Soviétisation d’EDF : un enfumage laissant de marbre le suzerain bruxellois<!-- --> | Atlantico.fr
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L'Etat souhaite reprendre le contrôle d'EDF.
L'Etat souhaite reprendre le contrôle d'EDF.
©PATRICK KOVARIK / AFP

Actionnaire majoritaire

Le gouvernement a annoncé son intention de renationaliser EDF. L'offre publique d'achat a été dévoilée ainsi que le calendrier du plan censé assurer l'indépendance énergétique de la France.

André Pellen

André Pellen

André Pellen est Ingénieur d’exploitation du parc électronucléaire d’EDF en retraite, André Pellen est président du Collectif pour le contrôle des risques radioactifs (CCRR) et membre de Science-Technologies-Actions (STA), groupe d'action pour la promotion des sciences et des technologies.

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Dans les éléments de valorisation d’EDF, il faut prendre en compte que le dispositif ARENH lui imposant depuis peu de vendre non pas 100 mais 120 TWh à ses concurrents, au prix de 46,2 euros/MWh, ne prendra fin qu’en 2025. Avec un prix de marché spot de 470 euros/MWh (source EEX) auquel l’entreprise n’a en ce moment d’autre choix que s’approvisionner, rien qu’en 2023, le dispositif extrêmement pénalisant lui causera une perte supérieure à 48 milliards d’euros.

Or, à 10,22 euros l’action, l’actuelle capitalisation de l’opérateur historique de l’ordre de 40 milliards d’euros est donc inférieure au manque à gagner que va lui infliger l’ARENH pour la seule année 2023 ; sans parler de l’ardoise que lui inflige également notre paternaliste État, au titre d’un bouclier tarifaire pierre angulaire de sa politique de préservation du pouvoir d’achat !

Et ni Conseil Constitutionnel, ni Conseil d’État, ni Autorité des Marchés Financiers ne semblent trouver à redire à cette concussion gouvernementale en préparation dans l’indifférence générale…

Outre le fait que l’État français, actionnaire majoritaire d’EDF, mérite d’être traduit devant l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) – et il le sera ! – pour avoir délibérément rincé les actionnaires minoritaires au moyen de lois et de décrets léonins, en dehors de refiler au seul contribuable le financement de la condition hautement et dangereusement délabrée de l’opérateur historique, la nationalisation de ce dernier ne lui ouvre de facto aucune des opportunités commerciales et même industrielles qu’Élisabeth Borne vient cyniquement de vendre aux Français avec la bénédiction des éminents experts auxquels, peu ou prou, EDF doit son naufrage.

Pourquoi ? Parce que laisser croire à nos compatriotes que, par le moyen de la nationalisation, la France va pouvoir réinstaurer son marché électrique d’avant 2008 est la dernière imposture perpétrée par un État qui n’en est plus à une près. Pour vous en convaincre, je vous livre ci-après cet éloquent extrait du n°114 de la Lettre Géopolitique de l’électricité accessible au lien www.geopolitique-electricite.fr :

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…Les Etats membres et le Parlement européen, ayant décidé au tournant du siècle de mettre en concurrence les fournisseurs d’électricité, les Règles de Concurrence du Traité de Fonctionnement de l’Union Européenne s’appliquent désormais aux compagnies d’électricité. Une abondante jurisprudence s’y ajoute, dont celle de la Cour de Justice de l’Union. Lorsque le commerce entre Etats est concerné, ce qui est souvent le cas d’EDF, grand exportateur, l’autorité de la concurrence relève de la Commission européenne. 

L’offre en électricité étant nettement moins diversifiée qu’ailleurs, la Commission européenne estime que la pression sur les prix est le critère prioritaire de la concurrence. Taxes et coût d’acheminement étant identiques pour tous, cette pression ne peut venir que des coûts de production et de commercialisation. Les coûts de production sont, de loin, les plus élevés : En électricité, seule la concurrence entre producteurs est efficace. 

Nos pouvoirs publics français souhaitaient conserver des Tarifs Réglementés de Vente (TRV) proposés par EDF, sensés garantir aux Français des factures basses liées au faible coût du nucléaire national. Les TRV, tarifs administrés, nécessitent des dérogations. A la suite d’un refus de la Commission européenne, le gouvernement mit en place une commission, la Commission Champsaur, et la chargea de lui faire des propositions d’organisation du marché français de l’électricité.

