Recul russe : l’audace et l’intelligence stratégiques ukrainiennes paient<!-- --> | Atlantico.fr
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Des soldats ukrainiens chevauchent un char sur une route de la région orientale de Louhansk.
Des soldats ukrainiens chevauchent un char sur une route de la région orientale de Louhansk.
©Anatolii Stepanov / AFP

Contre-offensive à Kharkiv

L’Etat-major ukrainien a lancé une contre-offensive dans la région de Kherson. En réalité, cette opération de diversion a permis de cacher ses véritables intentions. Les forces ukrainiennes progressent surtout dans la région de Kharkiv.

Viatcheslav  Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii est spécialiste des relations internationales et de la stratégie des affaires internationales.

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Atlantico : Quelles sont les dernières avancées sur le front de la guerre en Ukraine et notamment dans la région de Kharkiv ? Les forces ukrainiennes ont annoncé ce samedi être entrées dans la ville de Koupiansk, dans l'est du pays, une localité clé aux mains de l'armée russe depuis plusieurs mois. L'Ukraine a annoncé ce samedi une avancée militaire sur "plusieurs dizaines de kilomètres" dans plusieurs zones du front Sud, dans des territoires capturés par l'armée russe au début de l'invasion en février.

Viatcheslav Avioutskii : Les forces ukrainiennes ont effectivement conquis ces territoires et ces villes. L’information a été confirmée malgré le « brouillard de la guerre ». La politique d’information de l’Ukraine depuis le début de l’opération spéciale russe était de ne pas communiquer précisément sur les avancées sur le terrain. Très peu d’informations officielles avaient tendance à filtrer.

L’Ukraine a confirmé la libération de deux villes : Balakliya et Koupiansk ont été récupérées des griffes des forces russes.

La Russie a publié sa propre carte. Les autorités russes ont annoncé qu’elles se retiraient complètement de l’oblast de Kharkiv. Toute la région est libérée de la présence militaire russe au regard de cette carte. D’après les dernières informations en provenance du terrain, ces informations sont fiables et confirmées. Il y a eu des témoignages vidéos prouvant que la partie Sud a été libérée, notamment la ville d’Izioum - à partir de laquelle les Russes souhaitaient occuper Sloviansk et Kramatorsk (les dernières grandes villes de la région de Donetsk). Les divers témoignages et les vidéos tournées par les soldats ukrainiens eux-mêmes confirment ces avancées ukrainiennes et le départ des troupes russes dans cette région.

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Les trois grandes villes, Izioum, Koupiansk et Balakliya ont été libérées. Jusqu’à 40 localités de la région de Kharkiv ont été libérées.

Pour les dernières localités qui se trouvaient au Nord, la partie occupée de l’oblast de Kharkiv, qui est encore entre les mains des Russes, il y a aussi eu des témoignages vidéo qui confirmaient que les troupes russes avaient quitté ces localités pêle-mêle. Valeri Zaloujny, commandant en chef des forces armées d’Ukraine, a confirmé que 1.000 km2 ont été libérés. Puis le chiffre de 2.000 a été avancé. A l’heure actuelle, ils parlent déjà d’un gain de 3.000 km2 pour les troupes ukrainiennes.

Si l’on compare la progression des deux côtés, Valeri Zaloujny a dévoilé que les Ukrainiens ont récupéré plus de territoires que la superficie des territoires occupés par les Russes à partir du début du mois d’avril.

Le front russe est-il en train de s’effondrer au regard de ces conquêtes ukrainiennes ? La reconquête de Koupiansk pourrait-elle couper des routes d'approvisionnement vers d'autres positions russes sur la ligne de front ?

