d’autres entreprises françaises l’ont fait, parce qu’elle a quotidiennement beaucoup plus besoin de ses actionnaires que de l’État français.

La commission d’enquête du Sénat a dernièrement auditionné François Hollande. L’ancien président de la République a littéralement volé au secours de Patrick Pouyanné en expliquant que « les grandes compagnies pétrolières se sont émancipées des États. Alors que dans le passé et jusque dans les années 1980, l’État voulait garder des positions stratégiques dans le pétrole, les compagnies ont aujourd’hui leur propre logique ». Et d’ajouter : « Nous raisonnons comme si Total c’était encore la France, mais la vérité nous oblige à dire que 40 à 45 % du capital est américain. L’actionnariat français est à peine de 20 à 25 %. » Pour François Hollande et une partie de la gauche, la nationalisation de Total serait une très mauvaise solution, d’abord parce que l’État n’en a pas forcément les moyens, ensuite parce que les interventions de l’État conduiraient à asphyxier une entreprise qui fonctionne bien. Il n’y a plus que Yannick Jadot et les écologistes proches de la France Insoumise qui réclament une politique plus volontariste de Total sans pour autant croire que l’État serait capable de l’impulser.

Ce qui est troublant dans ce débat, c’est que pas une voix ne s’élève dans la classe politique ou les syndicats pour s’étonner des raisons pour lesquelles les actionnaires français ne sont pas plus nombreux alors que l’épargne française est surabondante et qu’elle ne s’investit pas dans les entreprises. Ce qui explique que les entreprises françaises vont chercher du capital à l’étranger, à New York, et de ce fait vont financer les rentes des retraités américains. Quand les entreprises ne vont pas à New York, elles vont chercher de l’argent au Qatar ou à Riyad en Arabie Saoudite. Ou même en Chine. Ce n’est pas plus glorieux, mais c’est un fait.

La polémique autour des choix stratégiques de Total ouvre une fois de plus le débat sur les raisons pour lesquelles l’épargne française préfère rester dormante en France plutôt que de travailler dans des entreprises.

François Hollande vient défendre TotalEnergies, mais évite de dire pourquoi l’épargne française est absente à la table du capitalisme français. Il évite un sujet qui fâche lui et ses amis, parce qu’il n’a jamais rien fait pour inciter l’épargne à investir. Cette prudence étatique a commencé bien avant lui, elle a repris avec Emmanuel Macron puisque la réforme des retraites a complètement oublié d’ouvrir la porte à la capitalisation. La France, depuis Mitterrand, a toujours préféré caresser l’épargnant dans le sens du poil des livrets A de la Caisse d’Épargne. D’où le magot qui existe à la Caisse des Dépôts et dans tous les comptes courants ou à terme et qui sert de réserves à l’État pour financer son déficit budgétaire et garantir l’endettement étranger. Tant que la France aura une telle épargne de précaution, des chefs d’entreprises français comme Patrick Pouyanné seront bien obligés d’aller chercher des fonds propres en Amérique.

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