Télétravail : la négociation d'un nouveau deal financier s'impose entre les entreprises et leurs salariés <!-- --> | Atlantico.fr
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Des salariés participent à une réunion dans les locaux de leur entreprise.
Des salariés participent à une réunion dans les locaux de leur entreprise.
©PATRICIA DE MELO MOREIRA / AFP

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Dans la foulée de la disruption provoquée par la pandémie, les entreprises veulent faire des économies sur les bureaux, faut-il augmenter les salariés pour aménager leur propre espace de travail ?

Pierre Bentata

Pierre Bentata

Pierre Bentata est Maître de conférences à la Faculté de Droit et Science Politique d'Aix Marseille Université. 

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Atlantico : Est-ce que la tendance pour les entreprises est vraiment de réduire leurs locaux et privilégier le télétravail pour faire des économies ?

Pierre Bentata : Il est très difficile de dire s’il s’agit d’une tendance. Tant que nous sommes dans cette situation où nous ne sommes pas encore vraiment déconfinés, où le télétravail est très incitatif, que le gouvernement demande aux entreprises de faire cela au maximum, nous n’avons pas en fait un retour à la normale. Il est donc difficile de savoir comment les entreprises vont s’adapter ensuite. Sur les tendances de fond, il y a une prise de conscience en France que le télétravail n’est pas quelque chose qui diminue obligatoirement la productivité alors qu’il y avait cette croyance qui était importante dans notre pays. Les salariés sont globalement plutôt satisfaits d’être en télétravail. A condition qu’ils soient en télétravail partiel (deux ou trois jours par semaine). Dans les enquêtes d’opinion que nous avons, nous constatons ces résultats. On va certainement avoir une sorte de mouvement vers du télétravail qui va se pérenniser. Est-ce que c’est une tendance qui est générale ? Est-ce que l’on va vers du tout télétravail ? On peut en douter. Dans les enquêtes d’opinion, il y avait des changements entre le premier confinement où les gens étaient ravis de faire du tout télétravail et aujourd’hui où ils demandent à retourner deux ou trois jours par semaine au travail.

Pour les entreprises, elles vont pouvoir s’adapter, surtout dans un modèle économique où il est possible d’avoir des roulements. On peut avoir des locaux qui sont plus petits. Ce n’est pas quelque chose qui va nuire à la productivité, ni au bien-être des employés.

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Ce n’est pas du tout sûr que cela soit quelque chose qui soit général. Considérer que cela va générer forcément des économies, cela sera possible dans les secteurs dans lesquels il y a des gains de productivité ou une productivité constante pour les employés. Ce n’est pas certains que cela puisse s’appliquer partout. Il existe des emplois où les gens sont déjà très autonomes. Qu’ils travaillent à domicile ou non, cela ne pose pas de problème. On peut se dire qu’il n’y aura pas d’impact sur la productivité ou un impact positif car ils ne perdront pas de temps dans les transports par exemple. Vous avez aussi des emplois ou vous devez beaucoup en référer à votre hiérarchie et où il est nécessaire d’avoir beaucoup d’interactions. Remplacer la discussion informelle au travail par des échanges de mails ou des réunions en permanence risque de diminuer la productivité. Cela va vraiment dépendre des différents secteurs et des différents modèles économiques que l’on a dans l’entreprise. Plus elle est hiérarchisée et plus elle a des activités qui sont soumises à une forte centralisation, moins on pourra dire que l’on a des gains de productivité.

On a donc une tendance vers davantage de télétravail. Est-ce que c’est un phénomène qui est général et qui va profiter à toutes les entreprises ? On peut en douter.

Pour les secteurs où cela sera possible, les économies que l’on peut faire en réduisant les locaux apparaissent évidentes et importantes, non ?

