Sommet social : le macronisme sans boussole<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron s'adresse aux journalistes depuis l'Elysée.
Emmanuel Macron s'adresse aux journalistes depuis l'Elysée.
©LUDOVIC MARIN / AFP

Doctrine

Alors que la possibilité d’une réforme des retraites est à nouveau mise en avant par le gouvernement, impossible de savoir sur quelle vision économique et sociale s’appuie le président.

Jérôme Besnard

Jérôme Besnard

Jérôme Besnard est journaliste, essayiste (La droite imaginaire, 2018) et chargé d’enseignements en droit constitutionnel à l’Université de Paris.

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Pierre Bentata

Pierre Bentata

Pierre Bentata est Maître de conférences à la Faculté de Droit et Science Politique d'Aix Marseille Université. 

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Atlantico : Emmanuel Macron reçoit demain les représentants des syndicats de salariés et du patronat afin d’évoquer les réformes à venir. Ses récentes déclarations permettent-elles de savoir quelle doctrine le gouvernement entend mener pour atteindre ses objectifs économiques et sociaux ?

Pierre Bentata : Tout dépend de la temporalité observée. Si on regarde uniquement récemment, on a de quoi être un peu perplexe parce qu’on a des annonces contradictoires. Il y a le sentiment que l’état tente en même temps de mettre en place des réformes, d’avancer sur le calendrier fixé, tout en s’apercevant que ce n’est pas possible car il y a eu les gilets jaunes puis la pandémie qui vont forcer à réorienter. Sur la dernière année, on a du mal à comprendre ce qu’il se passe.

En revanche, si on regarde depuis le début du mandat, il y a quelque chose d’assez cohérent. Dès le départ, il avait indiqué vouloir mettre en place des grandes réformes structurelles – on peut penser ce qu’on veut de leur efficacité – pour rendre le système soutenable, retrouver un équilibre des comptes, etc. C’est dans ce moment qu’on a eu les réformes « libérales », même si elles sont surtout des réformes « de droite » : la baisse de l’impôt sur les sociétés (IS), le jour de carence, la réelle application des 35h dans la fonction publique, la transparence, la loi PACTE, etc. On avait eu ces lois, puis on nous avait annoncé qu’il y aurait un second effet Macron pendant la deuxième partie du mandat, qui serait sociale. De ce point de vue-là, on a quelque chose d’assez cohérent car le président semblait avoir ça en tête. C’est une idée qui se discute politiquement mais qui peut se résumer par : « je fais d’abord de la politique économique ‘de droite’ puis je mets en place une politique sociale ‘de gauche’. » Le problème est que c’est très difficile à lire maintenant car le calendrier a pris du retard et de grandes réformes du premier moment n’ont pas eu lieu, notamment les retraites. Donc on ne sait pas si on est dans le moment de droite ou de gauche ou si on va avoir un en-même temps qui est impossible car on ne peut pas avoir de volet social plus important si on dit aussi qu’il y a un problème de finances. C’est ce qui explique le moment de tension actuel.

Il va donc falloir se poser la question de savoir si on est allé suffisamment loin dans les réformes pour mener une politique sociale ambitieuse, et la réponse est clairement non. C’est très bien tout ce qu’on a eu mais c’est insuffisant :  on a tout de même des impôts plus élevés qu’ailleurs, la réforme de l’IS n’est pas suffisante, les impôts de production pèsent sur les entreprises, le système de retraites est en déséquilibre, il y a un écart entre public et privé qui rend les passerelles impossibles, dans l’éducation on s’effondre toujours, la question de la formation professionnelle et continue n’est pas résolue, etc. Il y avait beaucoup d’ambition au départ mais nous ne sommes pas allés très loin. Dans tous les cas, il y aura des mécontents de cette situation. Si on atteint les mesures sociales très fortes annoncées, ceux qui attendaient des réformes seront déçus, et inversement.

