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Suicide agricole : la conscience gagne – enfin – du terrain
©A.J. - Wikiagri

Témoignage

La troisième édition de la journée d'hommage aux familles endeuillées par un suicide agricole, déroulée ce dimanche à Sainte-Anne d’Auray dans le Morbihan, débouche sur un espoir : la conscience de cette calamité gagne du terrain.

Antoine Jeandey

Antoine Jeandey

Antoine Jeandey est journaliste et auteur de « Tu m’as laissée en vie, suicide paysan veuve à 24 ans ».

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 WikiAgri

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WikiAgri est un pôle multimédia agricole composé d’un magazine trimestriel et d’un site internet avec sa newsletter d’information. Il a pour philosophie de partager, avec les agriculteurs, les informations et les réflexions sur l’agriculture. Les articles partagés sur Atlantico sont accessibles au grand public, d'autres informations plus spécialisées figurent sur wikiagri.fr

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Pour la première fois, plusieurs personnalités ont daigné s’intéresser au problème. Le député local (majorité présidentielle) Jimmy Pahun n'avait certes pas vraiment de solutions à proposer, mais il a eu le mérite d'être le tout premier élu national à venir à ces journées, et à écouter les témoignages des familles. Patrick Maurin, conseiller municipal de Marmande et spécialiste des questions rurales au sein du mouvement Résistons !, a représenté Jean Lassalle, qui fut comme chacun sait candidat à la dernière élection présidentielle. Enfin, Arash Derambarsh, conseiller municipal de Courbevoie, s'est également déplacé, pour rencontrer les familles et les écouter, également pour s'exprimer sur sa lutte contre le gaspillage alimentaire et ce qu'elle représente à tous les échelons de la société (y compris pour les producteurs donc). Citons également Marie de Blic, représentante du parti chrétien démocrate (PCD) et de Jean-Frédéric Poisson, l'un des candidats à la primaire de la droite avant la présidentielle.

Pour la première fois également, plusieurs agriculteurs d'un syndicat ont voulu participer à cet hommage. Michel Le Pape, président de la Coordination rurale d'Indre-et-Loire, Stéphane Pelletier et trois ou quatre agriculteurs du même département ont ainsi pu s'exprimer sur le sujet. Même si Michel Le Pape a prévenu qu'il était personnellement venu « davantage en tant qu'agriculteur qui ne supporte plus cette situation qu'en tant que syndicaliste », la délégation a été remarquée. Parmi les paysans présents lors de deux éditions précédentes il y avait certainement des syndiqués, mais pas de président départemental parmi eux.

« Le monde agricole vit un drame »

Dans son déroulement, la journée fut marquée par plusieurs séquences à émotions. La messe, le matin, n'en déplaise à ceux qui restent réticents à cette partie religieuse de la journée, fut ressentie comme un magnifique hommage aux familles.

Dans son homélie, le recteur du sanctuaire de Sainte-Anne, André Guillevic, sut trouver les mots justes. Morceaux choisis : « Comment être en paix lorsque l'avenir semble sombre ? Comment être en paix lorsque les enfants, les petits-enfants, prennent un chemin tellement différent que celui que nous leur avons montré ? Comment être en paix lorsque les informations que l'on reçoit ne sont que négatives et quelquefois destructrices ? Comment être en paix lorsque vous vivez dans une situation de mensonge que vous subissez sans pouvoir faire la vérité sans être cassé ? Comment être en paix lorsque vous êtes écrasés, accablés, détruits ? (...) Comment être en paix lorsque les conditions de vie ne vous permettent plus de vivre décemment de votre travail et que cela va jusqu'au drame de voir quelqu'un partir trop tôt, parce qu'il était écrasé et qu'il lui semblait que rien ni personne ne pouvait l'empêcher de sombrer davantage ? Et ce drame a touché beaucoup d'entre nous aujourd'hui. Le monde agricole vit un drame. (...) Frères et soeurs, affirmons, envers et contre tout, quel que soit le prix que nous aurons à payer, que rien ne remplacera la valeur d'un être humain, respecté dans sa dignité, son travail, dans tous les aspects de sa vie, car la valeur d'un être humain est sans prix. (...) Mais comment continuer à vivre, à espérer, à croire en des jours meilleurs, lorsque l'on voit que l'on ne pourra pas s'en sortir et que l'on a envie de fuir cette vie qui devient un enfer ? Mais comment continuer à vivre, à espérer, à croire en des jours meilleurs, lorsque la mort brutale vient briser une vie de famille et que la honte s'empare de vous et que vous êtes tentés par l'isolement tant on vit dans la peur du regard des autres qui semble vous accuser ? » Entre-temps, des références bibliques, également pour conclure sur un message d'encouragement.

