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Emmanuel Macron souhaite généraliser le projet de "l'école du futur".
Emmanuel Macron souhaite généraliser le projet de "l'école du futur".
©EMMANUEL DUNAND / AFP

Education nationale

Emmanuel Macron souhaite généraliser « l’école du futur ». Ce dispositif en test à Marseille permet notamment à un directeur d’établissement de participer au recrutement de son équipe pédagogique.

Michel Fize

Michel Fize

Michel Fize est un sociologue, ancien chercheur au CNRS, écrivain, ancien conseiller régional d'Ile de France, ardent défenseur de la cause animale.

Il est l'auteur d'une quarantaine d'ouvrages dont La Démocratie familiale (Presses de la Renaissance, 1990), Le Livre noir de la jeunesse (Presses de la Renaissance, 2007), L'Individualisme démocratique (L'Oeuvre, 2010), Jeunesses à l'abandon (Mimésis, 2016), La Crise morale de la France et des Français (Mimésis, 2017). Son dernier livre : De l'abîme à l'espoir (Mimésis, 2021)

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Un point d’actualité tout d’abord. A l’heure où débutent les premières épreuves écrites du bac, l’Education nationale est à nouveau confrontée à la question des signes religieux ostentatoires à l’école, plus exactement des tenues islamiques (ou jugées telles). Tout est parti, le 2 juin dernier, d’un article de L’Opinion faisant état d’une « épidémie » d’abayas (robe féminine traditionnelle noire) et de « kamis » (tunique masculine musulmane) dans nos lycées. Si le terme « épidémies » est manifestement excessif, une note du renseignement territorial recense tout de même 144 faits de port de signes religieux ostentatoires entre janvier et mars dernier (soit une augmentation de 50 % par rapport au trimestre précédent). L’Education nationale a décidé de lancer une grande enquête nationale sur le sujet.

Mais venons-en à une analyse globale de notre école républicaine. Dans un ouvrage, L’Ecole à la ramasse (L’Archipel, 2019), dont la presse a peu rendu compte en son temps, j’ai essayé, m’appuyant des données scientifiques connues ou oubliées, de dresser un état des lieux de l’école française. Le tableau est sombre, noir même, mais les gens d’aujourd’hui n’aiment pas qu’on leur parle de « noirceur » ; ils n’aiment surtout pas qu’on leur parle d’une noirceur globale. Ils veulent bien qu’on leur dise, le lundi, que le français et en péril, le mardi, que les élèves français sont nuls en maths, le mercredi, que les « profs » sont mal payés, peu considérés, et souvent exposés au chahut dans leurs classes, ils ne veulent pas d’un rapprochement de tous ces faits, refusent absolument que soit mise en cause, globalement donc, l’école de leurs enfants. Comme on le faisait pourtant encore souvent au début des années 1980, j’ai brisé ce tabou et dénoncer, dénoncer tout ce qui allait mal dans l’école de la République, c’est-à-dire tout. Bien entendu, chacun le sait, la crise de l’école, c’est aussi la crise de la société, une société qui repose sur le primat de « l’individu-roi », de l’immédiat, du spontané, de l’image, de l’affectif, toutes valeurs ou attitudes qui sont étrangères à l’institution scolaire, qui prône au contraire l’importance de « l’individu-sujet », du temps long (celui de la scolarité obligatoire), de l’organisation rigoureuse, de l’écrit. Ce grand écart des valeurs est en soi un problème. 

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Mais revenons un instant sur l’état des lieux. Dans l’école française, comme l’écrivait l’historien Antoine Prost, il y a quarante ans, tout le monde travaille pour les notes : les élèves, les enseignants, les familles. Alors, bien sûr, ajoutait-il, « on multiplie les exercices qui permettent de les noter [les élèves]. Le bachotage s’installe qui transforme l’enseignement en une entreprise de harcèlement » (cf. « L’école et l’évolution de la société », in Esprit, n° 11-12, nov-déc. 1982, p. 20). La logique scolaire actuelle reste une logique de fermeture sur un temps complètement accaparé par l’objectif d’un programme à réaliser. Rien d’étonnant par conséquent à ce que cette école se résume tou- jours à un face-à-face d’un « maître » avec ses élèves. Tout, en 2022, se joue encore largement dans ce colloque singulier, cette interaction inégalitaire par définition. Pourtant, cette interaction s’est déréglée au fil du temps. L’enseignant, devenu « prof », ne bénéficie plus de « l’ascendant statutaire » qu’il avait autrefois. Du coup, il a perdu cette légitimité que personne ne lui contestait jadis : ni les élèves, ni leurs parents. Du coup, il perd aujourd’hui fréquemment son « duel » avec les élèves. Par ailleurs, on le sait, l’école est aujourd’hui gangrénée par les violences qui vont, de plus en plus souvent, jusqu’au harcèlement (dissimulé naguère, très souvent, sous l’appellation de « racket »).