Jérôme Besnard : A moins d’un an de l’élection présidentielle et malgré des sondages encourageants pour lui, Emmanuel Macron est déjà entré en campagne électorale. Le passage du septennat au quinquennat il y a 20 ans a été une catastrophe non seulement constitutionnelle mais aussi politique puisque, en accélérant le rythme politique, on a privilégié la communication au dépend de la réforme. Pour ce qui est de sa réunion du 6 juillet avec les partenaires sociaux, le Président de la République risque fort de se heurter à un mur puisque aucun d’entre eux ne souhaite une éventuelle réforme du système des retraites dans les mois à venir. C’est Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, qui pousse notamment le Président de la République à lancer cette réforme pour souligner le dynamisme gouvernemental à quelques mois de la principale échéance politique française. La maxime « agir pour ne plus subir » constituerait-elle une recette miracle pour cette fin de quinquennat ? Rien n’est moins sûr.

Élu sur un programme plutôt libéral avec une volonté de libérer les énergies, Emmanuel Macron représente-t-il encore cette tendance ?

Pierre Bentata : Si on regarde les réformes qui ont débuté, il y a eu des promesses qui ont été tenues. Il y a bien eu une rationalisation des impôts, une baisse de l’IS, une tentative de simplifier les relations public, privé, la loi PACTE, etc. Donc il y a eu ce moment libéral. La question est, est-ce que ce sont les gilets jaunes et la pandémie qui y ont mis un terme ou est-ce qu’Emmanuel Macron ne souhaitait pas aller plus loin. Il y a eu une volonté de libérer les énergies bien annoncées qui s’est traduite par des réformes mais qui ne sont pas suffisantes.

Jérôme Besnard : Le libéralisme économique appliqué à une politique raisonnable passe avant tout par la concentration des moyens de l’État sur ses missions régaliennes et sur l’application du principe de subsidiarité pour gérer au plus près des citoyens leurs besoins élémentaires. Demandez aux collectivités locales si elles se sont senties mieux traités par les Préfets depuis 2014 ! Sous prétexte d’efficacité on a reconcentré beaucoup de politiques publiques, comme le logement ou la fiscalité locale, au nom d’un jacobinisme éculé. Emmanuel Macron est un produit de la haute fonction publique, pas du monde de l’entreprise ou des élus locaux. Avant même son élection, Emmanuel Macron avouait être plus à l’aise avec le keynésianisme qu’avec une certaine austérité prélude nécessaire à toute volonté de souveraineté économique. Une fois encore, le chef de l’État que se sont donnés les Français en 2017 incarne le pays légal plus que le pays réel. Il n’a pas su combler le déficit de légitimité politique dont souffre notre pays.

Derrière les discours tenus par Emmanuel Macron, est-il possible de trouver une logique d’ensemble aux réformes menées et voulues par le président de la République depuis le début du quinquennat ?

Jérôme Besnard : Si logique il y a eu dans ce quinquennat, c’est bien celle du contrôle de l’État sur l’économie du quotidien au profit du seul actionnariat dans un contexte européen acquis au libre-échange mondial. On taxe le travail mais on laisse agir une finance de plus en plus artificielle. Cette logique avalise dans l’opinion le constat l’impuissance des politiques dont la conséquence logique se traduit par une abstention croissante et des crises de type « gilets jaunes ».

Le président de la République n’a-t-il pas trop tendance à raisonner en termes d’objectifs sans se soucier des moyens d’y parvenir ? 

Pierre Bentata : Selon moi, ce n’est pas un problème à condition que l’on reste dans une logique française. Si le président est en surplomb et choisit un gouvernement qui va lui permettre de mettre en place concrètement ses idées, il n’y a pas de problème. Mais on ne peut pas se présenter comme un président de tradition gaulliste qui est le personnage des idées, qui a une vision et en même temps se conduire en président à l’américaine où tout est fait selon des calculs coût/bénéfice. C’est là la difficulté pour Emmanuel Macron, il essaie d’effectuer une synthèse impossible car la France n’est pas les Etats-Unis. Il ne peut pas être en même temps président et premier ministre, mais c’est un peu ce qu’il est dans ses annonces.

Jérôme Besnard : Emmanuel Macron, tout comme ses récents prédécesseurs, a intériorisé la fin de l’État stratège. La nécessaire relance de la production industrielle en France par exemple, devrait passer par l’Aménagement du territoire, créé par le général de Gaulle à cette fin. Depuis, cette dernière s’est retrouvée fondu avec la politique de la ville dans un guichet de distribution de subventions d’équipements publics. Quel est le rapport ? C’est cette logique d’absence de vision stratégique à long terme dont il faut sortir. Mais le logiciel économique d’Emmanuel Macron ignore cette option. 

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