Lors de cette messe, l'organisateur Jacques Jeffredo était au premier rang sur le côté, entre Arash Derambarsh et Jimmy Pahun. Au retour de l'hostie, chaque regard de passage fut tourné vers lui, avec une lueur appuyée de reconnaissance. Aujourd'hui, tout le monde connait et respecte ce lanceur d'alerte sur le sujet tabou du suicide agricole.

L'après-midi, table ronde, avec également parole donnée à la salle. Là encore, plusieurs interventions furent à la limite (même dépassée pour certains) de mettre les larmes aux yeux. Cette femme dans la salle témoignant : « Mon frère est mort un 29 décembre. Le 2 janvier, la MSA a appelé la gendarmerie de ma commune pour savoir ce que devenait la ferme, le 3 janvier je recevais une lettre recommandée du fisc, le 4 janvier nous l'enterrions... » a sans conteste soulevé le coeur de l'ensemble de l'assistance.

Table ronde, et après, que faire pour aider ?

Au-delà de ces témoignages poignants, la table ronde avait pour objectif essentiel de tracer des pistes pour savoir comment aider les familles. Pour les causes, Jacques Jeffredo a repris la référence à la pyramide de Maslow qu'il avait déjà détaillée dans WikiAgri. Marie Le Guelvout a expliqué tout ce qu'elle avait rencontré comme démarches administratives presque inextricables au moment de la disparition de son frère Jean-Pierre. L'intervention de Arash Derambarsh a dénoté quelque peu, au sens positif du terme. L'élu de la région parisienne n'a pas caché être très heureux d'avoir fait le déplacement pour rencontrer « les vrais gens » et comprendre « les vrais problèmes ». Il a exposé son propre combat contre le gaspillage alimentaire, en soulignant comment il était possible de déstabiliser un système pour une cause juste. « Les grandes surfaces n'avaient aucun intérêt à donner leur invendus encore consommables, car une loi les autorisait à les défiscaliser. Il fallait casser cela. » Et en allant derrière au bout du raisonnement en estimant « qu'il est aussi possible de faire bouger les lignes pour les agriculteurs : aujourd'hui, 80 % des ventes alimentaires en France sont réalisées par les grandes surfaces, il faut faire chuter ce taux à 50 %, de manière à ce qu'il y ait 50 % en ventes directes par les producteurs. » La vente directe étant estimée par quasiment l'ensemble de la salle comme une solution viable économiquement.

Par ailleurs, plusieurs pratiques agroindustrielles ont été dénoncées à travers les échanges des uns ou des autres. Les consommateurs peuvent ainsi trouver du beurre "facile à tartiner", qui en fait contient du soja à la place d'une bonne partie de la crème. De même le jambon allégé en sel signifie que ces agroindustries ont trouvé moins cher que le sel pour conserver le jambon, mais pas forcément meilleur pour la santé... Avec derrière ces « astuces » des implications sur les filières agricoles qui fournissent : il faut moins de lait pour faire du beurre, moins de viande de porcs pour du jambon, etc. D'où des situations artificiellement montées comme étant de la surproduction. Et des prix qui baissent. Et derrière des exploitations qui souffrent économiquement. Puis des drames humains, des suicides...

Au niveau des médias, il faut principalement noter la couverture, avant et pendant l'événement, très suivie de Ouest-France, et aussi une demi-page dans le Figaro (édition papier) de ce lundi.

Au niveau des perspectives, les politiques présents ont tous assuré de leur suivi et de leur soutien, surtout après avoir été touchés par les témoignages et autres rencontres à l'issue des débats.

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