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S’abstenir au second tour : 
un vote extrémiste
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Cruel Dilemme

Déçus de part et d'autre, la tentation du vote blanc au second tour peut se manifester. Pourtant, comme l'a fait François Bayrou, il s'agit malgré tout de trouver une différence entre les deux finalistes, une raison de choisir. Gaspard Koenig nous explique la logique de son choix.

Gaspard Koenig

Gaspard Koenig

Gaspard Koenig a fondé en 2013 le think-tank libéral GenerationLibre. Il enseigne la philosophie à Sciences Po Paris. Il a travaillé précédemment au cabinet de Christine Lagarde à Bercy, et à la BERD à Londres. Il est l’auteur de romans et d’essais, et apparaît régulièrement dans les médias, notamment à travers ses chroniques dans Les Echos et l’Opinion. 

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Le libéral que je suis a eu maintes fois l’occasion de renvoyer dos à dos l’UMP et le PS, engagés dans une course éperdue à la dépense publique et à l’Etat-nounou. Par ailleurs, j’ai été violemment déçu par la timidité des réformes entreprises par Nicolas Sarkozy, et plus encore par la dérive droitière de sa campagne présidentielle.  

Je ne peux donc que me sentir interpelé lorsque Jacques Attali, dans sa récente « lettre ouverte à un ami de droite », conjure les progressistes de la « droite libérale » de se détourner d’un Président devenu diviseur (comment ne pas avoir honte de la circulaire Guéant empêchant les étudiants étrangers de travailler en France?), et d’un candidat obsédé par les « frontières ». Je ne peux qu’être sensible à l’idée que « si Nicolas Sarkozy est battu, votre droite, la droite libérale, se reprendra ». Et je constate que nombre de personnalités de centre-droit renoncent ouvertement à voter pour le candidat UMP, à commencer par François Bayrou.

Mais quel choix m’offre Jacques Attali aujourd’hui, en l’absence d’un socialiste éclairé comme, sans doute, Dominique Strauss-Kahn l’eût été ?

Voter blanc dimanche, ou pire de ne pas voter du tout ? Je comprends cette tentation, j’entends cet appel venu des libéraux qui m’entourent. Mais ce serait oublier la différence fondamentale entre les deux tours de l’élection présidentielle. Les institutions de la Vème République sont ainsi faites que, une fois toutes les tendances, toutes les voix entendues au premier tour, il faut ensuite mettre son cœur de côté, et laisser sa tête faire un choix entre le moindre de deux maux. Voter blanc au premier tour, c’est rejeter des candidats qui ne correspondent pas à nos opinions. Voter blanc au second tour, c’est rejeter tout un système.

Le vote blanc dimanche serait donc un vote extrême, sinon extrémiste. C’est, faut-il le rappeler, le vote de Marine Le Pen. Je ne voudrais pas que ma voix soit confondue avec la sienne.

Alors oui, il faut avoir le courage de trancher entre deux hommes. Ne me dites pas : c’est du pareil au même, étatisme et populisme. On peut, on doit toujours trouver une différence – fût-elle marginale - et assumer sa préférence – fût-elle réticente. Souvenez-vous de « l’âne de Buridan », ce paradoxe maintes fois commenté de la scolastique médiévale : un âne qui aurait autant faim que soif, et qui se trouverait à mi-distance d’une botte de foin et d’un seau d’eau, mourrait-il sur place faute de pouvoir se décider ? Il n’y a pas d’âne de Buridan en politique : il faut choisir. Car le pays ne sera sans doute pas le même dans cinq ans, suivant que l’un ou l’autre le dirige. 

Ne soyons pas dupes du bruit et de la fureur des campagnes électorales : deux fois plus d’impôts pour la gauche, deux fois moins d’immigrés pour la droite ; probablement ni l’un ni l’autre à l’arrivée.

Restons méfiants vis-à-vis des programmes, qui vont générer – d’après les calculs de l’Institut de l’entreprise – un besoin de financement de 11,4 milliards d’euros pour l’UMP, et de 12,1 milliards d’euros pour le PS.

