Sapin et Macron plaident le cas français à Berlin : comment ils pourraient tourner la dégradation de la situation économique allemande à l’avantage de l’Europe<!-- --> | Atlantico.fr
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Angela Merkel rencontrera ce lundi 20 octobre les ministres français Emmanuel Macron et Michel Sapin.
Angela Merkel rencontrera ce lundi 20 octobre les ministres français Emmanuel Macron et Michel Sapin.
©Reuters

Opportunité

Les ministres de l’Économie et des Finances rencontrent ce lundi 20 octobre la dirigeante d'une Allemagne qui commence à douter. Les indicateurs outre-Rhin sont mauvais et le pays n'apparaît plus forcément comme un modèle dans une Europe en crise.

Mathieu  Bion

Mathieu Bion

Mathieu Bion est journaliste et rédacteur en chef adjoint de l'Agence Europe, une agence de presse internationale spécialisée dans la couverture de l'Union européenne et de ses institutions. 

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Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Atlantico : Emmanuel Macron et Michel Sapin sont ce lundi 20 octobre à Berlin. L'Allemagne connaît des difficultés économiques qui peuvent influencer la teneur de cette rencontre, bien plus en tout cas que lors de la précédente visite de Manuel Valls il y a un mois. Qu'est-ce qui a radicalement changé entre ces deux dates en Allemagne ?

Alexandre Delaigue : En réalité, on constate surtout des choses qui existent déjà depuis des années. On oublie souvent en effet que si l’on regarde les chiffres de la croissance depuis 2000, l’Allemagne est à peine supérieure à la France. Et depuis 2010, la France est même devant. La faiblesse de la croissance allemande n’a donc rien de nouveau. Il y a eu un effet de focalisation positif sur l’Allemagne car elle se portait plutôt moins mal que les autres pendant la crise, on en a donc tiré des conclusions un peu trop définitives. Les fragilités sont pourtant connues : une dépendance trop grande aux exportations, et la faiblesse de ses importations qui est le signe de l’incapacité de transformer les gains de l’export en pouvoir d’achat pour la population. Je rappelle d’ailleurs que l’Allemagne a un excédent supérieur à la Chine… Depuis que la conjoncture – et notamment en Chine et dans les pays émergents – est mauvaise, l’économie allemande exporte moins, et son incapacité à avoir un moteur interne ressort.   

Mathieu Bion : L’Allemagne dépend beaucoup de ses exportations, notamment celles qu’elle réalise dans l’UE. Donc si ses partenaires vont mal, cela rejaillit sur sa santé économique. Les économies européennes sont bon an mal an de plus en plus interdépendantes. Donc quand l’un tousse, les autres s’enrhument également, et c’est d’autant plus vrai pour l’Allemagne qui est la première économie de la zone euro. Et c’est pour cela qu’on lui demande de rééquilibrer un peu en investissant au niveau intérieur. En 2015 d’ailleurs, le salaire minimum devra favoriser la consommation. La CDU cependant freine les investissements qui devraient être faits dans les infrastructures.

Dans quel sens les difficultés allemandes peuvent-elles modifier le rapport franco-allemand ? Va-t-on aller vers plus de souplesse vis-à-vis de la France, ou la position allemande pourrait-elle au contraire se "rigidifier" face aux difficultés ?

Alexandre Delaigue : Deux scénarios sont en effet possibles. Le premier, celui que beaucoup espèrent et qui est attendu par beaucoup d’économistes, prétend que l’Allemagne, face à ses problèmes, va devenir moins intransigeante sur les contraintes et les sanctions à imposer sur les pays qui font peu d’efforts.

Personnellement, je pense que cela pourrait être exactement l’inverse. Il y a vraiment en Allemagne – et sans doute plus dans l’opinion que dans la classe politique – une vision morale de la crise. On est dans une logique de type "nous avons fait des efforts, nous avons été récompensés. Si nous retraversons des difficultés, nous devons recommencer à faire des efforts." Et faire des "efforts", cela veut dire "souffrir". C’est-à-dire des contraintes au niveau salarial pour obtenir plus de compétitivité, de l’austérité budgétaire, bref l’inverse de ce qu’il faudrait faire, car l’Allemagne a un vrai besoin de relance économique et de modernisation de ses infrastructures. Or, en économie, ce n’est pas celui qui "souffre" le plus qui réussit forcément le mieux. Pourtant, la population allemande est beaucoup plus radicale qu’Angela Merkel.