Les Ukrainiens ont organisé une vaste opération de diversion. Ils ont d’abord annoncé leur intention de lancer une contre-offensive dans le Sud du pays. Cette opération a effectivement débuté et avait été clairement annoncée. Une contre-offensive est menée dans le Sud dans la région de Kherson. L’armée russe a donc pris au sérieux cette menace. Ils ont retiré des troupes qui étaient dans la zone de Kharkiv. Ils ont envoyé ce renfort de troupes (20.000 hommes) sur la rive droite du Dniepr qui était menacée par cette contre-offensive. Les forces ukrainiennes ont lancé l’offensive fin août. Lorsqu’ils ont percé la première ligne, ils se sont arrêtés. Cette offensive n’était pas la priorité. Il s’agissait d’une stratégie habile digne des grandes heures de la Seconde Guerre mondiale. Ils ont profité de l’affaiblissement du flanc nord sur le front russe. Les Russes se sont trompés. Ils ont commencé leur propre offensive à partir de Balakiya pour aller vers le Sud alors que les Ukrainiens ont massé leurs troupes de l’autre côté. La frappe principale a été au Nord de cette ville. Les Ukrainiens ont aussi progressé très rapidement. Cette opération par surprise est assez similaire et s’apparente à la percée de la Wehrmacht dans les Ardennes en 1940 à un moment où les Français ne s’y attendaient pas du tout.

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Sur le plan stratégique, le commandement russe n’a pas compris quel était le but principal de l'armée ukrainienne dans cette région. Les Ukrainiens se sont servis du brouillard de la guerre et de cette chape de plomb. Ils ont évacué tous les journalistes de la ligne de front. Ils ont demandé à tous les médias de ne pas parler de manière détaillée et précise sur la réalité de l’avancée exacte des troupes russes sur le terrain. Un blackout informationnel a été mis en place. Il a été maintenu jusqu’à cette première contre-offensive. Le block out commence à se lever progressivement avec cette seconde contre-offensive.

La confusion règne sur le terrain. Les Russes n’ont pas compris où se trouvaient les forces ukrainiennes. Des avions russes ont survolé des territoires qu’ils pensaient avoir été conquis. Les Ukrainiens abattaient alors ces avions. Deux chasseurs ont ainsi été perdus durant cette offensive.

D’autres informations ont filtré du côté occidental. Lorsque la première contre-offensive de Kherson a commencé, les Américains avaient annoncé qu'ils avaient la conscience tranquille car ils avaient fourni tout ce que les Ukrainiens avaient demandé pour organiser cette offensive. Ils ont également acheminé tout ce qu’il fallait pour la deuxième offensive. Il y avait notamment des blindés d'une marque très reconnaissable. Il s'agit des blindés de l’OTAN largement utilisés dans cette opération. Sur les vidéos, les Ukrainiens ont aussi montré des véhicules blindés australiens Bushmaster largement utilisés dans cette offensive, en remerciant le gouvernement australien.

Grâce à cette tactique audacieuse, ils ont rapidement percé la ligne du front qui était assez faible au nord de Balakliya. Ils ont découvert qu’il n’y avait pas de deuxième et de troisième ligne défensive comme cela se fait normalement. En trois jours, ils ont fait une percée d’au moins 50 kilomètres.

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La journée de samedi était démesurée. Il y a eu beaucoup de rumeurs. Le front s’est complètement effondré. Pour reconstituer une réelle ligne de front, il faut avoir du temps et des réserves - tout ce qu’il manque pour le moment à l'armée russe dans cette région. D’après les images qui émergent en ligne, l’armée russe a abandonné des dizaines de chars, de blindés, de l’équipement, des pièces d’artillerie en partant en vitesse.

Lorsque les Ukrainiens ont occupé la ville de Koupiansk, en coupant la ligne d’approvisionnement, ils étaient confrontés à 10 à 15.000 soldats russes qui étaient toujours massés au sud autour d'Izioum. Un encerclement opérationnel a été mis en place. Les Russes ont donc été contraints d’abandonner un certain nombre de pièces. Ils ont commencé à sortir par l’Est pour aller vers la région de Lougansk. Les Ukrainiens ont alors commencé une autre contre-offensive à partir du Sud (Slovyansk) vers la ville de Liman pour essayer de couper cette autre route de sortie. Sur les images vidéo qui nous parviennent, on constate qu’il y a des dizaines de soldats qui ont été fait prisonniers de guerre. Il y en aura beaucoup plus que cela. Certains soldats auraient fui leur poste en se cachant dans les forêts et dans la nature. Les combats se poursuivent autour de la ville d’Izioum.