Oui, bien sûr, particulièrement lorsque vous êtes dans les grandes villes. Les entreprises qui sont situées dans les zones où le prix de l’immobilier est tendu et déjà très cher, il y là un gain qui est forcément très significatif. Quand on pense aux grosses entreprises qui avaient décidé ou qui se sont senties contraintes d’avoir des locaux à La Défense par exemple, si vous pouvez diviser par deux ou même diviser de 30% la surface, cela représente des économies qui sont substantielles et en plus sur une structure de coût qui est souvent la plus difficile à diminuer car là ce sont des coûts fixes. Pour les entreprises, c’est un très gros avantage si vous pouvez baisser ces coûts là en particulier.  

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Est-ce qu’actuellement pour les entreprises il existe un coût à soutenir le télétravail, à avoir des salariés en télétravail de manière permanente ? Est-ce que cela coûte quelque chose à l’entreprise ?  

Cela va dépendre de l’organisation, de la mentalité et de la culture au sein de l’entreprise. Si vous êtes dans une culture de « flicage » et de surveillance et où vous avez dès le départ l’idée que si vous n’observez pas tout le temps vos employés quand ils travaillent vous avez du mal à les contrôler alors oui il y a un coût organisationnel. Il y a un coût en termes de temps perdu à savoir ce qu’ils font ou de vérifications supplémentaires. Et très concrètement, cela peut passer par de l’investissement dans des logiciels de pointage pour que les gens, même s’ils sont chez eux, soient obligés de rester sur leur ordinateur. On a quelques enquêtes qui prouvent que dans ces cas-là cette forme de télétravail n’est pas productive. La flexibilité qui rend normalement plus productif, vous la perdez. Donc il peut y avoir des coûts pour les entreprises même si encore une fois il faudrait distinguer les localisations géographiques mais pour les entreprises qui sont dans les endroits les plus tendus, et où l’immobilier coûte le plus cher, cela doit quand même représenter un bénéfice, un gain net au final.

Est-ce qu’il y a des obligations légales à fournir du matériel de télétravail ou est-ce que pour l’instant cela n’existe pas en France ?

Vous avez pour l’instant une espèce de flou parce que vous devez normalement fournir à l’employé les moyens d’effectuer son travail mais on a eu un bouleversement qui était tellement violent que l’on était dans une phase d’adaptation qu’il va falloir clarifier. Qu’est-ce qui est nécessaire ? Quel type de logiciel ou quel type de matériel il vous faut ? La bonne solution c’est d’abord d’essayer de laisser les entreprises et les employés se mettre d’accord parce que c’est très différent d’un secteur à l’autre et d’une entreprise à l’autre.

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Est-ce que l’on pourrait imaginer que pour les entreprises qui choisissent de partir sur du télétravail permanent et qui font des économies par ce biais-là, elles parviennent à transférer cela en salaires aux télétravailleurs, pour avoir le bon matériel, à avoir de quoi mieux s’organiser mieux chez soi, pour avoir un appartement plus grand pour pouvoir télétravailler…  

C’est une bonne question mais qui est plus compliquée que ce qu’elle y paraît. Evidemment ce que l’on observe dans un premier temps c’est de se dire qu’un employé qui est en télétravail de manière quasiment permanente ou qui est cinq jours en télétravail, il a besoin d’une pièce de plus. Il a besoin d’un bureau. Il doit peut être réorganiser sa façon de travailler. Même si l’acquisition de matériel peut être fournie par l’entreprise, il doit avoir besoin d’avoir envie d’investir davantage. Pour lui, cela peut représenter un coût, c’est vrai.

