Reprise des négociations sur le nucléaire iranien : le long chemin miné qu’il reste à parcourir pour obtenir un accord gagnant-gagnant<!-- --> | Atlantico.fr
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Hassan Rouhani, le président iranien.
Hassan Rouhani, le président iranien.
©Reuters

Intérêts contraires... Ou pas

L'Iran et les "5+1" (Allemagne, Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni, Russie) se retrouvent à la table des négociations à Vienne du mardi 18 au lundi 24 novembre en vue de trouver un accord sur le programme nucléaire iranien, ou au moins de rapprocher leurs positions.

Thierry Coville

Thierry Coville

Thierry Coville est chercheur à l’IRIS, spécialiste de l’Iran. Il est professeur à Novancia où il enseigne la macroéconomie, l’économie internationale et le risque-pays.
 
Docteur en sciences économiques, il effectue depuis près de 20 ans des recherches sur l’Iran contemporain et a publié de nombreux articles et plusieurs ouvrages sur ce sujet.
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Atlantico : Quels sont les intérêts de l'Iran dans le cadre de ces négociations ?

Thierry Coville : Côté iranien, l'objectif affiché est de parvenir à un accord sur la question du nucléaire iranien en préservant les "lignes rouges du régime, c’est-à-dire le droit à l'enrichissement d'uranium. Leur intérêt est donc de légitimer leur programme nucléaire, qui a occasionné beaucoup d'investissements financiers et politiques. Au niveau intérieur il est important pour le pouvoir de montrer qu'en dépit de la volonté occidentale, l'Iran continue de progresser sur le plan technologique. De plus, le nucléaire permettrait de diversifier les sources énergétiques, ce qui n'est pas négligeable.

Le gouvernement iranien, et plus précisément le camp de Rohani, a été élu sur la base électorale du règlement de la question nucléaire par la négociation. En cas de résultat favorable, le camp des conservateurs modérés et des réformateurs bénéficiera d'un gain politique interne. Comme Rohani s'est fait élire sur la base de la modération, de la privatisation économique et de l'ouverture, son électorat espère que ce succès lui permettra de lancer des réformes politiques et économiques.

Sur un plan plus régional, le régime voulant être une puissance qui compte, il a pris conscience qu'il devait revoir ses alliances. Pour le moment il est trop isolé, notamment face à la menace de Daesh. On ne sait pas encore la forme que cela prendra, mais une alliance avec les Etats-Unis pour contrer Daesh pourrait prendre forme. Les relations extérieures permettront d'attirer les investissements, et donc de relancer l'économie. Enfin, un autre objectif serait de renforcer son rôle de puissance régional en participant au règlement de différentes crises régionales (Syrie, Afghanistan). Il s'agit notamment de s'affirmer devant l'Arabie Saoudite en tant que la puissance régionale.

Face à l'Iran, les Etats-Unis... Quels sont les intérêts qui les guident dans ces négociations ?

Barack Obama a été élu la première fois dans un contexte de prise de conscience de l'inefficacité des politiques contraignantes à l'égard de l'Iran. Sanctions, menaces de guerre, soutien à l'opposition : rien n'a permis de changer de régime. De plus, les Etats-Unis ont des intérêts économiques à traiter de nouveau avec l'Iran, et des intérêts diplomatiques également – sur les questions irakiennes, syrienne et afghane. Seulement, en 2009 Mahmoud Ahmadinejad a été réélu, ce qui a poussé Obama à reporter sa politique de la main tendue. Ceci dit, on sait que les négociations avaient déjà commencé en secret sous Ahmadinejad. Pour Obama, qui est très contesté au plan intérieur, ce serait un large succès diplomatique que d'être le premier président américain qui arrive à renouer avec l'Iran depuis la révolution de 1979.

Les Etats-Unis s'attendent-ils à trouver dans le régime iranien un pôle de stabilité permettant de contenir la menace islamiste ?

Le seul Etat qui lutte contre Daesh – Kurdes mis à part, donc – c'est l'Iran, qui a envoyé des conseillers militaires pour soutenir l'armée syrienne, puis l'armée irakienne. On peut supposer que des armes ont été envoyées, ou encore que des milices chiites en Irak sont directement dirigées par l'Iran. Et par rapport à l'Arabie saoudite et la Turquie, l'Iran est directement engagé dans la lutte contre Daesh.

