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Remaniement : Emmanuel Macron rattrapé par son mode de conquête du pouvoir
©VINCENT KESSLER / POOL / AFP

Ma petite entreprise connaît la crise

Pendant que le Canard Enchaîné révélait les tensions existantes entre Elysée et Matignon concernant le nom du prochain ministre de l'intérieur, Libération indiquait que Christophe Castaner aurait menacé de démissionner s'il n'avait pas le poste. C'est aujourd’hui le cœur de la macronie qui semble affecté, malgré la loyauté affichée de ces deux personnalités.

Les Arvernes

Les Arvernes

Les Arvernes sont un groupe de hauts fonctionnaires, de professeurs, d’essayistes et d’entrepreneurs. Ils ont vocation à intervenir régulièrement, désormais, dans le débat public.

Composé de personnalités préférant rester anonymes, ce groupe se veut l'équivalent de droite aux Gracques qui s'étaient lancés lors de la campagne présidentielle de 2007 en signant un appel à une alliance PS-UDF. Les Arvernes, eux, souhaitent agir contre le déni de réalité dans lequel s'enferment trop souvent les élites françaises.

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Atlantico : En quoi Emmanuel Macron paye-t-il ici une problématique de personnalisation du pouvoir insuffisamment ancrée dans un projet politique défini ?

Les Arvernes : La personnalisation du pouvoir n’est pas l’invention d’Emmanuel Macron. Elle est largement inscrite au cœur de la Vem République.

Pourtant, avec Emmanuel Macron, elle atteint des niveaux très préoccupants, pour plusieurs raisons.

Première raison, l’arrivée d’Emmanuel Macron, contrairement à ceux qui croient au sens de l’Histoire, est une sorte de miracle. En d’autres termes, il n’aurait jamais dû être élu. Rappelons que sans les paroles en l’air d’Arnaud Montebourg, il aurait quitté la politique. Que si Alain Juppé avait gagné la primaire, il n’avait pas d’espace. Pas plus d’ailleurs que si François Hollande s’était représenté, si François Fillon n’avait pas fait une campagne catastrophique etc. Bref : le macronisme est une anomalie. C’est la rencontre d’un homme qui a eu une Baraka inouïe, à un moment bien spécial de l’histoire de notre système politique. Dans ce contexte il est logique qu’il soit arrivé largement sans équipe constituée.

Deuxième raison, Emmanuel Macron a le même problème que Nicolas Sarkozy : il s’estime suffisamment intelligent pour diriger un pays comme la France, malgré sa complexité, malgré la complexité du monde, seul avec deux ou trois personnes, et en réalité avec une seule, Alexis Kohler. C’est évidemment une erreur tragique.
Troisième raison, plus profonde, et qui ne concerne pas que la France : Emmanuel Macron est arrivé au pouvoir à un moment bien précis de l’histoire de nos démocraties, celui où le vivier politique est complètement asséché. Pour faire court, l’Occident, avec la chute du mur de Berlin, s’est laissé intoxiquer par la vulgate anglo-saxonne, selon laquelle la politique passait après le marché et l’économie. C’est une erreur terrible, que tout l’Occident paye. Pour le dire simplement, les occidentaux ont oublié cette évidence : il faut, à la tête des pays, une partie des meilleurs, c’est à dire des plus intelligents, des plus compétents, des plus vertueux au sens de l’article 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. Aujourd’hui, c’est un secret de Polichinelle : les hommes politiques sont médiocres.

Comment comprendre le paradoxe d'une conquête réussie du pouvoir qui a pu se construire sur une ambiguïté programmatique et ce qui ressemble aujourd’hui à la facture du "en même temps" ?

Ce n’est pas un paradoxe. Cette conquête du pouvoir est un accident, une effraction, une aberration. Cela ne signifie nullement qu’Emmanuel Macron est dénué de qualités. Il en a au moins une, mais elle est essentielle : l’audace.

