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Retraites : la réforme bien partie pour se traduire par une facture astronomique
©DOMINIQUE FAGET / AFP

Dérive des finances publiques

Alors que le mouvement de grève et de contestation contre la réforme se poursuit, le gouvernement a annoncé des mesures pour les policiers ou des hausses de salaires pour les enseignants. Le coût de la "désescalade" et des mesures annoncées lors des négociations pourrait être très élevé.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Jacques Bichot

Jacques Bichot

Jacques Bichot est Professeur émérite d’économie de l’Université Jean Moulin (Lyon 3), et membre honoraire du Conseil économique et social.

Ses derniers ouvrages parus sont : Le Labyrinthe aux éditions des Belles Lettres en 2015, Retraites : le dictionnaire de la réforme. L’Harmattan, 2010, Les enjeux 2012 de A à Z. L’Harmattan, 2012, et La retraite en liberté, au Cherche-midi, en janvier 2017.

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Atlantico.fr : Ce mardi avait lieu la troisième journée de manifestation contre la réforme des retraites et le mouvement ne devrait pas désemplir durant la période de Noël puisque les syndicats -hormis la CFDT- ont déjà annoncé qu'ils étaient opposés à une période de trève.

Alors que les syndicats ne faiblissent pas, le gouvernement a déjà commencé à faire certaines concessions. Pas de changement pour les régimes spéciaux des policiers, hausses de salaires pour les professeurs... A-t-on une idée du coût de la "désescalade" ? 

Jacques Bichot : A ce stade, nous ne disposons pas des éléments qui permettraient de chiffrer le coût pécuniaire des concessions envisagées par les pouvoirs publics. D’autant qu’une bonne partie de ces coûts seront reportés dans le futur. Par exemple, ne pas revenir sur la possibilité de partir à la retraite très jeune, disons 55 ans, tout en bénéficiant du taux plein, fait renoncer à des économies futures qui iraient croissant : si l’âge pivot retenu est 64 ans, un départ à 55 ans augmentera le nombre de pensions à payer pour disons 10 000 personnes la première année, puis 20 000 la seconde année, et ainsi de suite jusqu’à 90 000 à partir de la neuvième année. C’est donc un très mauvais coup à faire aux successeurs de Macron, Philippe, et des principaux ministres concernés : ils devront trouver dans l’impôt, les cotisations ou l’emprunt des ressources qui passeront progressivement de 1 à 9.

Faisons une simulation grossière, à ne pas prendre au pied de la lettre. Supposons que la pension moyenne soit 2 000 € par mois, 24 000 € par an. Pour 10 000 pensions, cela fait 240 millions à payer. Donc l’absence d’économie sera de 240 M€ la première année, 480 M€ la seconde, et ainsi de suite jusqu’à 2,16 Md€ par an à partir de la neuvième année. Or les effectifs à prendre en compte sont probablement bien supérieurs à 10 000 par an.

Certains diront que l’absence d’économie n’est pas un coût. Avec un raisonnement pareil, n’importe quelle entreprise soumise à la concurrence irait droit dans le mur. Parce que si vos concurrents font cette économie et pas vous, vos marges vont diminuer, puis devenir négatives, et pour finir ce sera le dépôt de bilan. La France a certes une capacité d’emprunt qui lui évitera la faillite, et les taux négatifs actuels sur les emprunts des Etats « respectables » faciliteront les choses. Mais la folie des taux négatifs, que des économistes en nombre croissant commencent à dénoncer, est très nocive à long terme, du fait qu’elle dissimule la réalité économique.

Michel Ruimy : La question du coût de cette désescalade est difficilement chiffrable pour la simple et bonne raison que nous ne savons pas jusqu’où cela peut aller. Le gouvernement s’arrêtera-t-il à ces mesures ou lâchera-t-il encore du lest ? 

Tout dépendra de la forme, de l’ampleur et de la durée de la contestation et des gestes du gouvernement. En effet, si nous regardons les conflits passés, on arrive aujourd’hui à un moment critique - 10 jours de conflit - où les grévistes ont trop perdu pour reprendre le travail avec rien ou quelques miettes. On risque d’atteindre un point de bascule où le mouvement de contestation prend une dimension nouvelle qui peut devenir irrationnelle. Gardons en mémoire le mouvement des « Gilets jaunes » qui dure depuis plus d’1 an. Autrement dit, il ne faudrait pas que la réforme des retraites suscitent une crise du secteur public comme la taxe carbone avait mis le feu aux « Gilets jaunes ».

