La réélection de Poutine n’est pas une si mauvaise nouvelle pour la Russie<!-- --> | Atlantico.fr
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Pour la grande majorité des Russes, Poutine a mis fin aux deux maux qui leur rendaient la vie impossible dans les années 1990 : l’insécurité et le défaut de paiement par l’État des salaires et des retraites.
Pour la grande majorité des Russes, Poutine a mis fin aux deux maux qui leur rendaient la vie impossible dans les années 1990 : l’insécurité et le défaut de paiement par l’État des salaires et des retraites.
©Reuters

Et de deux !

Vladimir Poutine a balayé mercredi la contestation de son élection à la présidence russe, invitant ses détracteurs à écouter "la voix du peuple". S'il reste encore du chemin à parcourir en Russie pour aboutir à une démocratie accomplie, le fait est que Poutine a réussi à rétablir l’ordre et les finances de l’État en moins de 10 ans.

Jean-Bernard Pinatel

Jean-Bernard Pinatel

Général (2S) et dirigeant d'entreprise, Jean-Bernard Pinatel est un expert reconnu des questions géopolitiques et d'intelligence économique.

Il est l'auteur de Carnet de Guerres et de crises, paru aux éditions Lavauzelle en 2014. En mai 2017, il a publié le livre Histoire de l'Islam radical et de ceux qui s'en servent, (éditions Lavauzelle). 

Il anime aussi le blog : www.geopolitique-géostratégie.fr

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La plupart des journalistes et de nos intellectuels en chaise longue passent leur temps à dénigrer Vladimir Poutine parce qu’il porte en lui un péché originel, et est marqué pour eux d’une trace indélébile : il a fait partie du KGB (ex services secrets russes).

Ils oublient tout simplement qu’à l’époque soviétique, c’était l’élite intellectuelle de la nation, qui était choisie et dirigée d’office vers ce service de sécurité. Par leur attitude de dénigrement systématique, la plupart des commentateurs français se comportent comme des commissaires politiques défendant une position idéologique qui déforme la réalité, et ne prend pas en compte la dimension historique.

Certes en Russie, le bourrage d’urnes existe encore, les experts estimant qu’il intervient encore aujourd’hui pour environ 10% des votes, mais il était systématique dans les années 1990. La volonté de faire disparaître ce fléau existe, l’installation des webcams en témoigne. Certes il y a encore un niveau de corruption intolérable en Russie. Mais rappelons-nous elle existait massivement aux États-Unis, avant la Seconde Guerre mondiale, le film « les Incorruptibles » nous le rappelle. Elle sévit toujours marginalement en France et aux États-Unis, les Chinois n’ont pas choisi Chicago au hasard comme plage de débarquement pour investir en Amérique [1].

Mais la possibilité de manifester sans répression sanglante est désormais une réalité en Russie. Certes la censure s’exerce encore dans les médias audiovisuels, mais une presse écrite indépendante du pouvoir se développe. Les réseaux sociaux s’étendent rapidement, même s’ils sont surveillés. Oui, le chemin est encore long vers une démocratie exemplaire, mais les progrès sont indéniables.

La prise en compte de la dimension historique et un peu de retour sur notre propre histoire devrait pourtant conduire nos éternels donneurs de leçon à plus de modestie.

Il a fallu à la démocratie française plus de deux siècles pour être ce qu’elle est aujourd’hui, la démocratie Russe a tout juste vingt ans.

Le parcours que nous avons parcouru en deux siècles sur le chemin démocratique a été pour le moins chaotique : trois révolutions, deux empereurs, un général arrivé au pouvoir il y a peine 60 ans grâce à un putsch de parachutistes. La liberté de la presse, elle n’existe réellement en France que depuis 30 ans. La censure à la télévision sévissait encore dans les années 1970. En 1980, les véhicules « gonios » de la police tournaient dans Paris pour repérer et arrêter les premiers journalistes FM. Ne parlons pas du bourrage des urnes qui n’a pas totalement été éradiqué en France : Jean Tiberi dans le Ve arrondissement de Paris, Martine Aubry élue face à Ségolène Royal à la tête du PS grâce aux tripatouillages de la Fédération des Bouches-du-Rhône.

La popularité de Vladimir Poutine reste incontestable. Pour la grande majorité des Russes, il a mis fin aux deux maux qui leur rendaient la vie impossible dans les années 1990, et que tous ceux qui ont vécu ces années-là au milieu d’eux gardent en mémoire : l’insécurité et le défaut de paiement par l’État des salaires et des retraites. Des Russes allaient tous les jours au travail bien qu’ils n’aient pas été payés depuis six mois. J’ai parlé à des officiers retraités, vétérans de la Seconde Guerre mondiale, qui n’avaient plus rien pour vivre et qui vendaient leur argenterie ou leurs meubles sur l’Arbat [2] pour nourrir leurs enfants.

Comment Poutine a-t-il réussi le tour de force de rétablir l’ordre et les finances de l’État en moins de 10 ans ?

Il a mis en place un taux imposition très bas, proche de 10%, pour tous les citoyens et pour toutes les entreprises, a fait des exemples de ceux qui refusaient de s’y soumettre. Il a aussi nationalisé, de fait, le secteur énergétique alors que des prédateurs comme Roman Arkadievitch Abramovitch, le trésorier d’Eltsine, ou Mikhaïl Khodorkovski, encensé par nos médias, se l’était approprié tout en devenant les rois de l’évasion fiscale et de la fuite des capitaux à l’étranger. Grâce à ces mesures, l’État russe, aidé par le renchérissement des prix du gaz et du pétrole, a pu ainsi payer les arriérés, augmenter les fonctionnaires et revaloriser les retraites.

Mais en réussissant cela, il a fait plus : il a rendu sa dignité au peuple russe. En 1991, un de mes collaborateurs russe du groupe Bull, avec qui je voyageais dans ce pays, pleurait de honte parce qu’il constatait que les plus belles femmes de Moscou étaient prêtes à vendre leur corps pour un seul dollar [3].

Le graphique ci-dessous, publié par la Banque mondiale, montre le chemin parcouru en matière de pouvoir d’achat depuis l’arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir : une multiplication par 4 en dix ans, certes avec de grandes inégalités, mais tout le monde en a quand même profité. Il suffit d’en parler au Groupe Auchan qui, en 2002, a ouvert son premier hypermarché à Moscou. [4]

Bien sûr, aujourd’hui, ceux qui ont acquis en dix ans, grâce à Vladimir Poutine, un pouvoir d’achat de classe moyenne veulent plus de liberté, et la fin des rackets de toutes sortes, et c’est normal.

Ceux qui auront fréquemment résidé en Russie depuis février 1990, mesureront le chemin parcouru. Le meilleur service que l’on peut rendre au peuple russe et à la Russie, ce n’est pas de passer son temps à publier des critiques agressives. C’est de rester exigeant, mais de pondérer son jugement en introduisant la dimension historique, c'est-à-dire en se rappelant d’où vient ce pays et le chemin parcouru en moins de 20 ans sur la longue route qui mène à une démocratie accomplie.


Notes

[1] Lire à ce sujet l’excellent livre de Jean-Michel  Quatrepoint, « Mourir pour le Yuan », François Bourin Editeur, pages 123 à 130.

[2] La rue piétonnière la plus célèbre de Moscou

[3] Voir à ce sujet mon livre « Russie, Alliance vitale », Editions Choiseul, 2011, pages 119 et 120

[4] 10 ans plus tard AUCHAN Russie c’est 48 hypermarchés et 68 supermarchés Atak

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