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Stratégie illisible... ou soigneusement masquée ? L’incroyable machiavélisme de François Underwood-baron-noir-Hollande
©REUTERS / Enrique Marcarian

Beaucoup plus fort que Mitterrand

François Hollande, plus fort que François Mitterrand autrefois, est capable de faire beaucoup mieux que le président américain dans "House of Cards" ou que le responsable socialiste du Nord incarné par Kad Merad dans la série TV de Canal +, "Baron noir".

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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La semaine passée nous a encore permis d'observer que le président de la République française était passé maître dans le cynisme et la manipulation de la classe politique. Sur le terrain de l'action politique, tout ce qu’il entreprend semble échouer alors qu’en réalité, tous ces échecs apparents renforcent sa position et contribuent à construire sa victoire personnelle.

C’est assez étonnant. Le débat sur la déchéance de la nationalité a été un fiasco, et bien du point de vue de sa majorité qui n'en voulait pas, le fiasco va dans le sens des valeurs de la gauche et engendre un désaccord à droite.

Le débat sur la réforme du droit du travail a complètement fracturé et la gauche et la droite. Quant au projet de commémorer la fin de la guerre d ‘Algérie le 19 mars, c’est peu de dire qu’il provoque un beau débat.

En fait, c’est assez incroyable mais cette succession d'échecs s'intègre dans un scenario politique global qui vise à l'isoler complètement sur l'échiquier politique, pour le placer face à Marine Le Pen au deuxième tour, le seul cas de figure qui lui permettrait de faire un deuxième mandat.

Et quand on prend un peu de recul, on s’aperçoit que le scenario en question s’est écrit depuis le premier jour de son arrivée à l'Elysée. On est dans House of Cards quand le personnage joué par Kevin Spacey, jeune sénateur, prépare minutieusement ses coups pour accéder à la Maison Blanche. Son programme, ses femmes, ses réseaux, ses amis, ses vrais et ses faux amis, ses manips, ses voyages, ses diners, ses trahisons … rien n’est laissé au hasard.

Depuis le début de sa campagne électorale, depuis même les primaires socialistes, il va gérer en permanence les contraintes économiques qu’il doit affronter, les rapports de force politiques dans sa famille et chez ses adversaires avec une seule ambition : se retrouver en position de gagner en 2017.

Alors au début, les observateurs vont brocarder ses maladresses, critiquer ses faux pas. Quatre ans plus tard, certains analystes reconnaissent que, bien qu’étant en bas des sondages politiques, le scenario où il se retrouverait en position de gagner en 2017 est de moins en moins improbable.

Faut dire qu’entre temps, François Hollande aura mené l'offensive sur trois fronts.

reoffensive, il va s'affranchir des contraintes économiques et financières. Quand il arrive à l'Elysée, la situation économique et financière est mauvaise. En toute logique, il aurait dû engager une politique de redressement budgétaire, pour restaurer la confiance. Or, il ne le fait pas parce qu’il est arrivé avec une offre politique faite de promesses électorales irréalisables. Il va en réaliser beaucoup sans avoir le premier sou pour les payer.

Son idée de " faire payer la finance ", celle d'imposer les riches à 75%, ne tiendra pas six mois. Il le savait mais campagne oblige, il a cédé à ce type de facilité.

Tout candidat normalement constitué aurait pu dire en arrivant qu’il ne pourrait pas honorer son contrat, qu'il lui faudrait du temps etc. etc. Lui n’a rien dit de tout cela.

Il a assumé les contraintes en augmentant les impôts pour les plus riches et les classes moyennes, ce qui au bout d ‘un an a fait fuir les riches et épuisé les classes moyennes. L'économie s’est retrouvée à genoux au moment où l'Europe toute entière redémarrait.

A ce moment-là, il s’est tourné vers l’Union européenne pour lui demander de l'aider à payer ses traites et ses déficits. Il s’est tourné vers la Banque centrale et a fait pression pour que la BCE arrose le pays de liquidités.

L'Europe, et particulièrement l ‘Allemagne, lui a demandé, comme tout banquier, des garanties en termes de réforme. D’où l'arrivée de Manuel Valls et le début de politique sociale libérale avec le CICE.

Toujours sur le terrain politique, il va bénéficier de ce fameux alignement de planètes : un pétrole au rabais, des taux d'intérêt très bas et un euro qui baisse… Cette conjoncture ne va pas changer la face du monde mais va donner une dose d'oxygène aux entreprises.