Cette situation en fait aurait pu être anticipée car, dès le début des années 1980, nombre d’observateurs notaient que l’école devenait le lieu d’une violence grandissante : violences verbales (aujourd’hui banalisées), mais aussi violences physiques des élèves entre eux, envers les professeurs. Ainsi, Patrick Braun, médecin enquêtant, en 1980-1981, dans des établissements publics et privés, notait-il que des « gosses » n’hésitaient plus à prendre un couteau et à en menacer les profs tandis que d’autres rackettaient leurs condisciples. Une note de l’inspecteur d’académie nantaise indiquait qu’en 1983 le racket touchait 58 % des collèges et 45 % des lycées d’enseignement professionnel Sans grande réaction des responsables préférant garder le silence sur des faits risquant de ternir l’image de leurs établissements. Vingt ans plus tard, au début des années 2000, violence et non-réactivité étaient plus présentes que jamais dans nos écoles. Emmanuel Brenner, dans Les Territoires perdus de la République, raconte cette anecdote significative. Lors du ramadan 2001, dans un collège de l’Est parisien, des élèves s’étaient mis à chanter des sourates du Coran en salle de permanence sans qu’aucun adulte présent n’ose intervenir.

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N’est-il donc pas temps de passer à l’action ? Après quasiment cinq ans d’immobilisme de l’Education nationale, qui n’aura produit que que quelques dédoublements de classes de primaire dans les quartiers défavorisés, un peu d’aide personnalisée au travail scolaire et une réforme du bac totalement illisible, il faut REPENSER l’école entièrement. C’est, en effet, puisque la crise est globale, d’une refonte globale dont nous avons besoin : il faut tout nettoyer du sol au plafond, inventer une AUTRE école, ne pas se contenter d’un « ripolinage » de l’école actuelle. Il faut prendre ses distances aussi avec l’idée d’obligation scolaire pour introduire celle, plus dynamique, d’un droit pour chaque élève à réussir son parcours d’études. Permettez-moi ici une parenthèse sur le système de sélection tant décrié depuis la révolte de mai-juin 1968. S’il figeait les parcours sociaux (attitude proprement antidémocratique, convenons-en), il n’excluait pas : il orientait les « échouants » de l’enseignement général vers les filières techniques et professionnelles (mal considérées il est vrai). Les « bons élèves » allaient au lycée, les autres dans des « classes de transition », des « classes pratiques » ou des « classes de finsd’études primaires ». Le système actuel, depuis la réforme Haby de 1975, est un système excluant qui élimine en effet tous ceux et toutes celles qui échouent, quelle que soit leur filière ou section ou spécialité. Où est donc le progrès ?

Le président Macron, qui a des idées sur tout, et donc aussi sur l’école, parle aujourd’hui de « l’école du futur », une école du projet. C’est une bonne idée, si l’on considère qu’il ne s’agit plus, dans le champ scolaire, de raisonner en termes d’horaires distribués de manière rigide pour chaque discipline mais au contraire en termes d’un projet à accomplir en fonction duquel des moyens sont définis pour répondre aux besoins des élèves. Il y a cependant, je le redis, un hic dans cette histoire : le maintien du bac comme exament final des études secondaires. Dois-je rappeler en effet que cet examen-scélérat, qui coûte cher et est d’un faible rendement social et économique, est un frein à toute révolution scolaire ? En effet, ne l’oublions pas, c’est l’existence de cet examen qui justifie et impose les programmes, lesquels justifient les matières qui, à leur tour, justifient la notation. Le bac est donc un verrou qu’il faudra faire sauter un jour, une bonne fois pour toutes (cf. mon livre Le bac inutile, 2ème éd. Amazon).