La Commission Champsaur crut déceler une lacune dans les règles de concurrence : « ...aucun outil [du droit communautaire de la concurrence] ne permet de traiter ex-ante le problème de la production de base [de l’électricité] en France » (Rapport Public 2008, p.10). Le nombre des concurrents d’EDF lui paraissait trop faible pour que le libre choix du consommateur français s’exerce pleinement. C’est l’inverse qui est vrai. C’est le libre choix du consommateur français qui provoque le faible nombre de concurrents. Certains pourraient s’établir en France mais ne le font pas, anticipant que le libre choix des Français les écartera, leurs prix étant trop élevés. Il n’y a alors pas de lacune. La Commission Champsaur, commission nationale, n’avait aucune compétence ni légitimité pour juger de la validité du droit communautaire. Croyant combler une lacune, elle se plaça hors règles de concurrence en proposant un dispositif, l’ARENH. En conséquence comme prévu au Chapitre I : 

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L’Autorité de Concurrence française constata : « [l’ARENH] conduit à s’écarter des conditions normales de fonctionnement d’un marché concurrentiel ». 

L’ARENH (Accès Réglementé à l’Electricité Nucléaire Historique) oblige EDF à fournir à ses concurrents une part de sa production nucléaire à prix doux fixé par l’Etat, privant notablement cette dernière d’un avantage concurrentiel crucial, le faible coût de sa production nucléaire. L’ARENH qui fut intégré dans la Loi NOME (2010) hors règles de concurrence devait obtenir une dérogation, accordée par la Commission Européenne en 2012. Le dispositif suscita la ruée des concurrents d’EDF profitant d’autant plus de l’aubaine que le prix est bloqué depuis onze ans ; fin 2021, ils sont quatre-vingts. Selon le Président de la Commission de Régulation de l’Energie, « Il y a désormais trop d’acteurs sur le marché de l’électricité »…

Ainsi, que l’État français le veuille ou non, en tant que membre décisionnaire de la concurrence des fournisseurs d’électricité en UE, demeure-t-il pieds et poings liés à cette institution et, surtout, dans l’impossibilité d’en dénoncer quelque traité que ce soit. Pour sauver une industrie et un marché nationaux en perdition, il va donc lui falloir trouver bien autre chose que la nationalisation d’EDF et surtout désigner aux Français un autre bouc émissaire que cette UE qui, voilà 14 ans, lui fournissait pourtant à son corps défendant une occasion en or de tuer le marché européen de l’électricité. Au lieu de s’emparer de ce dernier comme d’une arme de conquête massive – EDF n’avait à l’époque aucun concurrent sérieux – les géniaux collaborateurs et conseillers de Sarkozy ne trouvèrent rien de mieux que quémander à Bruxelles la dérogation d’y soustraire le pays… au prix d’une livraison d’EDF aux chiens de la magouille marchande administrée, venus de l’Europe entière et même d’au-delà.

Non, mesdames et messieurs d’Élysée-Matignon, vous aurez beau tourner le gravissime problème électroénergétique français dans tous les sens, sa solution ne passe désormais que par la re création de la prestigieuse EDF de Marcel Boiteux, aujourd’hui destinée à opérer dans le seul cadre tolérable par Bruxelles : l’authentique concurrence restant encore à lui imposer.

Contrairement à une idée largement reçue dans l’opinion, cette EDF là n’avait rigoureusement rien à voir avec la soviétisation qu’on lui prépare et, en tant qu’architecte industriel multi expert, maître d’œuvre et maître d’ouvrage du plan Messmer, se trouvait au cœur d’un vaste écosystème industriel et artisanal tirant la croissance du pays.

Le pronostic est donc sans appel : sans le préalable de la reconstitution à l’identique de cet écosystème délibérément dévasté par des années d’incurie, d’impéritie et d’idéologie gouvernementales, le programme annoncé du rétablissement de la saga nucléaire française promet d’être un four technico économique de type Olkiluoto à la puissance 6 ou 10… et peut-être même de sombrer avant d’avoir dépassé les velléités d’un roi enfin résigné à se découvrir nu.   

André Pellen

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