En 2016, il pourra dire que la courbe du chômage a été inversée. L’apparence est sauve. L'Insee vient d’ailleurs de donner le ton, l’économie française se remet.

En réalité, la situation de l'économie française sera catastrophique parce qu’à exiger des facilités financières en provenance de l'Europe (l'Allemagne) ou de la BCE, la France s’est dispensée de réformes qui lui seront nécessaires pour gagner en productivité. L’Europe fonctionne toujours aussi mal, la dette française est toujours aussi lourde et personne n'est capable d'expliquer commente vivre durablement avec des taux d'intérêt négatifs. Il y a toujours autant de chômeurs. Le tissu des PME et PMI survit. Le pays vit grâce à la valeur ajoutée produite par les grandes entreprises internationales.

Les seuls acteurs sincèrement heureux de la situation sont les milieux financiers qui s’enrichissent grâce a la revalorisation des actifs financiers. Mon ennemi, c’est la finance. La finance se porte bien. Merci !

<--pagebreak-->La 2ème offensive va porter sur le terrain politique. Pour fracturer la gauche… Comme dansBaron noirou dansHouse of Cards, François Hollande va commencer par détruire ses amis politiques les uns après les autres.

L'extrême-gauche, dont l'électorat va se perdre au Front National, puis les écolos qui vont s’entretuer sous les lambris des salons ministériels.  Restent les frondeurs, qui peuvent faire capoter sa majorité mais ça n’est pas très important puisqu’il a assez peu de textes à faire passer.

Le virage Manuel Valls va être plus difficile à faire passer. Il a besoin de Valls pour rassurer les créanciers internationaux, mais il a aussi besoin de le contrôler. Parce qu'il connaît ses ambitions de jeune loup de la modernité, parce qu’il sait que n'ayant plus d’extrême-gauche, il aura besoin d'un centre-gauche et que le centre-gauche, c’est un peu le territoire de Manuel Valls.

Alors François Hollande, en parfaite incarnation française de Kevin Spacey, va tout faire pour paralyser et démonétiser son Premier ministre.

Le débat sur la déchéance de la nationalité, mesure symbolique, inutile et transgressive, va épuiser Manuel Valls. Le projet de réforme du droit du travail va complètement le déstabiliser. Ce projet ne correspond pas aux valeurs de la gauche. Martine Aubry se lève et prend la tête de la révolte, mais elle se révolte plus contre Manuel Valls que contre François Hollande.

François Hollande, lui, laisse dire, laisse faire. Il sait que ça passera mal sauf à faire les modifications que lui a suggérées son ami Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT …

Le président de la République va laisser son Premier ministre s'enfermer dans une surenchère libérale pour lui apporter la solution quand il sera à bout de souffre. Au dernier moment.

La solution passe par un accord avec la CFDT qui était déjà écrit avant la négociation, et par une neutralisation des syndicats opposés à la loi.

François Hollande va en quelque sorte acheter les jeunes et les étudiants (en inventant une prime mensuelle de 480 euros par mois jusqu’à 26 ans) et en achetant la CGT et FO, en acceptant de dégeler les points d'indice de fonctionnaires.

Trop simple, trop efficace. Tout le monde est rentré à la maison, sauf quelques lycéens qui vivaient leurs premières manifs. Une crise d’ado.

Cette opération anti-Valls va exaspérer le Premier ministre qui a beaucoup de mal à garder ses nerfs. D’autant plus que François Hollande, et sans doute le Secrétaire général de l'Elysée, ont mis sur orbite Emmanuel Macron. Un électron apparemment libre.

Emmanuel Macron, ministre de l'Economie moderne, ressemble à Manuel Valls en plus jeune, avec une formation plus solide (ENA, banque d’affaires, expérience étrangère).  En prime, beaucoup plus libre que Valls. Macron se déclare de gauche mais confirme qu’il n ‘est pas encarté au PS. Il n’est surtout pas élu.

En quelque mois, Emmanuel Macron va devenir la coqueluche des medias, des jeunes bobos, et d'une grande partie du monde des affaires. Cette notoriété a pour effet de mettre Manuel Valls hors de lui. Ce qui l'amènera à faire quelques erreurs de communication. Celle, par exemple, de supprimer le projet Macron 2 et de reprendre à son compte la défense de la loi travail qui deviendra ainsi la loi El-Khomri. Il aurait laissé faire Macron , que Macron se serait scratché en plein vol.