L’école macronienne du projet n’est pas nouvelle en réalité . En 1981-1982, la gauche arrivée au pouvoir avait élaboré une série de textes qui encourageaient l’élaboration dans tous les établissements de « projets éducatifs » et de « projets d’établissement ».

Alors, une école du futur », pourquoi pas ?, s’il est question, naturellement, d’une école diversifiée, adaptée à chaque élève, à chaque catégorie sociale, à chaque psychologie. Il faut rappeler en effet que les enfants ont des stades de développement différents, que leurs vitesses d’acquisition ne sont pas les mêmes, ce qui implique des pédagogies multiples. Mais comment pourrait-on atteindre tous ces objectifs sans modifier l’organisation scolaire de fond en comble ? N’est-il pas temps de sortir d’un système excessivement centralisé et hiérarchique qui exige que tout se fasse partout en même temps sous la baguette d’un ministre omnipotent ? L’école nouvelle, comme je l’explique dans mon livre, doit être mieux arrimée aux départements et aux régions qui doivent avoir plus de libertés dans la définition des contenus et des méthodes d’enseignement.

Reste la question majeure : l’école, pour quoi faire ? A quoi doit-elle servir dans un monde de communications plurielles, d’informations qui surgissent de partout ? Aujourd’hui, l’école dispense d’abord des enseignements. L’enseignant français, à l’exception notable du professeur des écoles (et encore...), est avant tout un « instructeur » en charge de la réalisation d’un programme. Charge lourde qui ne lui permet guère, le voudrait-il ?, d’appréhender la situation et la psychologie propre de chacun de ses élèves. En réalité, à ses yeux, seuls les résultats scolaires comptent (mais il est d’abord former pour cela).

Mais l’école a une autre mission : une mission éducative. Par elle, l’ »Education » nationale, puisque telle est son nom, se doit d’éveiller les capacités, les aspirations, et pourquoi pas les ambitions, de sa « clientèle ». A la différence de l’instruction qui vise à adapter les élèves à la société (la fameuse reproduction sociale dont parlait Bourdieu), l’éducateur cherche au contraire à adapter chaque élève à lui lui-même, à lui révéler ses potentialités. Enfin, l’école doit être aussi celle de la vie. En 1981, le candidat François Mitterrand, définissant « Dix mesures pour l’école », écrivait (mesure 8) : « L’école sera ouverte sur le monde. La pédagogie sera renouvelée pour favoriser l’expression sous toutes ses formes, ainsi que l’épanouissement physique. L’enseignement de l’histoire et de la philosophie [ajoutons aujourd’hui le français et les mathématiques] sera développé. Quel que soit le niveau d’études, chacun devra disposer en fin de scolarité d’une formation générale et d’une formation professionnelle [la formation en alternance joue un peu ce rôle aujpourd’hui]. Les classes comprendront vingt-cinq élèves au maximum. » Beau programme, non ?

L’ « école du futur » devra, c’est sûr, marcher sur ses deux jambes : instructive et éducative à à la fois. Restent à redéfinir les contenus de ce que l’école doit absolument transmettre tout de suite. De quoi les élèves ont-ils donc absolument besoin pour se situer dans notre monde, le comprendre ? D’abord, des choses fondamentales comme lire, écrire, compter, maîtriser le numérique. Ensuite, il faudrait imaginer que chaque établissement scolaire puisse faire ses choix en concertation avec enseignants et élèves. Une chose est certaine, il faudra moins de disciplines et décloisonner celles que l’on gardera ; il faudra moins d’heures de cours, réserver les après-midi aux activités sportives et culturelles, développer le tutorat ainsi que le travail collectif tant des enseignants que des élèves, associer mieux ces derniers à l’organisation et au fonctionnement des établisssements. Il faudra enfin revoir la fonction des enseignants, donc leur formation, leur permettre notamment d’être davantage à la disposition des élèves, individuellement ou par petits groupes, pour mieux comprendre les capacités et difficultés de chacun. Bien entendu, il ne s’agira pas d’alourdir leur charge de travail et, dans tous les cas, il faudra les rémunérer mieux, ce qui est la moindre des choses.

Voilà exposées, loin d’être exhaustives, quelques pistes de réflexions, de nature peut-être à faire avancer la grande « cause de l’école ».

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