Dans une première approche pour réaliser ce chiffrage, il convient notamment de prendre en considération les coûts directs et induits. En effet, les engagements présents du gouvernement s’étendent sur la durée car la hausse des salaires des professeurs par exemple, a un coût aujourd’hui pour les finances publiques (augmentation du pouvoir d’achat qu’il convient de contrebalancer avec l’accroissement des recettes fiscales) mais aussi futur avec sa prise en compte dans le calcul des droits à la retraite, sans oublier le montant des éventuelles pensions de réversion... 

En outre, il convient de tenir compte également des coûts indirects comme l’impact de la grève sur l’activité économique mais aussi des dégradations sur la voie publique, de l’image de la France à l’international, etc. 
On le voit tout ceci est loin d’être exhaustif. De nombreux paramètres sont à prendre en compte et plusieurs angles d’évaluation sont possibles pour établir ce chiffrage. 

Mais, au lieu de se lancer dans les calculs financiers, n’aurait-il pas mieux fallu, pour le gouvernement, de devancer les demandes des divers groupes bien avant que d’attendre un conflit pour les satisfaire ? Le gouvernement a trop longtemps tardé à prendre la mesure du malaise comme il n’avait pas vu la crise du pouvoir d’achat et le sentiment d’abandon des classes moyennes.

En pliant devant chaque catégorie socio-professionnelle -au moins sur certains points- le gouvernement risque de se retrouver avec une addition particulièrement salée. Ces concessions sont-elles véritablement viables ? Au vu de la facture qui se profile à l'horizon est-ce même possible ? 

Jacques Bichot : Encore une fois, il ne s’agit pas actuellement d’augmenter les dépenses, mais de ne pas réaliser des économies qui étaient envisagées. Le budget public global (Etat plus régimes sociaux plus collectivités territoriales) restera en déséquilibre sans que pour autant soient effectuées les dépenses qui, elles, feraient progresser la France. Nous avons un enseignement dont le niveau n’est pas terrible (cf. la récente évaluation Pisa), des infrastructures qui ne sont pas améliorées à un rythme suffisant, des prisons surpeuplées, des tribunaux qui rendent la justice à la vitesse de l’escargot, des militaires qui meurent parce que le matériel dont ils disposent n’est pas à la hauteur : c’est tout cela qui va continuer à ne pas s’améliorer pour permettre à quelques privilégiés de farnienter à partir de 55 ans. Bien sûr, je caricature, mais c’est bien dans ce sens-là que nous risquons d’aller, une fois de plus.

Michel Ruimy : En choisissant de renoncer, dans l’immédiat, à des mesures d’économies, Emmanuel Macron cherche à parvenir à un compromis. Mais, avec les mesures qu’il aura prises pour faire passer la réforme des retraites et les concessions financières qu’il a faites, Emmanuel Macron, lui qui se voulait être le bon élève de l’Europe, risque de s’attirer les « foudres » de Bruxelles en ayant du mal à boucler les prochains budgets et en ne respectant pas nos engagements européens en matière de finances publiques. La France risque donc de s’exposer à une procédure de déficit excessif si le déficit était au-dessus de 3% pendant deux ans ou au-dessus de 3,5% pendant un an.

Deux possibilités s’offrent alors à lui. La première serait de baisser la dépense publique au risque d’alimenter encore un peu plus la grogne des « Gilets jaunes » sur le recul des services publics dans les territoires. Or, ce qui se joue actuellement, c’est un besoin de services publics et de solidarité. La seconde option serait de trouver de nouvelles rentrées financières - piste encore inexplorée à ce jour - en renforçant encore plus, par exemple, la lutte contre l’évasion fiscale et / ou en incitant les grandes entreprises et les individus les plus fortunés à une responsabilité sociale : aider leurs concitoyens. 