Sur la carte officielle de l’Etat-major russe, la ville d’Izioum se retrouve dorénavant du côté ukrainien.      

Comment expliquer cette situation ? Est-ce lié à des difficultés de stratégie militaire pour les Russes ? Les Ukrainiens ont-ils une supériorité au niveau des armes grâce aux récentes livraisons occidentales ? Quelle a été la stratégie principale déployée pour cette contre-offensive ukrainienne dans la région de Kharkiv ?

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Lorsque les Ukrainiens ont lancé cette contre-offensive, numériquement le rapport de force était de un à trois en faveur des Russes. Plusieurs éléments expliquent l’effondrement du front. Il y a un manque d’effectif flagrant dans l’armée russe. Des recrutements supplémentaires de volontaires ou de militaires contractuels ont été mis en place. Les Russes ont des réserves quasi infinies de matériel mais ils manquent cruellement d’effectifs (il faut rappeler ici que la mobilisation n'a pas été déclarée et de ce fait les appelés ne peuvent pas être utilisés sur le front ukrainien, ce qui réduit drastiquement l'effectif russe en Ukraine aux seuls contractuels et les milices de Donetsk et Louhansk). Les troupes russes n’ont pas assez d’expériences de combat et ne sont pas suffisamment bien entraînées également.      

Lorsque la première contre-offensive a commencé à Kherson, les Russes ont pris les effectifs de qualité - les militaires professionnels avec de l’expérience - pour les envoyer sur ce front. Ils ont été remplacés par des mobilisés malgré eux. Il y a eu toute une campagne de mobilisation dans les régions du Donbass, les Républiques populaires de Donetsk et de Lougansk. Tous les hommes entre 18 et 60 ans y sont mobilisables. Une partie d’entre eux se cache pour tenter d’échapper à cet enrôlement. Certains ont été arrêtés et emmenés de force pour être mobilisés et intégrer l’armée. Ces personnes, qui ont eu très peu de formation et de préparation, ont été stationnées sur cette partie « faible » du front que l'armée ukrainienne a choisi de frapper.

Selon l'art de la guerre classique, il faut pour protéger la ligne de front de 1.200 kilomètres, créer trois lignes défensives. Or, dès le début les effectifs russes ne suffisaient pas pour une opération militaire de cette envergure. Lorsque ces lignes sont percées, les troupes ukrainiennes se retrouvent dans un espace quasi vide de présence militaire russe. Il n’y a pas d’effectif de l'armée russe en profondeur de ce territoire.

Lorsque la percée a eu lieu au nord de Balakliya, les troupes ukrainiennes se sont retrouvées à l’arrière du grand groupe qui était dans le Sud de la ligne de la ville d’Izioum où il y avait des combats et où la situation était assez stationnaire. Dans ce secteur entre Izioum et Slovyansk, la situation ressemblait à la Première Guerre mondiale, avec des tranchées des deux côtés. Le pilonnage permanent par les HIMARS des lignes logistiques russes a aussi aidé pour affaiblir le potentiel militaire russe sur ce segment, en le rendant vulnérable.         

A cause de ces frappes quasi systématiques des HIMARS, entre juillet et août, les Russes ont été obligés de transférer leurs entrepôts bien en arrière de la ligne du front. Cela a compliqué l’acheminement de munitions et d’armes. Koupiansk qui était une ville assez importante et où il y avait beaucoup d’entrepôts a aussi été ciblée. Des explosions ont été constatées dans cette ville. Les troupes ukrainiennes ont commencé par détruire les stocks avant de percer les lignes.

Tout cela coïncide avec la réunion Rammstein (le rassemblement des ministres de la Défense des pays de l’OTAN et des pays alliés). L’envoi d’armes à l’Ukraine était notamment au menu des discussions.

