Statistiques de la criminalité : quand l’État fédéral américain perd ses moyens…<!-- --> | Atlantico.fr
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Des policiers aux Etats-Unis sur une scène de crime.
Des policiers aux Etats-Unis sur une scène de crime.
©Drew Angerer / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Conséquences sur les mid terms

Selon un sondage pour le site Politico, 77% des sondés considéraient que la criminalité violente était un problème national majeur. De 2019 à 2021, le nombre d'homicides a explosé aux Etats-Unis.

Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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Début octobre 2022, le site Politico, très suivi (comme son nom l'indique...) sur l'évolution de la politique américaine, publiait un sondage dans lequel 77% des sondés - électeurs potentiels des proches élections de mi-mandat (midterm elections) - faisaient de la criminalité violente un problème national majeur.

Et pour cause : de 2019 à 2021 le nombre d'homicides a explosé (+ 39% en deux ans), plus de 23 000 en 2021 - chiffres imprécis, on verra plus bas pourquoi ; vols violents de véhicules (car jacking), + ±12%. En même temps, la marée de migrants illégaux comptés à la frontière mexi­caine par les Border Patrols, explose de + 377% (du 1/02/2021 au 31/08/2022). Les stupé­fiants ? En 2021, le seul fentanyl (opioïde de synthèse) tuait ± 71 000 Américains (+ 23% sur 2020). Le DEA estimant que, sous Joe Biden, 12 tonnes de fentanyl ont été intro­duites aux États-Unis, de quoi fabriquer 5,6 milliards de doses potentiellement mortelles, pouvant provo­quer assez de surdoses pour tuer 16 fois, en théorie, toute la population du pays.

Or dans ces inquiétantes circonstances - phénomène inouï dans un pays développé, a for­tiori, une superpuissance - on apprend que l'État fédéral américain a perdu le contrôle de son outil de comptage des phénomènes criminels ; le FBI avouant piteusement, toujours en oc­tobre 2022, que ses chiffres sur les évolutions criminelles de l'an 2021 sont de simples "esti­mations", si parcellaires qu'elles n'ont plus grand sens. Ces données tronquées ne permettant en tout cas pas d'éclairer l'électorat, avant une échéance électorale majeure.

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Que signifie "statistiques tronquées" ? Soyons précis. Le comptage du crime aux États-Unis par le ministère de la Justice (dont le FBI est l'outil de terrain), s'opère par collecte des données qu'assemblent 18 806 Law Enforcement Agencies (services de sécurité publique, commissa­riats, etc.). Or déjà, c'est fort peu pour un pays de 336 millions d'habitants. Ainsi, en 2021, le FBI ne reçoit les données que de 124 des 593 "commissariats" de l'État de New York, 15 sur 740 (Californie), 328 sur 934 (Illinois). Et dans certains cas, cela devient franchement gro­tesque : 2 sur 757 (Floride).

Au total, pour tous les États-Unis et en 2021, la collecte n'a porté que sur 11 794 "commissa­riats" (sur 18 806, comme déjà dit). Là-dedans - excusez du peu - New York, Los Angeles et Chi­cago, trois mégapoles d'ensemble 15 millions d'habitants, n'ont presque pas fourni de don­nées. Et seule la moitié des law enforcement agencies ont fourni des données complètes, sur les 12 mois de l'année. Pourquoi le désastre ?

Depuis la décennie 1940, le système de collecte du FBI était l'Uniform Crime Report, amélioré depuis, mais aux données par trop sommaires, notamment pour les crimes graves. Pire, l'UCR ne retenait qu'une infraction par individu : si l'assassin avait torturé sa victime avant de la tuer, seul l'homicide y figurait. Pour doter le pouvoir fédéral d'un système plus complet et sta­tistiquement précis (type d'armes utilisées... nature des biens volés... informations précises sur les malfaiteurs et leurs victimes...), un nouveau système est conçu dans la décennie 1990 : le National Incident-Based Reporting System (NIBRS, Système d'information national sur les infractions). D'où, toutes les 18 806 agences de sécurité publique doivent faire évoluer leurs systèmes informatiques, de l'UCR au NIBRS, tâche considérable, on s'en doute. Comme cette transition traînait, la présidence Obama a cru bien faire en imposant une date li­mite : à l'échelle fédérale, NIBRS entrerait obligatoirement en vigueur le 1e janvier 2021.

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Or cette date-couperet tombe en pleine crise criminelle et en pleine lubie hystérico-anarchiste de Defund the police (définancez la police). Sur le terrain, submergés par les émeutes, privés de millions de dollars par des municipalités aussi politiquement correctes que démagogiques, une moitié des "commissariats" cesse soudain d'alimenter cette transition statistique. Le sys­tème s'effondre alors, incapable de fournir les données voulues pour la date-couperet du 14 mars 2022, à temps pour figurer dans la statistique criminelle de 2021. Au 1e septembre 2022, 12 381 des "commissariats" du pays sur 18 806 avaient pleinement adopté NIBRS.

Or pour une présidence démocrate, "La Loi et l'ordre" sont rarement une priorité politique ; Law and Order est plutôt un point fort classique des programmes républicains. Tout cela addi­tionné fait qu'aux toutes prochaines midterm elections, l'électeur américain ira voter sans vi­sion claire de la criminalité, ni de sa sécurité. Dans un pays impulsif comme les États-Unis, il est douteux que ce flou inquiétant suscite des réactions modérées.

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