Ce que l’on ne voit pas, c’est que cela peut représenter une économie pour l’employé. Il y avait une partie de ses déplacements qui étaient à sa charge. Lorsque vous avez des accords d’entreprises qui permettent de rembourser 50% de votre billet ou 50% de vos frais de déplacement, il reste des frais qui étaient à votre charge et que vous n’avez plus. Il y a aussi la possibilité de s’éloigner, d’aller dans un cadre qui est plus agréable, vous avez alors un bénéfice qui est psychologique, soit qui est moins cher, et dans ce cas-là vous avez un bénéfice net. Typiquement si vous êtes à cinq jours de télétravail et que vous étiez obligé avant de vous rendre à Paris et que vous viviez à Paris ou dans la petite couronne et que du jour au lendemain vous pouvez aller à Troyes par exemple, vous avez des salaires qui sont divisés à la location entre cinq et six et à l’achat c’est encore plus, donc là vous avez un vrai gain. Ce qui veut dire qu’il y a un phénomène de redistribution auquel il faudrait penser mais il faut d’abord regarder dans le détail. Est-ce que les employés ne gagnent pas directement ? Sinon on risque d’avoir directement une analyse en termes de conflit de classe où l’on va se dire il y a une victime, il y a un gagnant et il y a un perdant, ce qui n’est pas forcément le cas. Pour le découvrir, il va falloir attendre un peu. Il va falloir voir est-ce qu’on a des déçus, est-ce qu’on a des employés qui se manifestent d’une manière ou d’une autre en disant que là ils ont l’impression de perdre ou est-ce qu’au contraire, on a des choses qui se passent de manière plus harmonieuse car on a une bonne coopération entre l’entreprise et les salariés.

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Cela va nécessiter un peu de temps. Nous ne sommes même pas au moment où l’on a complètement déconfiné dans le pays. Le temps que le marché s’adapte, le temps qu’on ait des décisions qui soient prises, parce que déménager ce n’est pas quelque chose que vous faîtes en quelques jours, le temps que l’on observe vraiment comment cela se passe et quel est l’impact sur l’immobilier et sur la mobilité des employés, il faut attendre pour avoir un certain recul sinon on risque de vouloir légiférer sur quelque chose qui si ça se trouve n’était pas nécessaire. Peut-être que c’est le cas mais pour l’instant, on ne peut pas du tout en être sûr. Regardez le premier confinement, on se disait que l’on allait avoir une fuite des CSP+ qui vivent dans les grandes métropoles vers les zones résidentielles un peu plus éloignées ou vers les territoires plus reculés. On s’aperçoit en réalité que c’est beaucoup de l’achat de résidences secondaires mais que l’on n’a pas eu cette fuite ou cette désurbanisation, démétropolisation à laquelle on pensait. Il faut attendre car on ne sait pas du tout ce qu’il y a dans la tête de la majorité de la population. Est-ce que ces phénomènes concernent toutes les grandes villes ou uniquement Paris ? Va-t-il y avoir un arbitrage ? Quand vous vivez dans une grande ville, là où potentiellement il faudrait vous aider, il y a bien évidemment le coût de l’immobilier mais il y a le coût que vous retirez de vivre dans une grande ville. Est-ce que les gens préfèreront quand même rester et dans ce cas-là si c’est une préférence qui est marquée, il n’y a pas de raison que ce soit l’entreprise qui subventionne cela ou est-ce quelque chose qui est subi ? Cela va nécessiter d’enquêter davantage, d’être capable d’avoir une observation plus précise, pour l’instant on n’a pas ce recul.               

On a des villes et on a une organisation de nos villes et du paysage urbain qui est différente des Etats-Unis. Ce qui peut expliquer aussi pourquoi il faut qu’on fasse davantage attention à ne pas prendre pour argent comptant la situation aux Etats-Unis. Typiquement aux Etats-Unis vous avez des villes qui sont organisées un peu différemment. Vous avez des classes populaires qui sont davantage intégrées dans la ville, qui souvent ont des maisons et pas des appartements et puis vous avez des plus riches qui sont un peu plus loin. Or nous en France, ça ne se passe pas exactement comme cela. Vous avez surtout des périphéries pour lesquelles vous avez des gens qui sont les moins favorisés, les plus riches qui sont soit au cœur de ville, soit en même temps en cœur de ville et dans des quartiers plus reculés avec une vraie distinction entre les plus riches qui détiennent très souvent des maisons et les plus pauvres qui sont souvent en appartements. Comme nous avons des situations qui sont différentes, on ne peut pas directement appliquer les conclusions qui sont observées dans l’étude américaine sur le cas français. 

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