La France a besoin de réformes structurelles pour rester compétitive au plan économique. Celles-ci nécessitent d’importants capitaux. Avec un ratio d’Endettement public / PIB proche de 100%, les marges de manœuvre sont forcément limitées. La France, avec d’autres pays, risque de se retrouver à terme dans une terre inconnue : un monde de dettes insolvables. 

Enfin si l'on ignore encore le coût de la réforme, ne risque-t-elle pas, à coup de justice sociale et de concession, d'être astronomique ? Comment le gouvernement peut-il limiter les dépenses ?

Jacques Bichot : Il faudrait interdire l’usage de la répartition pour tous les avantages en matière de pension qui vont au-delà du régime universel. Dès lors que la SNCF, la RATP, l’Etat, etc., seraient légalement tenus de ne distribuer des « plus » par rapport à la retraite du salarié ordinaire qu’en versant des cotisations à des fonds de pension, l’addition, la « douloureuse », comme on dit familièrement, jouerait son rôle de frein aux comportements irresponsables. La SNCF veut continuer à servir des retraites à 55 ans à des personnes qui pourraient sans difficulté travailler aussi longtemps que dans le privé : fort bien, qu’elle le fasse, mais en abondant un fonds de pension, c’est-à-dire en ne repoussant pas ses dépenses d’une dizaine d’années. 

Il ne faut pas compter sur le Gouvernement pour limiter spontanément la dépense publique. Il faut que le législateur, pour une fois, fasse preuve d’autorité, et l’oblige à provisionner tout ce qui, dans les retraites de ses fonctionnaires, est plus généreux que dans le régime universel. Le système actuel, qui permet de donner des avantages en comptant, pour les payer, sur des rentrées fiscales bien ultérieures, est une sorte de « cavalerie », il doit être interdit. Au lieu de voter des lois de finance incompréhensibles, sous la menace du 49-3, les parlementaires devraient laisser le Gouvernement gouverner, mais exiger le respect des règles fondamentales de la comptabilité, particulièrement le provisionnement des dépenses futures qui résultent d’actions immédiates. 

Concrètement, si l’on permet par exemple aux gardiens de prison de prendre une retraite précoce – ce qui peut parfaitement se justifier, ce n’est pas le plus agréable des métiers – il convient de cotiser pour eux à un fonds de pension, reconnaissant ainsi que l’emploi du gardien de prison coûte, du fait de sa retraite précoce, nettement plus que son traitement annuel. Tant que cette rigueur comptable ne sera pas instaurée, nos gouvernements prendront des décisions démagogiques en reportant sur leurs successeurs une bonne partie de l’addition. C’est cela qui doit changer. 

Payer cash, en cotisant à un fonds de pension, tout avantage accordé en matière de retraite en sus du régime universel, devrait être un impératif absolu. Je ne suis pas juriste, mais il me semble que notre Constitution actuelle devrait suffire pour imposer cette conduite responsable à des gouvernements désireux de reporter indûment l’addition sur leurs successeurs. Je crains que le Conseil Constitutionnel, en l’espèce, fasse preuve assez régulièrement d’une mansuétude inadmissible vis-à-vis de libertés que prend l’Exécutif avec la discipline comptable, base de toute démocratie sérieuse, et inscrite dans notre constitution à l’article 47-2.

Michel Ruimy : La France a besoin de se réformer et la réforme des retraites est une réforme structurelle très importante qui vient après d’autres réformes. Le fait qu’il y ait beaucoup d’oppositions est compréhensible et n’est pas surprenant. C’est dans la « culture française ». Quand rien ne se passe dans les rues françaises, ceci signifie que le gouvernement ne fait rien. A contrario, s’il se passe quelque chose, ceci signifie que le gouvernement d’efforce de réformer. C’est donc un bon signe. 

Le problème est de savoir à quel prix ? Car il ne s’agit pas uniquement d’un coût immédiat mais d’un coût qui va s’étaler dans le temps. Donc, le montant à payer sera nécessairement élevé mais légitime si nous voulons conserver notre régime de retraites. 

Concernant les dépenses, le gouvernement doit-il immédiatement songer aux économies alors que la réforme envisagée est profonde ? Les marges de manœuvre dépendront entièrement de la situation. 

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