Américains et Iraniens ont donc un ennemi commun, mais les deux puissances devraient rester discrètes dans leur éventuelle collaboration, car si celle-ci était trop manifeste cela poserait problème vis-à-vis d'Israël et de l'Arabie saoudite. Pour le moment la première étape est celle de la résolution du nucléaire, et ensuite d'autres dossiers pourraient suivre.

Le Royaume-Uni et la France ont-ils exactement les mêmes intérêts que les Etats-Unis dans le cadre de ces négociations ?

Chaque pays a ses intérêts, mais tous les membres du 5+1 ont un intérêt à résoudre la crise par la négociation depuis que le processus a été lancé fin 2013 à Genève.  Ils se rendent compte que l'opportunité est historique. Ceci dit, les motivations ne sont pas forcément les mêmes. Côté britannique et français, l'intérêt économique est évident. Les Britanniques, et surtout la France, étaient très présents sur le sol iranien avant que ne soit appliquée la politique de sanction. Peugeot a renoué, cela pourrait se faire aussi avec Airbus et Total… Plus qu'une coopération avec l'Iran pour régler des crises régionales, le gouvernement français est surtout motivé par l'attrait du marché iranien.

Que veulent la Russie et la Chine ?

La Russie a toujours considéré que l'Iran avait droit à un programme nucléaire civil, elle s'est montrée opposée aux sanctions bilatérales qui sont surtout venues de l'Europe et des Etats-Unis. L'idée d'une sortie de crise par négociation va donc dans leur sens, d'autant que les intérêts  économiques russes sont évidents, dans la mesure où ils obtenu la construction de deux réacteur nucléaires en Iran. De même, des contrats d'armement seront sûrement signés.

Les Chinois quant à eux sont moins exposés sur la question du nucléaire iranien, mais sont sur la même ligne que les Russes. Depuis que les Européens se sont retirés, l'Empire du milieu est devenu le premier partenaire économique de l'Iran. On peut penser que les Chinois profitent de la situation de blocage, mais si l'économie iranienne se porte mieux grâce à la levée des sanctions, cela  leur profitera forcément

Faut-il pour autant croire que tout va se résoudre entre les différentes parties rassemblées à Vienne ? Ne risque-t-on pas de pêcher par optimisme ?

Les tensions étaient telles entre les Occidentaux et les Iraniens, qu'on ne peut pas nier le caractère très important de cet accord. Celui-ci peut clairement signifier une nouvelle ère pour la région. Ceci dit, personne ne peut dire combien de temps la normalisation des relations prendra. Des éléments iraniens sont toujours très opposés aux Etats-Unis, et le Guide Khamenei a beau être pragmatique, on ne passera pas d'une hostilité totale à une collaboration complète. Le régime reste très prudent et calculateur, mais que l'Iran ne soit plus considéré comme l'ennemi absolu, c'est une avancée considérable.

La menace islamiste et l'incapacité de l'Arabie saoudite à faire face à cette dernière ne sont pas étrangères à cette volonté d'apaisement rapide, mais une normalisation des relations avec un Iran ayant statut de force stabilisatrice au Moyen-Orient pourrait-elle s'accompagner d'effets pervers pour les Occidentaux ? Lesquels ?

Je ne pense pas que l'Iran soit à la recherche du statut de gendarme du Moyen-Orient, au profit des Occidentaux. Cette logique relève du passé prérévolutionnaire. Aujourd'hui c'est un pays assez mature, qui tient avant tout à sa place dans la région, sans pour autant vouloir contrôler le Golfe.

L'occident s'est depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale placé sous la dépendance énergétique de l'Arabie saoudite, ce qui s'est payé en retour par une diffusion du salafisme dans le monde entier, avec comme dernière émanation l'Etat islamique. Que doit faire l'occident pour parvenir à établir avec l'Iran une relation gagnant-gagnant, et non une relation de dominant-dominé ?

Ne soyons pas naïfs, l'Iran reste un pays très rationnel et pragmatique, donc ne nous attendons pas à ce qu'il défende nos intérêts. Ce sont des négociateurs dans l'âme, par conséquent ils analysent leurs intérêts en fonction des dossiers, pris séparément. Un rapprochement dans la lutte contre Daesh peut être intéressant pour les Iraniens, mais il peut en aller autrement dans d'autres domaines.

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