Le remaniement gouvernemental va être aussi l'occasion d'un beau chassé-croisé. Personne ne sait à quoi correspond le remaniement du gouvernement. Il n’y a pas de stratégie autre que celle qui consiste à renforcer le pouvoir politique du président pour favoriser sa réélection. Ce remaniement se résume, d'une part, à l'arrivée de trois écologistes, ce qui contribue à complètement exploser cette famille qui sera sans doute dans l’incapacité de présenter un candidat.

D’autre part, ce remaniement a pour objet de faire revenir Jean-Marc Ayrault qui n’est pas arrivé au quai d’Orsay parce qu’il est un ancien prof d’allemand, mais parce que ça le neutraliserait pour les 18 mois qui viennent, et surtout ça empoisonnerait la vie de Manuel Valls qui n’en voulait pas. Bingo !

Manuel Valls avait pourtant travaillé à la nomination de Ségolène Royal avec le soutien du président. Elle qui avait accepté et qui s’est retrouvée coiffée sur le poteau au dernier moment.  Les petits crimes entre amis n’ont pas de limites.

Le bilan du nettoyage à gauche est édifiant. Comme dans Baron noir, François Hollande  n’a plus de concurrent crédible et légitime a gauche. Il n’y aura donc pas de primaire et sera seul au premier tour

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La 3ème offensive va cibler la droite, pour l'émietter et l'empêcher de présenter un candidat unique de la droite et du centre aux prochaines présidentielle. Le moyen d’arriver à l'émiettement des forces, c’est de souhaiter que Nicolas Sarkozy soit présent, mais pas comme seul candidat. Le challenger le plus probable, selon les derniers sondages, serait François Bayrou et non pas Alain Juppé qui jouera, lui, la discipline du parti.

Depuis deux ans, toutes les initiatives du président de la République ont aussi pour objet de mettre la droite dans l'embarras. Le CICE fut d'abord rejeté et critique par la majorité de droite pour être en fait toléré et accepté au point qu'aujourd hui, la droite s'opposerait dans son ensemble à sa suppression.

La déchéance de nationalité et l'état d'urgence ont été approuvés par la droite qui a été prise de maux de migraine quand elle s’est aperçue que ces mesures étaient au programme du Front National. Du coup, la déchéance de nationalité est aujourd’hui jugée trop radicale et trop inutile par la droite qui ne la votera pas, rejoignant ainsi une partie de la gauche qui y voit une atteinte aux libertés insupportable.

La loi El-Khomri a provoqué aussi quelques dégâts collatéraux dans l'opposition de droite. Sur le fond, la droite ne peut pas refuser des reformes de flexibilité applicables au monde du travail, mais politiquement, comment accompagner une mesure de gauche qui est intéressante, mais qui ne s’inscrit dans aucune vision à long terme ?

A quelques mois d'une primaire ouverte à droite, l’opposition envisage de présenter presque dix candidats. D'Alain Juppé à François Fillon, en passant par NKM, Bruno le Maire, Hervé Marmiton, Jean François Copé et surtout Nicolas Sarkozy qui n’a toujours pas expliqué ce qu’il allait faire dans ce maelstrom électoral.

Passons sur le projet de célébrer la fin de la guerre d ‘Algérie, le 19 mars, qui tombe aujourd'hui dans l'actualité et dont personne n'avait parlé. Le seul intérêt est de raviver de vieilles blessures et de réveiller les désaccords à droite sur la politique coloniale, l'attitude du général de Gaulle et les Français entre eux. Pour qui veut rassembler, ça n’était pas forcement le meilleur moyen. Pour qui veut déchirer la droite, ça va marcher.

Le devoir de mémoire, oui bien-sûr, c’est indispensable à la cohésion de la société, sauf quand cette mémoire n’est pas forcement partagée.

Ce qui est extraordinaire dans l’attitude du président de la République, c’est que la majorité de ses initiatives oblige la droite à faire de la surenchère.

Comme si une droite pure et dure le ramenait, lui, au centre de l'échiquier. Du coup, il booste le Front National et préempte les centres.

Son objectif : empêcher un candidat de droite d'accéder au 2ème tour et se retrouver face à Marine Le Pen. Depuis Jacques Chirac, c’est peut-être le rêve de tout candidat corrézien.

On est très très loin de la préoccupation quotidienne des Français ; on n’est pas loin d'un scenario de télévision mais ça n'est pas de la fiction. Plus fort qu’House of Cards ou que Baron noirLa saison qui s'ouvre va être passionnante !!! Enfin, on dira cela parce que, pour l'opinion, elle sera décourageante.

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