Mathieu Bion : Personne n’a intérêt à aller à l’affrontement ouvert. Si la France va mal, cela impacte l’Allemagne. L’objectif est donc de sortir par le haut de cette situation et que tout le monde garde la face. La France va multiplier les initiatives pour donner des gages à son partenaire. A Berlin, le ministre de l’Economie a déjà le soutien du SPD sur le fait que l’Allemagne peut de son côté faire un peu plus. Mais ce qui sera important  pour la France, ce sera d’avoir un vrai message de l’Allemagne qui pourra ensuite être écouté à la Commission européenne, et impacter favorablement l’analyse du budget que la France a proposé à l’UE.  

Sur quels arguments la France pourrait-elle s'appuyer pour faire comprendre à l'Allemagne que ses difficultés ne sont pas seulement conjoncturelles et qu'un assouplissement profitant aux deux parties est nécessaire ? 

Alexandre Delaigue : L’argument qui aurait le plus de poids – mais il est trop tôt pour savoir si c’est celui qui sera utilisé – c’est d’agiter la crainte qu’ont les Allemands d’une crise de la zone euro, des réunions interministérielles de sauvetage qui durent une bonne partie de la nuit, et une pression des marchés. C’est pour cela d’ailleurs que l’Allemagne et Bruxelles essaient de trouver une posture pour être conciliant avec la France et l’Italie par peur de retourner dans cette crise justement. On est même dans une situation assez paradoxale car avant la pression des marchés s’exerçaient sur les pays en difficultés avec des dettes importantes, maintenant elle s’exerce sur l’Allemagne pour la pousser à lâcher du lest pour ne pas relancer la crise de la zone euro.  

Mais la France va être aussi dans une position pour sauver les apparences car le gouvernement français a les mains liées : le discours de l’austérité est très dangereux sur le plan intérieur, et vis-à-vis de l’extérieur elle doit essayer d’apparaître comme une bonne élève.

Mathieu Bion : L’Allemagne a une vision très juridique de l’Europe. Elle martèle que des règles existent et qu’elles doivent être respectées, c’est ce qu’elle a toujours demandé à la France. Mais ces règles comprennent aussi des clauses de flexibilité pour prendre en compte la réalité de la situation économique. La France va donc jouer sur le respect qu’elle a de ses règles, dans la mesure où elles permettent cette flexibilité. La France veut aussi montrer à l’Allemagne qu’elle joue le jeu de la réforme structurelle, d’où la présentation par Emmanuel Macron de son projet économique. Bien sûr entre l’annonce des mesures, et leur adoption, on peut s’attendre à de nombreux changements… Cependant comme il y a de forte chance que la Commission qui va évaluer le projet de budget de la France n’aura pas toutes les données en main des futurs dispositifs proposés par Emmanuel Macron (car ils ne seront étudiés qu’en décembre), il risque d’être difficile de les prendre vraiment en compte…

Si la position française est mieux entendue, que peut alors espérer obtenir la France de l'Allemagne ? Quelles sont ses demandes et sur lesquelles l'Allemagne pourrait-elle être plus souple ?

Alexandre Delaigue :Tout ce qui est possible de gagner, ce sont des délais. On aura beaucoup de mal à se positionner sur le rejet absolu de l’austérité ou l’idée d’un grand plan de relance. Mais un délai est envisageable. Et il ne faut pas oublier que comme le disait le président américain Coolidge, beaucoup de problèmes se résolvent en restant assis sur une chaise et en attendant que ça passe. L’attentisme est souvent une issue…

Mathieu Bion : Cette visite intervient quelques jours avant le sommet de la zone euro. La France, qui ne renie pas le pacte de stabilité, espère la prise en compte d’une situation économique difficile. Elle n’y sera pas la seule dont les engagements budgétaires ne pourront pas être respectés, ce qui lui permettra d’être d’autant plus entendu. Si cette stratégie fonctionne, la France peut obtenir l’application des rèles de flexibilité déjà inscrites dans le Pacte de responsabilité qui permettra d’obtenir un ralentissement des obligations de réduction du déficit.

Un sommet de la zone euro sera organisé à Bruxelles le 24 octobre prochain. Que doit absolument obtenir la France de l'Allemagne pour aborder cette échéance de la meilleure des manières, alors qu'elle souffre des risques économiques et diplomatiques de son déficit incontrôlable ?

Mathieu Bion : Un sujet consensuel est d’intensifier au niveau européen les investissements. Ce n’est pas anodin car plusieurs économistes des deux pays réfléchissent justement aux projets qu’il serait possible de mener, pour fixer des orientations à la future Commission Juncker qui devra plancher dans les trois mois sur un plan d’investissement que Juncker lui-même a promis. Les deux pays vont donc devoir arriver à ce sommet en étant le plus concret possible sur leurs attentes. Je doute par contre qu’il y ait grand-chose sur le budget français à ce sommet, notamment car cela avait déjà été discuté lors d’un précédent sommet où les Français et les Italiens ont beaucoup poussé pour faire reconnaître le caractère délicat de la conjoncture.

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