Cherchons plutôt, en filigrane, le logiciel idéologique des deux hommes.

D’abord dans leurs bilans. Il n’est pas vrai que François Hollande n’en ait pas. En dix ans à la tête du Parti Socialiste, il n’est pas parvenu à effectuer le si nécessaire « Bade Godesberg », du nom du congrès du SPD allemand en 1959 qui a ouvertement embrassé les principes de l’économie de marché. Il n’a pas regardé du côté du Labour Party de Nouvelle-Zélande, qui avait entrepris à la fin des années 80 des mesures de libéralisation exceptionnelles auxquelles le pays doit sa croissance actuelle. Il n’a pas profité du renouvellement idéologique qu’offrait le New Labour britannique de l’autre côté de la Manche. Il n’a même pas tenu compte des intéressants éléments de modernisation qu’offrait Arnaud Monterbourg avec sa « VIème République ». Le PS est resté enquillé dans un appareil conceptuel daté, continuant à opposer les « services publics » et le « secteur marchand », la « classe ouvrière » aux « patrons ». 

S’agissant de Nicolas Sarkozy, je n’aurai pas la cruauté de revenir une énième fois sur les chiffres de son bilan, si compliqués à interpréter en période de crise. Mais sur le plan structurel, il me semble que bon nombre de réformes, certes inachevées, certes insuffisantes, contribuèrent néanmoins à remettre le pays sur les rails du monde moderne : alignement et réforme des retraites, autonomie des Universités, RSA, abolition de la taxe professionnelle, diminution tendancielle des effectifs de la fonction publique, extension du crédit d’impôt recherche, possibilité de ruptures de contrat par consentement mutuel, statut de l’autoentrepreneur. Il est injuste dans le débat actuel de passer sous silence ces avancées positives, sur lesquelles la gauche n’entend pas revenir, heureuse que le sale boulot ait été fait par un autre.

Etudions à présent les réflexes des deux hommes. Hollande a une tendance naturelle à faire appel aux corps intermédiaires ou à demander le « blocage des prix ». Lorsque David Pujadas lui a intelligemment demandé, lors d’une récente émission, s’il ne fallait pas libéraliser l’économie, par exemple en appliquant la Commission Attali, Hollande a immédiatement répondu « non ». « Franchement, s’est-il exclamé, est-ce que c’est le libéralisme, la déréglementation qui va nous permettre de sortir de la crise ? » Ledit Attali est un peu masochiste d’en faire son nouveau héros.

Au contraire, Sarkozy garde en sous-main les réflexes d’une droite acquise à la liberté d’échanger et d’entreprendre. Sur les prix du gaz et de l’électricité comme sur la dette, il reconnaît la nécessité de s’adapter aux marchés internationaux, sans entretenir l’illusion que l’on pourrait les « soumettre ». Sur les délocalisations, il promet de baisser le coût du travail plutôt que de fermer les frontières (en décalage d’ailleurs avec son discours sur l’immigration). Sur la fonction publique, il assume les suppressions de postes. Sur la flexibilité du marché du travail, il souhaite faire primer la négociation contractuelle au sein de l’entreprise sur la ridigité de la loi. On l’a même entendu parler récemment, agréable surprise, d’un « nouveau modèle français où les rapports sociaux dans l'entreprise seront différents, où parler de souplesse n'est pas un crime ».

On l’aura compris, je me rangerai donc à la consigne de vote donnée par The Economist dans son édition du 28 avril : « if we had a vote on May 6th, we would give it to Mr Sarkozy – but not on his merits, so much as to keep out Mr Hollande ». En dépit de ses échecs et de ses dérives, j’ai l’espoir que le logiciel idéologique de Sarkozy soit plus bénéfique, ou plutôt moins dommageable, pour notre pays.

Alors, malgré toutes nos réticences, ne soyons pas des ânes (de Buridan) : votons pour Nicolas Sarkozy le 6 mai, sans enthousiasme mais sans hésitation. Le vrai combat commencera le 7 mai, pour reconstruire une droite plus libérale. 

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