En lançant cette opération, le gouvernement ukrainien veut envoyer un message fort à l’Occident. Les pays amis de l’Ukraine, y compris la France, étaient dans le doute. Ils avaient en tête l’exemple de l’Afghanistan avec les équipements logistiques et les troupes envoyés pendant de très nombreuses années. La question était de savoir si l’armée ukrainienne était-elle capable de se défendre et de lancer une offensive si elle dispose de l’armement. On se demandait aussi si cela valait la peine d’envoyer tout cet argent pour obtenir des armes modernes  et sophistiquées si les Ukrainiens ne sont pas capables de changer la situation sur le front (car malgré tout les troupes ukrainiennes continuaient, lentement, à reculer) ?

Cette opération envoie donc un message politique très fort. Kiev veut démontrer à ses alliés que l’armée ukrainienne est entraînée et motivée. Elle prouve ainsi qu’elle est capable de mener une offensive à grande échelle, en libérant plus de 3000 kilomètres carrés en quelque jours.

Cela envoie le signal également qu’il ne faut pas interrompre les livraisons d’armes. Ces efforts et ces succès prouvent que l’envoi de matériel est déterminant et s’avère être un atout majeur dans cette guerre pour les Ukrainiens.

Les Ukrainiens indiquent qu’ils ont encore besoin d’armes et de matériel lourd afin que la guerre se termine plus rapidement (ce qui est aussi dans l'intérêt de leurs alliés). Les Occidentaux ont montré beaucoup de solidarité avec l’Ukraine. Ils ont envoyé beaucoup d’armement. La solidarité verbale était pourtant beaucoup plus intense que la livraison d’armes à très grande échelle.

Cette opération dans la région de Kharkiv montre que l’armée ukrainienne peut terminer la guerre plus rapidement.      

Le conflit a-t-il réellement basculé avec cette étape et cette contre-offensive ukrainienne ? A quoi faut-il s’attendre pour la suite ? L'Ukraine est-elle en train de prendre l’avantage face à l’armée russe ?

La veille de la réunion de Ramstein des ministres des Affaires étrangères, le général Zaloujny a publié un article assez long, traduit en plusieurs langues, dans lequel il anticipe et évoque la suite du conflit. Il précise qu’il faut se préparer à une guerre longue. La guerre va se terminer dans le meilleur des cas en 2023. Le général Zaloujny confirme que l’Ukraine aura besoin de l’Occident pour gagner cette guerre.

Le tournant de la guerre est déjà passé en réalité. Il s'est fait en silence, sur le terrain, sans fanfares. Les Russes n’ont pas pu concrétiser leur plan d’origine qui consistait à renverser le gouvernement de Zelensky, à occuper Kiev. Le tournant de la guerre était aux alentours du 15 juillet lorsque la ligne du front s’est stabilisée après la perte de deux villes, Sievierodonetsk et Lyssytchansk.

Dans son article, le général Zaloujny confie des choses assez effrayantes également. Il estime que la Russie va utiliser des armes nucléaires mais sous la forme de bombes tactiques. Selon lui, l’utilisation de ces bombes au niveau tactique ne va pas changer l’issue de la guerre. Globalement, l’armée ukrainienne va continuer à se battre et tout faire pour récupérer l’ensemble de son territoire dans les frontières de 1991. L’Ukraine demande de l’aide à l’Occident. Les forces ukrainiennes sont encore vulnérables vis-à-vis des missiles balistiques et des frappes russes qui visent les villes comme Kiev ou Dniepr. L’Ukraine n’a pas encore ce type de missiles pour pouvoir changer le rapport de forces avec la Russie.

La contre-offensive de Kharkiv marque donc un tournant de la guerre. Mais un déséquilibre persiste toujours sur le terrain. Les Russes ont toujours plus d’armement, plus d’obus et des réserves plus importantes.

L’effondrement de l’armée russe n’a pas encore eu lieu. Mais il y a bien eu un effondrement local sur une partie du front. Les Russes se sont retirés de la région de Kharkiv sous la pression de l’armée ukrainienne. Le front va se rétrécir. Lorsque le front se rétrécit, il y a une plus grande confrontation de forces sur le terrain des deux côtés. Cela signifie que les actions armées vont s’intensifier

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