Ce que l’on appelle le « en même temps », ce n’est pas une pensée complexe du monde. C’est la recette d’un artifice, grâce auquel Emmanuel Macron a su conquérir le pouvoir. Dans un monde politique marqué par une immense médiocrité, Emmanuel Macron sait trouver dans son charme et dans la raison technicienne la capacité de tenir en même temps tous les discours, même les plus contradictoires. Ceci nous amène, selon nous, au cœur du personnage, qui, dans toute sa complexité, est un imposteur.
Imposteur de nature, car derrière le « en même temps », derrière la posture du Président littéraire, derrière l’échec à Normale Sup, dont il ne se remet pas, se cache au fond l’irrésistible envie non pas de politique, mais de culture, d’art, c’est à dire de représentation.

Imposture de construction par ailleurs. Car au fond, comment réussit-on dans une société aussi mure que la notre ? En jouant un rôle. Emmanuel Macron, comme ses prédécesseurs, sait discuter avec une personne et lui donner réellement le sentiment qu’il partage ses problèmes. Il sait, pour obtenir une bonne note en droit à la sortie de l’ENA, s’inventer Conseiller d’Etat le temps d’une épreuve de cinq heures. Bien sûr il n’est pas le seul. Alain Peyrefitte racontait comment Valery Giscard d’Estaing époustouflait le Conseil des Ministres, y compris le Général de Gaulle, jusqu’à ce qu’un des ministres ait eu la bonne idée de souffler au Général « vérifiez quand même ce qu’il dit ».

Ce à quoi l’on assiste en ce moment, c’est juste la confrontation d’une pensée politique sans réelles vertèbres au réel. Et le réel, c’est l’absence de vivier pour trouver des ministres. C’est la faiblesse congénitale d’En marche. C’est le désalignement des planètes économiques. C’est le pragmatisme des allemands et des pays du Nord qui refusent les projets de réforme de la zone euro car ils comprennent – trop tard, comme les français - l’imposture Macron. C’est la souffrance de beaucoup de français, pour des raisons diverses. On pourrait continuer…

Quelle est la dimension personnelle des difficultés d'Emmanuel Macron ? En quoi l'isolement présidentiel diffère-t-il de celui vécu par ses prédécesseurs ?

Le macronisme, c’est Emmanuel Macron. Sans lui, tout s’écroule. C’est la différence entre lui et ses prédécesseurs qui étaient le fruit d’une histoire politique plus ou moins longue, qui avaient accumulé de l’expérience, et, tout au long d’une vie politique faite de rencontres, avaient su se constituer un vivier d’hommes et de femmes dans lequel puiser au moment d’exercer le pouvoir. Mais que sont Edouard Philippe, Christophe Castaner et autres ? De simples exécutants. Ils n’ont pas d’existence propre comme Philippe Seguin ou Alain Juppé en avaient par rapport à Jacques Chirac par exemple.

Nous croyons qu’il y a plus grave : le rapport des français à leur Président. Pour simplifier, il y a trois moments. D’abord, ils l’ont élu, sans le connaître. Ensuite, les français lui ont laissé le bénéfice du doute, et se sont satisfaits du dynamisme et de la posture d’un homme qui, après la médiocrité de François Hollande et la vulgarité de Nicolas Sarkozy, ressemblait enfin à l’idée qu’ils ont d’un Président. Puis, le temps passant, marqué par une série de comportements qui signent le tempérament d’un homme (l’affaire Villiers et le « je suis votre chef », l’affaire Benala et le « qu’ils viennent me chercher », les blessures symboliques majeures faites le jour de la fête de la musique ou avec les récentes affaires du « doigt d’honneur » ou du jeune chômeur), les français ont fini par se faire une idée de l’homme. Et cette idée, fausse ou non, c’est celle d’un homme arrogant, éloigné de leurs préoccupations, narcissique, et finalement pas plus doué que ses prédécesseurs. De ceci, l’on ne se remet pas.

L’avenir est hélas écrit. Le Président, frustré de ses échecs, enfermé par construction dans l’Elysée d’où il est – institutions obligent - inexpugnable, convaincu d’avoir raison face au reste du monde, a perdu l’occasion qu’il a eue de réformer la France, c’est à dire les premiers mois de son quinquennat. C’est le nouveau chapitre d’une tragédie pour la France, les français, et l’Europe.

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